ARNOLD se leva et fixa l’horizon. « Nos ancêtres sont revenus sur Terre et sont morts sous les coups de la fourmilière, et nous n’avons rien pu faire ! »
— « Peut-être, » dit Larry. « Mais tu sais combien les petites îles sont nombreuses… Certains ont peut-être survécu sur l’une d’elles. Nous finirons par les rencontrer au cours de nos voyages. »
La plage était quasi déserte lorsque le dieu-baleine s’avança dans la critique. Seuls Opale et un petit nombres d’anciens étaient présents. C’était une heure avant le lever du soleil, et la plupart des habitants de l’île de Har dormaient encore. Les ponts étaient silencieux et une atmosphère solennelle y régnait. Opale tordit nerveusement son collier de fleurs. Elle se calma quand elle vit la silhouette voûtée du gros Har. Il émergea sur le pont, portant une défense de morse d’un blanc étincelant et aussi longue que son bras.
« Est-ce que tu vas bien ? » demanda-t-elle lorsque la grue le posa sur le sable. Il acquiesça et se retourna pour faire un signe d’adieu. Le bateau fit machine arrière ; il était parti quand le soleil se leva.
« Pourquoi es-tu silencieux ? Vous n’avez pas trouvé votre dieu ? »
Har prit lentement le chemin de sa hutte. « Nous l’avons trouvé, » dit-il. « Mais il était mort. »
Opale passa son bras autour des épaules de son mari. Que pouvait-elle dire ?
— « Mais nous croyons avoir découvert la preuve de l’existence d’une divinité plus grande encore ; tout au moins un indice, un signe. Une divinité tellement puissante que la création de planètes entières n’est pour elle qu’un passe-temps ordinaire… une sorte de jeu mathématique. »
— « Que veux-tu dire ? »
Il désigna le sol. « Cette planète, si énorme que je n’en puis pas même comprendre les chiffres, a été assemblée et mise sur orbite autour du soleil pour correspondre à une formule absurde. La gravité multipliée par l’année égale la constante universelle qu’on appelle la vitesse de la lumière. La lune a très bien pu n’être qu’une rectification, un moyen de diminuer notre pesanteur en opposant une résistance afin que l’année terrestre soit plus courte et que les chiffres s’adaptent parfaitement. Parfaitement ! La création n’était qu’un jeu ! »
Opale l’étreignit légèrement. « Voyons, voyons, même un dieu a besoin d’un peu de récréation. Notre patrie n’est pas un lieu si désagréable, même si sa construction n’a été qu’un passe-temps. »
Har fouilla sa hutte pour trouver des lanières de cuir, et suspendit la défense au-dessus de la porte. Opale remarqua que des lettres et des dessins y étaient ciselés.
« Qu’est-ce que c’est ? »
— « Une prière. »
ga = c
— « Une prière ? »
— « Oui, la prière d’OLGA, afin de faire savoir au Créateur de la Terre que j’ai reçu le message : et de le remercier pour la demeure qu’il nous a donnée. »
— « Ton dieu n’est pas mort, » fit-elle en souriant.
— « Je ne sais pas combien de temps ils vivent. La Terre a été fabriquée il y a très longtemps… des millions d’années. Je ne sais pas… »
Larry bavardait avec Wandee sur la longue oreille. Tous deux étaient ridés et grisonnants.
« Les lumières sont-elles toujours en panne ? » questionna le centaure.
