Iris se détendit et sourit. Elle inscrirait les graines de citronnier sur la liste des choses à ramener chez elle.
« Veux-tu que je te reconduise ? » proposa le centaure.
Iris grimpa sur son dos de mache. À nouveau, il remarqua avec quelle force elle l’étreignait. « As-tu vu ARNOLD, pour ta grossesse ? Il est temps, » dit-il.
— « Je l’ai vu… Du moins je le crois. »
Larry sourit. « C’est comme ça, avec le capitaine. Tu peux te considérer comme mère. »
Elle appuya son front contre son dos tandis qu’il descendait au trot vers sa cabine.
Quatre péniches à moteur attendaient au Récif du Kilomètre Trois. Les matelots néchiffes en combinaison jaune s’agitaient nerveusement pendant que les enfants Océanides batifolaient dans les vagues.
Rorqual apparut à l’ouest sur l’horizon. Larry le centaure inspecta les péniches avec la longue-vue.
« Nos amis de la fourmilière n’ont pas l’air très heureux de se trouver Dehors. »
ARNOLD étudia un long moment les indications portées sur les senseurs avant de répondre. Sa nuque se hérissa. Sur les senseurs, tout apparaissait vert et calme.
« Je ne désire en aucun cas le bonheur de ces minus, » grommela le géant. « S’il ne tenait qu’à moi, ils crèveraient de faim. Rorqual pense qu’il peut apprendre quelque chose de ce foutu cerveau planétaire, c’est pourquoi nous cherchons à gagner du temps. »
— « Est-ce prudent ? » demanda Larry. « N’y a-t-il pas une possibilité pour que le C.U. prenne le contrôle de notre navire s’ils unissent leurs cerveaux ? »
— « Trilobite ne le pense pas. Il dit qu’il a fait l’expérience. La liaison était trop faible, suffisante cependant pour une bonne transmission des données. »
La première péniche débordait de thon et de glace. Les Néchiffes commencèrent à lever l’ancre. ARNOLD jeta un ordre sec. « Rorqual a posé un grappin sur cette péniche. Personne n’ira nulle part tant que nous n’aurons pas eu notre participation. Avez-vous établi la jonction ? »
— « Trilobite n’a pas encore atteint le sommet de la falaise. »
— « O.K. Commencez à remplir la seconde péniche, mais laissez la D-1i sur la première. »
Les marins de la péniche, gras et trapus dans leur épaisse combinaison, surveillaient avec anxiété le puissant grappin. S’ils avaient su combien des leurs avaient été tués par cet engin, ils n’auraient pas supporté le choc. Même sans cela, deux d’entre eux s’évanouirent.
« Jonction établie, » dit le navire.
Les festivités sur l’île de Har durèrent la nuit entière. Iris ne se sentait pas très à l’aise avec les épouses d’ARNOLD. Le contact avec le géant avait été brutal. Son attitude envers elle n’avait pas changé ; elle était indifférente, distante. Il lui rendait un service. Maintenant, elle portait son enfant.
« Une goyave ? » proposa Opale.
Iris accepta le fruit jaune-vert. Il avait à peu près la taille d’une pomme, et son goût était excellent.
