Il ne restait que deux tours couvertes de plantes grimpantes, et qui renfermaient un tas de moellons ensablés. « Ce marais a une forme circulaire parfaite ; c’était sans doute un réservoir autrefois. » Elle resserra l’étreinte de ses genoux comme il avançait dans l’eau peu profonde, arrachant au passage un pied de macis, dont il ôta l’écorce verte pour macher le cœur blanc.
Il barbotait, tout en mangeant et en lui offrant des racines et des tiges de massette (Typhia latifolia). Ses sabots dérapèrent sur une surface lisse et vitreuse enfouie sous quelques centimètres de boue. Il se débattit et tomba, l’envoyant à terre. Elle se releva, drapée de feuilles humides.
« Merci pour la promenade ! » dit-elle en riant.
Il fit le tour de l’objet, qui se présentait comme un segment de fuselage. Après avoir considéré une nouvelle fois la dépression circulaire et remplie d’eau, il décida que c’avait dû être une carrière, et une tombe pour le carrier.
Le galant centaure aida Ventre Blanc à se remettre en selle. Le soleil sécha sa peau, pendant qu’ils faisaient le tour de l’île, ramassant de l’aneth et de l’échalote. « Nous les ferons confire dans du vinaigre, » dit-elle, en montrant l’oignon sauvage.
Le canot du capitaine regagna le navire au crépuscule, avec des sacs gonflés d’épices au parfum violent.
« La soupe et la salade seront bien relevées ce soir, » commenta Larry en descendant vers l’atelier pour faire réparer ses sabots.
— « J’ai de mauvaises nouvelles en ce qui concerne l’ambassadeur, » dit ARNOLD. « Il ne va pas être possible de le désarmer. »
— « Pourquoi ? »
— « Nous avons fait une copie des circuits. Ces charges s’amorcent automatiquement. Si l’on coupe le circuit en un point quelconque… elles explosent ! »
Larry examina les diagrammes. « Comment cela fonctionne-t-il ? »
ARNOLD désigna les charges explosives, alignées deux par deux. « La nitro-enveloppe entoure un circuit noyau. Il est ouvert en ce moment, armé si tu préfères. Les batteries plomb et argent dans ses jambes ne fournissent pas le courant de déclenchement ; mais rien qu’un courant senseur. S’il meurt et que sa circulation s’arrête, les électrodes de plomb et d’argent perdront leur électrolyte à écoulement libre, son sang. Elles s’interrompront et il se produira une chute de potentiel, fermant le circuit noyau… et bang ! »
Larry hocha la tête. « C’est le courant fourni par les batteries des jambes qui l’empêche d’exploser ? »
— « Oui. Et si nous sectionnons les fils à n’importe quel endroit, eh bien le courant s’arrête, et bang encore. »
— « Que faisons-nous ? »
— « Pour commencer, ils l’ont retiré de l’Épurateur de Sang. Il est nécessaire que les ions continuent à circuler pour faire marcher la batterie. »
— « Mais ce sont des poisons ! »
ARNOLD s’effondra sur une caisse à outils, un géant terrassé. « Bon Dieu ! Je sais bien ! » dit-il doucement. « Dans tous les cas, le pauvre vieux diable mourra. L’Ocutech a dit que le senseur placé dans son cristallin par la fourmilière laisse également filtrer des ions. Les cônes et les bâtonnets se plombent, ce qui va entraîner la cécité. »
— « N’y a-t-il rien que nous puissions faire ? » ARNOLD secoua la tête. « Rorqual a fait un essai simulé. Quand la fourmilière a fermé le circuit, les charges se sont armées. Si nous interrompons le circuit… »
Larry posa son sabot sur la table et retira son disque tracteur d’un air absent, tout en examinant les radios. « Huit charges… un collecteur optique dans son œil… le déclencheur qui va de la jugulaire à l’abdomen… Trilobite l’a coupé. Deux circuits senseurs : celui qui est amarré à l’épine dorsale, et la batterie physiologique dans ses jambes. Si nous y touchons, il explose. Si nous n’y touchons pas, il meurt à petit feu, empoisonné par les ions. Un travail soigné ; mais aucun piège de la fourmilière ne peut être parfait à ce point. Je voudrais essayer de le désarmer à distance. Il n’a rien à y perdre. »
