— Vous aimez tirer sur le bambou ?
— Modérément, dit Malko. Je ne sais pas si j’ai très envie.
Ainsi, ce que le jeune Chinois avait apporté, c’était de l’opium. Voilà pourquoi Phil Scott était si nerveux au début de soirée. Le manque… Malko ne se souciait pas de fumer. La drogue ne l’avait jamais attiré.
Sentant sa réticence, Phil Scott dit, mi-figue, mi-raisin :
— Si vous voulez faire du business avec moi, il faut d’abord qu’on soit copains…
Sani attendait. L’Australien lui flatta la croupe.
— Va chercher ce qu’il faut.
Elle s’éclipsa. Aussitôt les yeux bleus clairs de l’Australien se fixèrent sur Malko avec intensité.
— Votre histoire Lim, qu’est-ce que vous voulez au juste ?
Malko décida de ne pas mentir.
— Le retrouver, d’abord. Il semble intouchable.
Phil Scott fit claquer sa langue.
— Écoutez, dit Scott. Vous rencontrez toujours des types qui nous disent, je connais Dieu, je suis une merveille, et qui sont des merdes. Qui ne savent rien, qui ne connaissent que leur amah. Moi, je connais tout le monde à Singapour. Et tout le monde me connaît. Alors, je peux vraiment vous aider.
Malko se dit que Phil Scott était un de ces mythomanes tropicaux qui pullulaient en Asie, vivant de combines et de trafics, changeant de pays lorsque leur crédit était épuisé dans tous les bars. Une future épave.
— Seulement, ça risque de coûter cher, remarqua l’Australien, sans trop appuyer. Il y aura des intermédiaires à rétribuer…
— Cela peut s’arranger, affirma Malko.
Il se demanda si l’Australien connaissait son appartenance à la C.I.A… Au pire, il devait s’en douter. Sani glissa dans la pièce, pieds nus, avec d’une main un plateau et dans l’autre, un objet qui ressemblait à une canne en argent, au pommeau recourbé.
— Tiens, remarqua Malko, c’est une pipe méo.
Elle était beaucoup plus longue que les pipes classiques et l’opium se mettait au bout de la partie recourbée, au lieu d’avoir un fourneau aux deux tiers, comme les pipes classiques. Les incrustations d’ivoire étaient superbes.
Les dents blanches de Phil Scott se découvrirent en un large rire silencieux.
— Allons, fit-il, vous n’êtes pas aussi con que vous faites semblant.
Il appuya la nuque sur les coussins et soupira :
— Ce qu’il y a de meilleur dans la vie, c’est une bonne pipe d’opium et ensuite une fille comme Sani.
La jeune Tamil était accroupie en train d’allumer la lampe à huile pour réchauffer l’opium contenu dans un petit pot. Malko se demanda où il avait mis les pieds. Mais son instinct lui disait que Phil Scott était l’homme dont il avait besoin. Une pipe d’opium ne le tuerait pas. Il regarda Sani, le sarong moulant sa peau mate, la poitrine épanouie, les cuisses nues, le visage attentif, sous son étrange casque doré. Comment une fille pareille restait-elle avec un déchet comme Phil Scott ?
La boulette marron commença à grésiller au bout de la longue aiguille. La première pipe était prête. Avec déférence, Sani la tendit à Phil Scott.
— Ferme la porte, jeta sèchement ce dernier en la prenant. Tu veux nous attirer des emmerdes ou quoi. Pour Malko, il ajouta : « Ici, ils ne plaisantent pas. Un type s’est fait piquer avec une pipe qui n’avait pas servi depuis 20 ans. 500 dollars d’amende. »
La porte fermée, il prit l’embout et aspira avidement, les yeux fermés. Sani le contemplait avec des yeux émerveillés. Ses jambes s’étaient un peu ouvertes et Malko, troublé, aperçut le buisson sombre de son ventre.
Là, elle n’avait pas mis de laque dorée.