« Es-tu une des nouvelles épouses d’ARNOLD ? »
Iris baissa les yeux. « Je suis l’épouse du dieu-baleine pour un an. »
— « Oh ! » fit Opale d’un ton très naturel. « Ils vont vers le nord, cette année. Tu vas voir beaucoup de glace. »
— « Tu y es allée ? »
— « Non. Mais j’ai bavardé avec Trilobite. Il est sous la ligne de flottaison en ce moment, en train de renifler des vestiges d’une ancienne civilisation. Si tu veux être au courant des derniers ragots, interroge-le. Il est en participation constante avec le cerveau de Rorqual. À eux deux, ils en connaissent un bout. »
— « Pourquoi allons-nous vers le nord ? »
Opale haussa les épaules. « Ils ont troqué toute une cargaison de thon contre le droit d’entrer en participation avec le cerveau collectif de la fourmilière. Je suppose qu’ils ont trouvé certains indices concernant notre dieu, et qu’ils vont maintenant les vérifier. À mon avis, c’est une bonne excuse pour aller explorer un nouvel océan. Ils ne tiennent pas en place. »
Iris regarda la foule rassemblée auprès du feu. « Ils ? »
— « Ces trois-là ! » dit Opale la Grande. « Cette moitié de cheval, Larry ; ARNOLD ; et mon époux, Har. »
— « Har vient avec nous ? »
— « Oui, cette espèce de gargouille muette est toujours là quand il s’agit d’accompagner les deux autres dans une aventure insensée. Larry et le gros Har étaient ensemble dans la fourmilière ; c’étaient des Entre-les-Murs. Har est très excité à la perspective de découvrir leur dieu. Je crois qu’il est le seul à y croire vraiment.
Iris contempla Opale, toujours ferme sous les cheveux gris et les rides, et plus de douze fois grand-mère. La jeune femme accepta une autre goyave des mains de son hôtesse. « Cette île est très plaisante. »
— « Elle sera bien calme une fois que les hommes seront partis, » fit la vieille avec un haussement d’épaules. Elle se leva et fit le tour des autres invités.
Iris alla sur la plage pour nager en solitaire. Plusieurs heures plus tard, Trilobite Ferreux s’approcha du feu, remorquant une fille mouillée : Iris, femme de Neuf Doigts.
« J’ai trouvé une baigneuse de minuit, » dit la mache, « une naïade qui ne prenait pas part à la fête. »
Des invitations anonymes fusèrent dans l’ombre.
Iris lâcha la queue décorée de Trilobite et plaqua ses mains sur ses hanches ruisselantes, la poitrine houleuse, les yeux luisants à la lumière du feu. « Quelle fête ? On ne danse pas ! »
La plupart des hommes étaient couchés par terre sous l’effet de la boisson. Leur intention était de dormir là où ils s’étaient écroulés. Danser, c’était trop leur demander ; et la danse était plus un rituel d’épousailles qu’autre chose.
Larry vérifia la charge énergétique de son mannequin : plus que suffisante.
« Position centaure, s’il te plaît. »
Le mannequin cambra son pelvis en arrière, écartant ses quatre pattes. Ainsi, il était un peu moins grand, mais son aspect d’homme-bouc faisait place à une forme chevaline. Les optiques étudièrent le rythme de la femme. Les sabots tambourinèrent en mesure. Elle se tourna vers la bête mythique et sourit. « Danse ! » cria-t-elle. Ils tournoyèrent et ondulèrent au son des flûtes et des tambours. La sueur remplaça l’eau de mer sur sa peau. Elle monta sur son dos. Il se cabra et s’élança au galop vers la plage.
« Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu semblais si triste, avant ta baignade. »
— « J’ai eu une longue conversation avec Trilobite, » dit-elle. « J’ai découvert qu’ARNOLD est une copie génétique de toi. »
— « Et alors ? »
— « Alors, l’enfant que je porte est de toi ! »
Larry sortit de sa cabine, sur le pont éclairé par un soleil hivernal, cependant que des flocons de neige, légers et poisseux, fondaient sur ses épaules. Des morceaux de glace de banquise, blanche et lumineuse, étincelaient sur l’océan gris terne. La longue-vue avait détecté des icebergs. Des hommes d’équipage vinrent déblayer la neige, et leurs chansons de marin rythmaient leurs coups de pelle.
« Voudrais-tu me faire faire le tour du pont ? » demanda Iris, debout dans l’encadrement de l’escalier, avec sa peau olive.
Larry s’arrêta, grattant la neige du sabot. Elle épousseta ce qui faisait office de selle, et remarqua le nouveau rembourrage en peau de chamois.
« Anti-givre ? » questionna-t-elle.
— « Anti-givre. Un périnée adhérent à la selle serait assez inconfortable. Monte. J’ai apporté un poncho à deux trous, au cas où le temps se gâterait. »