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— Ann va mieux ? demanda Malko.

— Ça va, dit John Canon sans se compromettre. Vous descendez avec moi ?

— Je vais m’arrêter un moment à la piscine, dit Malko.

Il descendit de l’ascenseur au cinquième étage.

Le regard que lui avait jeté Sani, la veille au soir, l’intriguait.

En le voyant, Sani se laissa glisser du plongeoir et vint droit sur lui, de sa démarche involontairement sensuelle, en opposition avec la tension de ses traits. Son visage enfantin arborait une expression préoccupée.

— Oh, je suis contente que vous soyez venu ! dit-elle.

Elle entraîna Malko à l’écart et ils s’assirent sur des chaises longues. La piscine était encore déserte.

— Que se passe-t-il ? dit Malko.

— Je voudrais vous aider, dit la jeune Tamil, sans le dire à Phil. Il a peur.

— Vous pouvez ?

Malko l’observait avec attention. Que cachait encore ce revirement ? Sani n’avait jamais paru s’intéresser aux affaires de son amant.

— Je crois, dit-elle d’une voix timide. Je connais beaucoup de gens. Mais vous me donnerez l’argent ? Ce que vous aviez promis à Phil, si je vous aide à retrouver Lim ?

— Vous voulez le quitter ?

Elle secoua la tête.

— Oh, non, je veux lui faire la surprise. Il a besoin de cet argent pour que nous puissions partir à Tahiti. Là-bas, il m’épousera…

Malko préféra ne pas répondre. Sani se pencha vers lui, sa poitrine touchant son bras.

— Vous voulez ?

— D’accord, dit Malko.

Une onde de joie illumina le visage de la jeune Tamil.

— Oh, je suis si contente ! Vous savez, je me suis déjà occupée, ce matin. J’ai une amie qui travaille au desk du Shangri-la. Elle m’a dit que quelqu’un du « Department of Intelligence Service » était venu, et avait posé des questions sur vous. Elle croit que le standard téléphonique est prévenu aussi.

Malko eut l’impression, de nouveau, qu’il se vidait de son sang.

— Vous êtes sûre, Sani ?

— Oui.

Il fit un effort surhumain pour ne pas montrer son trouble. Pourquoi les services spéciaux singapouriens le surveillaient-ils ? Sans en parler à John Canon, Ce que cela impliquait lui fit peur.

— Très bien, Sani, essayez de savoir où se trouve Lim. Vous savez où me joindre. Mais faites attention.

Elle eut un sourire pâle.

— Je ferai attention. Ne dites rien à Phil.

— Promis.

Il la regarda regagner son plongeoir. Elle se retourna pour lui sourire. Merveilleusement désirable dans son maillot jaune. Il avait hâte de se retrouver avec John Canon. Quelque chose était pourri dans cette histoire.

Tandis qu’il attendait l’ascenseur, une Chinoise surgit de nulle part, et attendit avec lui. Une assez belle fille longiligne vêtue d’une robe fendue bleue avec les cheveux sur les épaules. Il remarqua qu’elle avait une tache dans le blanc de l’œil droit qui donnait une expression étrange à son regard.

Malko s’effaça pour la laisser entrer la première dans la cabine. À peine la porte s’étaient-elle refermée que l’inconnue lui fit face en souriant. « Une pute », pensa Malko. De la main gauche, la Chinoise écarta un pan de sa longue robe fendue, dévoilant ses cuisses presque jusqu’à l’aine.

À l’intérieur de la cuisse gauche, il y avait un tatouage multicolore.

Un papillon.

Chapitre XI

L’ascenseur stoppa avec une petite secousse au rez-de-chaussée. Automatiquement, l’inconnue laissa retomber le pan de sa robe, cachant le tatouage. Elle sortit la première de la cabine et Malko lui emboîta le pas. Dès qu’ils furent mêlés à la foule du lobby, il lui demanda à voix basse :

— Vous venez de la part de Linda ?

Sans répondre, la Chinoise se dirigea vers la sortie, le menant droit vers sa propre voiture garée dans le parking derrière l’hôtel. Elle ouvrit la portière et monta à l’avant. Malko se glissa derrière le volant. La Chinoise tourna la tête vers lui.

— Me no speak good english. You come. See Mr Lim.