— « Oui, mais le taux de mortalité est redescendu à la normale. Je n’avais jamais réalisé à quel point nous étions dépendants du système circulatoire de la fourmilière : les conduits d’air, d’eau, de vidange. Des cités entières ont été anéanties quand l’organe énergétique a explosé. Notre meilleur atelier a littéralement fondu, et nos meilleurs techs ont été tués. J’ai réussi à survivre en montant sur la plate-forme et en cherchant la nuit ma nourriture dans les jardins. J’ai failli être tuée par un chasseur ce matin parce que je m’étais trop attardée. »
Larry secoua la tête. « Eh bien, je présume qu’il faudra de longues années avant que vous ne soyez prêts à faire du commerce avec nous… »
— « Oh ! mais nous sommes prêts ! » dit-elle avec flamme. « Si vous avez de la nourriture, de n’importe quelle sorte. Je vais faire le nécessaire pour qu’on envoie des péniches vers le récif. Que voudriez-vous en échange ? contre une promesse de calories, je peux obtenir pratiquement n’importe quoi du C.U. »
— « Et le nouveau président ? »
— « Oh ! pour le moment, nous n’avons pas de président ! Le C.U. expérimente la méthode du Comité sans chef. Après l’énorme bévue de Furlong, il ne donnera carte blanche à personne avant longtemps. » Larry se rembrunit. « Je ne m’étais pas encore aperçu que le C.U. attachait de la valeur à la vie des individus. Ode et le Batteur… est-ce leur mort qu’on a reproché au président ? »
— « Non. C’est l’échec. Avant Furlong, vos Océanides n’étaient qu’une poignée de sauvages nus. À présent, ils sont nombreux, possèdent une flotte puissante, et les gènes guerriers d’ARNOLD leur ont été infusés. Notre fourmilière a indéniablement perdu des points. Furlong en a été blâmé. »
— « Ce conflit est regrettable… »
— « Mais nécessaire, » dit-elle. « Aux yeux de la fourmilière, les océans ne sont qu’une source de nourriture. Les Citoyens sont affamés. Vous rendez-vous compte de la densité de notre population ? »
Larry essaya d’extrapoler, en se basant sur les communautés iliennes où « surpopulation » voulait dire cinquante personnes par kilomètre carré. Dans ces civilisations aussi, la mer fournissait la plupart des calories. Il savait que la densité était beaucoup plus élevée dans la fourmilière : « Cinq cents par kilomètre carré, peut-être ? »
Wandee eut un rire amer : « Je souhaiterais que ce soit vrai, mais vous vous trompez de deux décimales : cinquante mille par kilomètre carré, sur chaque kilomètre des principaux continents ; soit un total de 3,5 x io12 pour toute la planète. C’est pourquoi nous nous entre-dévorons pratiquement et traitons nos ordures et nos eaux d’égout pour raccourcir le cycle énergétique et fermer la boucle du cycle de l’azote. Le C.U. est sensible à la faim du Néchiffe mourant. Nous avons besoin des calories de l’océan. »
— « Nous pourrions peut-être nous entr’aider, échanger le produit de nos pêches contre vos produits manufacturés et des outils. Je vais dresser une liste et je vous recontacterai. » – « Parfait. »
« Tu as fait quoi ! ? » s’exclama ARNOLD.
— « Mais c’est ton image maternelle… une vieille dame si gentille avec ses cheveux gris… »
— « C’est un membre de la fourmilière, et, en tant que telle, on ne peut lui faire confiance. Si tu leur donnes cette liste, ils connaîtront tous nos points faibles. »
— « Écoute. Ils ont construit ces Moissonneurs. Que sauront-ils de plus si nous leur demandons quelques pièces de rechange ? Cela restreindra le travail de notre propre navire. Tout ce qu’ils veulent, c’est quelques tonnes de plancton dont nous ne savons que faire. Nous pouvons leur accorder cela. De plus, nous avons ainsi une occasion de pouvoir étudier aussi leur technologie. Mais je ne pense pas qu’ils soient à redouter dans l’avenir immédiat. Ils ne peuvent même pas remettre en marche leur lumière, et ils meurent de faim. »
ARNOLD s’adressa au navire. « Qu’en penses-tu, mon vieux ? Est-il prudent d’entrer en relations commerciales avec la fourmilière ? »
— « Négatif. La fourmilière sera toujours une menace pour ceux qui vivent Dehors. Toutefois, les avantages de ce commerce l’emportent sur les risques que comporte le futur prévisible. »