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À mi-hauteur, ils trouvèrent le crochet et arrachèrent un enchevêtrement de vrilles. Ceux qui portaient l’idole grimpèrent. au-dessus du crochet et équilibrèrent la baleine sur la pointe. Le crochet, profondément encastré, céda sous le poids de l’idole. Neuf Doigts leva les yeux vers la flèche de la tour et sourit. De petites lumières se mettaient à clignoter et à tournoyer. Ils lâchèrent les cordes et redescendirent.

« Puisse le dieu-baleine nous être propice, » prièrent-ils.

Les nuits se firent venteuses, les étoiles ne brillaient plus, signes annonciateurs de la saison des tempêtes. Cinq jours plus tard, un trimaran arriva pour une courte visite. Les villageoises atteignirent la plage juste à temps pour voir la voile carrée courir vent arrière. Neuf Doigts agita le bras, une petite pile de fournitures à côté de lui.

« Est-ce le miracle que nous avons demandé ? » interrogea grand-mère Tortue.

— « Non. L’Acolyte est simplement venu m’apporter les drapeaux de requête. »

Ils soulevèrent la toile goudronnée et se partagèrent les corbeilles de petits pains et de fruits séchés. Il y avait aussi une douzaine de petits tonneaux de bière. Les drapeaux, d’un mètre de long, étaient de différentes couleurs-codes et portaient des symboles : eau, vivres, outils, médicaments.

— « Tu leur as dit quels étaient nos besoins ? »

— « Oui. Le dieu-baleine passera par ici après les tempêtes. Nous devrons hisser les drapeaux correspondant à nos problèmes, » expliqua Neuf Doigts. Il tria les bannières aux couleurs éclatantes, étudiant leurs dessins. « Ces provisions se conserveront assez pour nous permettre d’attendre jusque-là. »

— « Et la bière ? » demanda grand-mère Tortue, en poussant du pied un tonnelet. « Nous aurons toute l’eau de pluie dont nous aurons besoin pour boire… »

— « Cela nous aidera à garder le moral, » dit en souriant un jeune mâle.

— « Nous en aurons besoin aussi, » murmura leur chef.

La salle du trône faisait également office d’habitation pour Neuf Doigts : bambou et chaume, douze mètres de côté. Elle n’était pas tout à fait carrée, parce que les quatre angles étaient formés par des arbres vivants. Six autres troncs constituaient la voûte, soutenant les poutrelles du plafond et le grenier mansardé. Sa jeune épouse, Iris, préparait une bouillie de légumes au lait de chèvre. Deux petits poissons frits à la poêle et une noix de coco fraîchement mise en perce complétaient le menu royal.

« J’ai parlé à l’Acolyte, » dit-il en entrant. Elle servit la bouillie. Il mangea en silence.

— « Qu’est-ce qui te tracasse ? » dit-elle.

— « Le dieu-baleine. »

— « Ne peut-il pas nous aider ? »

— « Oh ! nos prières seront exaucées ! Mais… » sa voix se brisa. « … nos parents ont fait confiance au dieu, n’est-ce pas ? »

— « Bien sûr, » sourit-elle. « Le dieu-baleine leur a montré cette île et les a aidés à s’installer • Les chèvres et le grain leur ont été donnés par notre dieu. Il y avait des arbres-fruits, autrefois, mais l’air salin les a tués » On peut encore voir les troncs. »

— « Je crois en lui, » dit-il, « mais pas parce que c’est le dieu de nos pères. Je ne suis pas très pieux. Je crois en lui à cause de sa grande force et de sa sagesse. Il est trop grand pour notre lagon, et pourtant il envoie ses messagers par-delà l’horizon pour parler avec nous. Il a choisi exactement la nourriture qu’il nous fallait, des plantes et des animaux qui s’acclimatent bien. Mais cette fois-ci, j’ai peur. »

— « Pourquoi, mon époux ? »

— « Il désire un sacrifice. »

— « Je ne crois pas avoir jamais entendu parler de ça. Pas dans nos îles. Il y a eu des rumeurs… Quelle sorte de sacrifice ? Des chèvres ? Des poulets ? »

— « Toi, » dit-il. « Le dieu-baleine réclame ma jeune épouse… »

Elle resta silencieuse.

Le jeune chef se leva, agitant les bras. « Oh ! j’ai d’abord protesté ! Puis l’Acolyte m’a expliqué qu’on ne te ferait aucun mal. En fait, tu me serais rendue au bout d’un an, et tu ne serais plus stérile ! »

Iris fronça les sourcils. « Il n’est pas bon qu’un chef reste sans enfant. Tu dois prendre une autre épouse. Je serai la deuxième. »

— « Peut-être, » dit Neuf Doigts, « mais nous avons tout le temps d’envisager cela. Dans l’immédiat, nous devons décider si nous hissons ou non les drapeaux. »

Elle se leva et regarda par la fenêtre. Tout était calme dans le vaste lagon. Des huttes vides parsemaient la plage.

— « Je me rappelle le temps où nous étions presque une centaine, » dit-elle doucement. « Tout allait mieux alors. Je veux faire ce qui est en mon pouvoir pour ramener ces temps heureux. »

Il hocha la tête. « C’est ce qu’auraient fait tes parents. Cette terre est bonne. Avec l’aide de notre dieu, elle sera à nouveau fertile. »

La tempête éclata comme prévu, dispersant les matériaux de construction et déracinant les arbres.

Des grottes dans la falaise calcaire abritaient les humains et leurs animaux domestiques dans de petits enclos. Entre les tempêtes, ils allaient au fourrage sous le soleil et récoltaient l’eau de pluie. Ensuite, les drapeaux montèrent, et Iris se prépara pour ses noces avec le dieu-baleine.

Les hommes transportèrent le radeau de sacrifice sur la plage et le recouvrirent de fleurs. Iris s’assit parmi les pétales, avec une chope mousseuse. Un tonnelet circulait à la ronde. Une silhouette basse et sombre apparut sur l’horizon.

« Le voici ! » clama Neuf Doigts. Il regarda derrière lui, pour s’assurer que les drapeaux étaient déployés, puis s’assit et attendit. Le bateau cétacé longea la plage, larguant des biscuits fumants, d’une demi-tonne chacun.

« Les biscuits divins ! » s’écrièrent les indigènes, en s’élançant dans les flots. On mit des canoës à la mer pour guider le plancton aggloméré jusqu’au rivage. Ils s’empressèrent d’ouvrir les énormes balles. À l’intérieur, ils trouvèrent tout un assortiment de produits marins : poisson congelé, moules et crustacés. Les vents dominants continuaient de pousser les biscuits divins dans le ressac. On remplit des corbeilles et des marmites : une moisson géante qui leur assurerait une réserve de vivres adéquate jusqu’à ce qu’ils aient réparé les dégâts causés par la tempête. Des cochons rabougris et des poulets décharnés folâtraient sur le sable humide, se faisant un festin des débris.

Les indigènes se calmèrent et attendirent. Leur dieu déposerait les « cadeaux-drapeaux » au prochain passage et prendrait la jeune femme sacrifiée au troisième. Ils inclinèrent la tête.

« Des sauvages nus sur le rivage, côté sous le vent, mon capitaine. »

— « Quels sont les drapeaux qui flottent ? »

— « Graines et petits outils. »