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À côté du cercueil d’apparat se dressait une pile de dragons multicolores, faits de toile et de bois, destinés à protéger le dernier voyage du défunt des mauvais génies toujours à l’affût. De derrière ces monstres fragiles surgit un étrange personnage. Un Chinois de petite taille en maillot de corps, les traits figés à la Buster Keaton, avec une grande bouche mince aux coins tirés vers le bas. Un chapeau de toile bleue était posé en équilibre sur son crâne lisse comme une boule de billard. La peau de ses bras était plissée comme celle d’un vieux lézard.

Sans changer d’expression, il fit le tour du cercueil, et se hissant sur la pointe des pieds, fit glisser le couvercle latéralement avec un « han » fatigué. La Chinoise ne disait pas un mot non plus. Malko s’approcha, intrigué. L’intérieur du cercueil était capitonné de soie blanche – couleur de la mort chez les Chinois – surbrodé de dragons dorés pour protéger le défunt. La fille s’approcha à son tour et dit :

— Miss Lim.

Ainsi, c’était le cercueil destiné à Margaret. Malko ne voyait pas très bien le pourquoi de ce macabre rendez-vous. C’était, certes, une délicate attention de lui montrer l’intérieur de ce cercueil, mais il n’était pas venu pour cela.

— Où est Mr Lim ? demanda-t-il.

La Chinoise étendit le bras vers le cercueil.

— You go in.

Malko la regarda, se demandant s’il avait bien compris. Elle insista en mauvais anglais :

— Miss Margaret coffin. You go see father[13]

Évidemment, c’était un moyen astucieux pour approcher discrètement Tong Lim. Malko pourtant répugnait à entrer dans ce cercueil.

Depuis qu’il était dans cet atelier funéraire, il luttait contre une impression désagréable. Comme un pressentiment.

Après tout, il ignorait si Tong Lim lui voulait du bien. Enfermer Malko vivant dans le cercueil de Margaret serait une façon bien chinoise de se débarrasser de lui… Il s’écarta du cercueil et dit :

— I dont want to.

La fille qui l’avait amené fronça les sourcils.

— You want to see Mr Lim, right ?

— Yes, dit Malko. But not like that.

Le Chinois et la fille l’observaient pensivement sans répondre. Et tout à coup, Malko découvrit ce qui le tracassait. La fille ne lui avait pas demandé d’argent !

Cela ne ressemblait pas à la rapacité de Linda. Une fois qu’il aurait vu Lim, elle n’aurait plus de prise sur Malko. Celui-ci fit un pas en arrière vers la porte. Souriant. Sans un mot, le vieux Chinois trottina jusqu’au rideau de fer et y donna un grand coup de coude.

La fille s’interposa entre la porte et Malko.

— You not see Mr Lim ?

Malko ne put pas répondre. Le tintamarre assourdissant d’une fanfare mortuaire venait d’éclater de l’autre côté du rideau de fer.

Il n’eut pas le temps d’atteindre la porte. La Chinoise avait fait un bond en arrière, plongeant la main dans un cercueil. Elle ressortit, brandissant un parang. Le Chinois au chapeau bleu se rapprocha à son tour. Dans la main droite, il tenait un crochet de fer.

Dehors la fanfare jouait toujours.

Appuyé au cercueil, Malko regarda autour de lui. Il n’y avait que deux issues : la petite porte et le rideau de fer baissé.

Il fonça, réussissant à éviter le crochet, commença à tambouriner sur le rideau de fer. Mais la cacophonie de l’orchestre couvrait le bruit. Personne ne devait se douter de quoi que ce soit dans Sago Street. Les fanfares jouaient sans arrêt.

Il se baissa pour tenter de soulever le rideau. Le cœur cognant dans la poitrine, furieux de s’être laissé piéger. À cause du bruit, il n’entendit pas deux autres Chinois surgir derrière lui. Ils avaient dû attendre, cachés dans le fond de l’atelier.