— Where ? demanda Malko.

Elle secoua la tête, répéta doucement.

— You come. No speak. Linda said.

Il hésita. L’hypothèse de l’enterrement n’était qu’une hypothèse. Après ce qui s’était passé la veille, il était plus que jamais urgent de retrouver Tong Lim. Aussi, il n’insista pas.

Trente secondes plus tard, ils descendaient Orchard Road. Guidé par la Chinoise, Malko franchit le pont sur la rivière passant devant le Merlion, l’étrange statue à tête de lion et queue de sirène, symbole de Singapore, et se retrouva dans New Bridge Road. À gauche, c’était encore Chinatown. Mais à droite de la grande avenue à deux voies, ce n’étaient plus que d’immenses clapiers de ciment. Des passerelles reliaient les deux rives de l’avenue.

— Right, ordonna la fille, alors qu’ils sortaient de Chinatown. Elle fit stopper Malko dans une petite montée, en face d’un grand clapier gris. Un coiffeur en plein air officiait sur le trottoir.

La voiture garée, ils partirent à pied. La Chinoise marchait d’un pas rapide, sans regarder autour d’elle. Malko essayait de se reconnaître. Ils débouchèrent soudain sur un terrain vague empli d’un vacarme effroyable. D’un coup, Malko se retrouva.

En face de lui, c’était Sago Street, la rue des Morts. Mais quel changement ! Il se souvenait d’une petite voie tranquille bordée de mouroirs et de marchands de cercueils. Où des orchestres attendaient entre deux enterrements en mangeant des soupes chinoises, assis à même la chaussée.

Tout le côté gauche n’était plus qu’un terrain vague plein de gravats. Il restait quelques ruines attaquées par un étrange engin. Une sorte de grue montée sur chenilles. De sa flèche pendait une énorme boule de fonte suspendue à une chaîne. Le chauffeur de l’engin remontait le poids et le lançait sur les vieux murs à abattre. Chaque coup résonnait dans tout le quartier, dominant le bruit des voitures sur North Bridge Road. De l’autre côté du terrain vague s’élevait un gigantesque et triste clapier à Chinois d’où émergeaient à chaque fenêtre des perches couvertes de linge. En dépit des travaux, Sago Street était extrêmement animée. Le côté droit de la rue tenait tête aux bulldozers, avec ses maisons bleues et vertes croulantes dont chaque rez-de-chaussée abritait un commerce.

La Chinoise qui escortait Malko s’y engagea, se faufilant entre les éventaires. À chaque pas, il fallait contourner des badauds en train de lorgner de longs poissons-chats aux immenses moustaches nageant en rond dans un seau d’eau posé au milieu de la rue en attendant d’être frits.

Un Chinois dormait affalé sur sa machine à coudre en plein air. Un peu plus loin, les musiciens d’un orchestre pour funérailles s’étaient égaillés sur les tabourets de bois d’un restaurant en plein air, leurs instruments de cuivre entre leurs jambes. La Chinoise avançait toujours. Baissant la tête pour passer sous les toiles des éventaires qui se rejoignaient au milieu de la rue. Arrivée presque au bout de la rue, la fille stoppa devant un rideau de fer descendu puis tourna dans une ruelle si étroite qu’on ne pouvait y entrer que de profil. À vrai dire, c’était plutôt une fissure entre deux maisons. Elle frappa à une porte de bois, qui s’ouvrit aussitôt. Malko dut se courber pour la franchir, la Chinoise sur ses talons.

Une forte odeur d’encens frappa aussitôt ses narines, mélangée aux effluves moins suaves de soupe chinoise aigre. Deux ampoules jaunâtres éclairaient faiblement le local. Il s’arrêta en face d’un objet qui semblait tenir toute la place. Un superbe cercueil en teck noir, taillé en forme de jonque, orné de bandes rouges et or, long de près de trois mètres. D’une infinie majesté. Malgré tout, il éprouva un petit pincement au cœur. Ses yeux s’accoutumant à la pénombre, il s’aperçut que le local était beaucoup plus grand qu’il ne l’avait imaginé. Tout en longueur. L’entrée principale devait être le rideau de fer baissé. En dehors du superbe cercueil mis en avant, il y en avait des dizaines d’autres empilés partout, parfois jusqu’au plafond.