Malko eut une quinte de toux qui lui arracha la gorge. L’odeur, à la fois fade et âcre de l’opium, lui irritait les bronches. Près de trois heures s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient commencé à fumer. Le petit pot était vide mais la lueur dansante de la lampe à opium donnait aux trois silhouettes allongées sur les nattes et les coussins des formes fantastiques. Malko s’était contenté de trois pipes. Sani avait à peine touché à l’opium, mais Phil Scott devait en être à sa quinzième pipe. Étendu sur le dos, les yeux fermés, il respirait régulièrement. Sa main gauche jouant avec le casque doré de Sani, agenouillée à côté de lui. La jeune Tamil, le visage inexpressif, les yeux dans le vague, lui caressait doucement la poitrine, en un mouvement circulaire.
Tout à coup, la main de l’Australien quitta la tête de Sani, glissa sur le sarong, s’attarda sur le nœud dans le dos. Il tira d’un coup sec inattendu. Malko suivait tous ses gestes. Le batik glissa sur la peau brune, révélant la poitrine, puis tomba autour des hanches de Sani. Sa poitrine semblait sculptée dans l’ambre, avec des pointes longues et noires, comme des bouts de poire. Distraitement, Phil Scott les effleura de la paume de sa main. Sani avait fermé les yeux et tous ses traits exprimaient le ravissement le plus complet. La main de Phil Scott s’attarda sur la chair ferme comme pour en prendre le contour, puis remonta et vint se poser sur la nuque de la jeune femme.
De l’autre main, il défit le sarong, noué autour de sa taille, l’ouvrit, découvrant un ventre plat barré d’une large cicatrice blême et un sexe flasque.
Sani avait ouvert les yeux. Son regard se posa sur le ventre découvert, avec une sorte de fascination humble. Comme si c’était la plus belle chose de la terre. Phil Scott n’eut pas à faire un geste. Les longues mains brunes abandonnèrent sa poitrine, rampèrent le long de son ventre et se refermèrent en conque autour du sexe.
Soudain, le grésillement de la lampe parut insupportable à Malko. Il ne pouvait détacher ses yeux du spectacle. C’était aussi fascinant que le duel d’un cobra et d’une mangouste. En une suite de mouvements coulés, reptiliens, Sani se déplia, s’allongea sur la natte, de façon à ce que sa tête rejoigne ses mains, tournant vers Malko ses hanches rondes et ses reins cambrés. Avec une absence totale de pudeur, en complète contradiction avec son attitude précédente. Le sarong gisait maintenant autour de ses jambes. Glissant ses doigts sous le sexe de son amant, elle inclina son casque d’or lentement et enfouit dans sa bouche l’organe flasque.
Phil Scott demeurait rigoureusement immobile, son beau visage figé, les yeux ouverts, les bras le long du corps. Ailleurs.
Contrastant avec la vie nouvelle dont Sani était animée. Son corps ondulait imperceptiblement, des épaules aux hanches comme si tous ses muscles participaient à sa caresse. Une grande ride barrait son front, révélant sa concentration. Sa tête montait et descendait avec des mouvements imperceptibles, comme si elle avait peur de blesser le sexe qu’elle caressait. Ce casque de cheveux dorés donnait à toute la scène un insolite aspect surréaliste. Malko bougea, et le craquement d’une de ses articulations retentit dans le silence comme un bruit obscène. Cela ne semblait pas être de la provocation de la part de Sani, mais une sorte de dédoublement. À un mètre de lui, il voyait sa croupe se soulever et retomber, au rythme de sa tête, comme si elle l’appelait silencieusement.
Le sang commençait à battre dans ses tempes. Sani aurait débloqué l’érotisme d’un archevêque.
La dose d’opium qu’il avait fumée le plongeait dans un climat euphorique, mais n’était pas suffisante pour émousser ses sensations. Il devait se retenir à quatre pour ne pas se lever et la prendre. Le sang battait dans son sexe, et il se demanda s’il allait pouvoir se retenir longtemps.
Pour faire baisser sa tension, il reporta son regard sur Phil Scott. Les muscles de sa mâchoire étaient crispés. Ses doigts jouaient automatiquement avec le batik de la natte, sa pomme d’Adam montait et descendait. Malko réalisa d’un coup pourquoi les mouvements de Sani étaient si lents et si mesurés. Sa caresse n’avait encore eu aucun résultat. Phil Scott lui saisit soudain la nuque et l’arracha de son ventre.