La fille cria d’une voix aiguë. Il se retourna. Ses deux adversaires brandissaient des armes étranges. Deux morceaux de bois réunis par une grosse chaîne. Ils se jetèrent sur lui sans un mot, et abattirent leurs armes.

L’un d’eux feinta, Malko parvint à l’éviter, mais le bâton de l’autre le frappa à la tempe ; il éprouva une douleur brève et violente, puis il lui sembla que le rideau de fer montait à sa rencontre. Il sentit un second coup frapper sa nuque, achevant de l’assommer. Il tomba. Le bruit de la fanfare résonnait douloureusement dans ses tympans, ses membres semblaient en coton. Il réalisa vaguement que les deux Chinois le tiraient par les pieds. Il entendit la voix aiguë de la fille, et maudit Linda. On le souleva. Sa tête heurta le bord du cercueil. Puis il bascula dans le cercueil capitonné de blanc, trop faible pour se débattre. D’abord la soie lui causa une sensation agréable contre sa joue. Puis l’horreur le submergea, viscérale, absolue. Il tenta de se soulever. Trop tard. Le couvercle glissa et claqua au-dessus de sa tête. Il était dans le noir total.

Sa tête l’élançait horriblement. Sans même s’en rendre compte, il perdit connaissance.

* * *

Un dragon de tulle rose de trois mètres de long se balançait doucement au rythme de son porteur, ouvrant le défilé qui se frayait lentement un passage le long de Sago Street vers New Bridge Road. La fanfare composée d’une dizaine de musiciens entourait une charrette tirée par quatre Chinois où se trouvait le massif cercueil de teck noir, recouvert de couronnes en plastique. Jouant à se faire péter les poumons. Derrière suivait un autre char croulant sous les couronnes et les dragons de papiers. Un camion attendait au croisement de Sago Street et de New Bridge Road.

Fasciné, le conducteur de l’engin de démolition stoppa la balle de fonte qu’il s’apprêtait à lâcher sur un pan de mur.

Dans Sago Street, les badauds s’écartaient respectueusement devant le convoi. Un mort riche, à en juger par l’amoncellement de fleurs et le cercueil de luxe… Or, en Chine, on respecte autant la mort que la richesse. Absorbé par le spectacle, le conducteur de l’engin ne prêta pas attention à trois jeunes Chinois qui se dirigeaient vers lui à travers le terrain vague. Il se trouvait à une dizaine de mètres en retrait de Sago Street. Tout se passa très vite. Les trois Chinois entourèrent l’engin. L’un d’eux bondit dessus, arracha le conducteur de son siège, s’installa à sa place.

En quelques secondes, il joua avec les leviers, le moteur rugit et l’engin, dans un grincement de chenille, s’ébranla. Médusé, le conducteur se releva pour se trouver nez à nez avec le couteau d’un des deux autres Chinois.

— Get away, fit simplement ce dernier.

Stupéfait et terrorisé, le conducteur regarda son engin cahoter à travers le terrain vague, en direction de la rue, balançant au bout de sa longue chaîne la masse de fonte qui lui servait à détruire les maisons. Comme un monstre préhistorique pris de folie… Avançant droit vers le convoi funèbre !

Alertés par le bruit, les badauds s’écartèrent précipitamment. Croyant d’abord à une fausse manœuvre. Puis des cris horrifiés fusèrent de la foule. L’engin se dirigeait droit sur le convoi funéraire ! La masse de fonte se balançant d’une façon menaçante au bout de sa chaîne. Deux Chinois couraient à côté, comme pour le protéger.

Dans un ultime grincement de chenille, l’engin arriva contre le chariot, ceux qui le halaient s’écartèrent précipitamment. La Chinoise à la tache dans l’œil surgit de la foule, rameutant les deux Chinois qui avaient assommé Malko. Elle poussa un cri perçant, le doigt tendu vers la masse qui se balançait maintenant au-dessus du cercueil.

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13

C’est le cercueil de Margaret. Vous allez voir son père.