ARNOLD secoua la tête. « Il ne nous laissera pas prendre ce risque. Il dit qu’il est trop vieux pour supporter l’opération. Il est furieux. S’il explose ici, parmi ses amis, il aura servi Furlong. »
— « Mais nous ne pouvons pas le laisser s’en aller au hasard et mourir. Cela pourra prendre des mois, et c’est une fin terrible, dans la douleur et le délire. »
Le géant prit un autre diagramme et sourit bizarrement en le montrant au centaure. « Il a choisi la façon dont il préfère en finir. Regarde ça. »
Le diagramme du montage tremblait dans la main de Larry. « Cette fourmilière de malheur est tellement peu sûre qu’elle ne peut permettre à rien ni à personne de sortir sans une « bombe de fidélité ». Regarde-moi ce pauvre Batteur : il est explosif, du cerveau jusqu’à la prostate ! Tu te rappelles Poursuivant Un ? Et le Grand Maître Ode ? Et toutes ces maches tueuses ? Tous étaient également piégés. Comment la fourmilière peut-elle être aussi peu sûre d’elle… et aussi puérile ? »
ARNOLD haussa les épaules. « Je n’emploierais pas le mot " puéril ". Je dirais plutôt " impitoyable ". Ils ne céderont pas d’un pouce. Vois mon cas, et celui des ARNOLD Inférieurs, nous portons tous notre " bombe de fidélité " dans nos gènes : nous dépendons du pain de la fourmilière. »
— « Ce que je supporte le moins dans tout ça, c’est l’absence d’un chef véritable dans la fourmilière. Quelqu’un sur qui on pourrait rejeter tout le mal. » Larry secoua lentement la tête en comprenant le but des nouveaux fils rajoutés au circuit. « Mais je ne peux en vouloir au Batteur. Il s’est laissé prendre dans le système, tout comme toi à un moment. Mais je dois lui rendre cette justice : ce pauvre vieux Néchiffe a quelque chose dans le ventre ! Je ne sais pas si je serais capable de faire ce qu’il va faire. Je ne sais vraiment pas… »
ARNOLD cracha. « Moi si ! La fourmilière mérite bien pire ! J’espère seulement qu’il emmènera le président Furlong avec lui. Ce serait une consolation. »
La ligne de flottaison du canot était haute. Des charges explosives supplémentaires étaient tassées sous les sièges et dans la soute à l’avant. Des paniers de fruits, des crabes Jonah et de la bière glacée étaient amenés par une grue. Une larme coula sur le visage du vieux Néchiffe tandis qu’il coiffait son casque.
« Tu as bien les anneaux dans chaque poche ? »
Le Batteur acquiesça.
« Rappelle-toi, quand tu arracheras ces sutures électriques, cela arrêtera les électrodes dans les batteries de tes jambes. Ça devrait te faire décoller instantanément. Tu te vaporiseras dans l’explosion ; si tu te trouves à proximité du canot, il sera aussi pulvérisé, et cela devrait creuser un sacré trou ! »
Le Batteur, désormais anonyme sous son casque, hocha à nouveau la tête. La visière s’ouvrit soudain. « J’oubliais : la formule chromatographique : LIP TV TM AG TAS GLH. Je vois qu’ARNOLD doit manger du pain aux quinze acides à satiété, mais j’ai fait mémoriser la formule pour plus de sûreté. La leucine est la plus rapide et l’histidine la plus lente. »
Larry sourit. « Merci, Batteur. Cela nous sera d’un grand secours. Nous avons utilisé jusqu’ici une méthode fastidieuse, par électrophorèse. Ce sera plus facile. »
Le Néchiffe resta silencieux, dans sa lourde combinaison, sans pouvoir rien trouver d’autre à dire. Les épouses lui firent des signes d’adieu depuis le pont avant. La grue le descendit dans la petite embarcation et il se mit en route vers le déversoir de l’égout, tout là-bas sur le rivage..