ARNOLD poursuivit l’examen des imprimés délivrés par Rorqual, qui s’allongeaient et s’ornaient de couleurs éclatantes, de dessins minutieux et d’images miniature. Le navire possédait un sens du détail très poussé et griffonnait véritablement un manuscrit enluminé des âges géologiques. « Je crois comprendre maintenant, » dit le guerrier. « Il semble s’être produit un changement abrupt vers l’époque de votre Prosimien, le Palachthon. Le Crétacé se termine par un boum : environ un tiers des familles animales disparurent de la surface : les dinosaures, les reptiles marins, les reptiles volants, les ammonites, les mollusques et le nanoplancton calcaire. Ta formule semble dotée d’un certain pouvoir magique. Je pense que quelqu’un a mis en évidence cette extinction massive, comme un signet dans le livre des fossiles afin que nous la remarquions. »
ARNOLD fit un rouleau des imprimés et s’assit dessus. Il débarrassa la table et remplit à nouveau son bol. Har avait retrouvé son appétit. Il sentait à présent qu’il se trouvait sur la bonne planète, celle où la cosmologie plaidait en faveur d’un dieu qui avait un penchant pour les chiffres.
— « D’autres extinctions se sont produites, » fit Larry rêveusement. « Environ deux tiers des trilobites ont été anéantis à la fin du Cambrien. » Il sourit et jeta un regard à la mache-pelle à son côté. « Et je suppose que Trilobite Ferreux trouvera une certaine satisfaction à savoir qu’il a été utilisé comme « signet », également. Mais l’extinction la plus massive date de cette récente expansion de la fourmilière. Mis à part les gènes synthétiques, notre planète était absolument stérile ! »
Rorqual poursuivait l’inventaire de l’épave du vaisseau stellaire. La maquette se complétait.
« Ça ressemble à des pois rangés dans une cosse, » dit ARNOLD.
— « C’est l’idée directrice, » dit Larry. « La cosse, c’est la superstructure externe. Chaque pois est autonome et peut faire fonction de véhicule de rentrée. »
— « Pourquoi manque-t-il tellement de pois ? »
— « Oh ! c’est simplement que nous ne les avons pas encore trouvés !… Ou bien… » Une expression extasiée illumina le visage de Larry. « Bien sûr ! Les pois ont été largués ! Il est possible que le vaisseau ait fait l’aller et retour, et qu’il ait déposé les semences sur la nouvelle planète de Procyon avant de revenir pour rendre à la Terre sa fécondité. »
ARNOLD était fasciné. « Comment pouvons-nous en avoir la certitude ? Si l’homme s’est Implanté sur une planète, il a sûrement pu atteindre d’autres étoiles accessibles. J’aimerais pouvoir croire que notre espèce excelle à autre chose qu’à faire la guerre. »
— « Oui, guerrier ! » fit Larry en souriant. « Et la réponse, nous la trouverions si nous pouvions localiser un fragment de l’épine dorsale : le renflement céphalique, susceptible de loger une portion du cerveau, celle qu’on appelle l’amande. Les mémoires sont transistorisées là-dedans. Toutes les bulles magnétiques et les pensées ioniques ont probablement disparu. L’atterrissage a été rude. Les vaisseaux d’Implantation interstellaires sont construits dans l’espace et destinés à passer toute leur vie dans le vide et la non-pesanteur interplanétaires. Seuls les " pois " peuvent vivre dans une atmosphère. Et la rentrée dans l’atmosphère terrestre a dû être une fin pénible pour un cyber aussi puissant. »
L’amande fut localisée et découpée sur un fragment d’épine dorsale de six kilomètres de long. Elle flottait dans le sillage de Rorqual, couchée dans un cocon d’écume. Les Neurotechs établirent la conjugaison. Le navire la sonda.
« Elle n’a pas de personnalité, seulement des banques de mémoire. »
Larry hocha la tête. « C’est bien l’amande. Que vois-tu concernant l’Implant ? »
Rorqual, contrairement à son habitude, mit du temps à répondre. « Le système de recouvrement est Haganoïde, mais pas d’un type standard. Je n’ai pas encore déchiffré les séquences de mémoire. Elles ne sont pas linéaires. Donne-moi plus de temps. »
— « Il n’y a pas urgence, » dit ARNOLD. « Nous allons nous remettre en route pour l’île d’Har. Nous pourrons peut-être installer l’amande dans la jungle pour la sonder à loisir. Elle aura une histoire intéressante à nous raconter. »
Ils attachèrent le câble macramé aux neurocircuits qui formaient une masse blanche lobulée de 48 x 36 x 36 mètres, et fendirent la banquise en direction de l’est. Tout l’équipage attendait anxieusement des nouvelles sur les colons de l’espace.
« Effacé ? ! » s’exclama Larry, incrédule. « Apparemment, l’un des Implants a été si piteux que le vaisseau stellaire l’a gommé, comme un échec, » dit Rorqual « Je continue à extraire les détails, mais il est manifeste qu’il y a eu deux Implants distincts : le premier, environ un siècle après le lancement, a été couronné de succès ; la population a doublé deux fois selon les observations. C’est cette seconde tentative, beaucoup plus tardive, qui a échoué. Les deux planètes étaient biologiquement habitables (ga = c), mais il existait une forme de vie concurrente sur la seconde planète. »
— « Dans quel système astral ? » demanda Larry.
— « Le premier était peut-être Procyon. Le second n’est pas identifié, du moins pas encore. »
ARNOLD étudia la logique de mémoire de l’amande. « Je ne la comprends pas non plus. Nous devrons remettre en état le propre système de recouvrement du vaisseau stellaire pour trier tout cela. »
— « Mais nous pouvons tâcher de deviner, » dit Larry. « L’Implant Procyon pouvait impliquer plusieurs " cosses " et plusieurs siècles. La Terre pourrait être la seconde planète (ga = c). Nous savons que nous avons reçu un Implant vers l’époque où le vaisseau stellaire a fait sa rentrée et s’est écrasé dans l’Arctique. La fourmilière pourrait être cette forme de vie concurrente. Ces pauvres colons n’avaient pas une seule chance d’étudier le Néchiffe, avec tous ces archers fous dans leurs engins de chasse. »
— « Impossible, » dit Rorqual. « Aucun vaisseau stellaire ne pourrait atteindre une étoile et revenir sans s’apercevoir qu’il a réintégré son système solaire d’origine. La géographie terrestre n’a absolument pas changé en quelques douzaines de siècles. Les océans étaient vides, c’est vrai, et la flore des jardins stérile, mais le vaisseau et son équipage auraient rapidement compris ce qui s’était passé. »
Larry agita les mains. « Mais nous savons que le vaisseau a parlé à Trilobite juste avant de s’écraser dans la mer. Sa conduite était assez étrange. Certains des « pois » largués ont pu ensemencer la Terre et nous rendre les espèces disparues. Mais ce sont ceux qui ont atterri en dehors de la fourmilière, dans l’océan, les petites îles désertes, les lagons tropicaux. Je suis certain que la fourmilière aurait détruit ceux qui auraient atterri dans ses jardins. À en juger par cette amande confuse, le vaisseau avait des ennuis cérébraux. Il est possible qu’il ait été incapable d’aider ses colons sur Terre. »