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Il pouvait à peine passer dans la porte. Vêtu d’un pantalon et d’une chemise sans col, il devait mesurer 1 m 90 et peser 120 kg. Tout en muscles. Malko avait l’air d’un enfant à côté. Le chauffeur de John Canon avait un paquet enveloppé d’un chiffon dans une main et un sachet de plastique rempli de thé dans l’autre.

— Entrez, dit Malko.

L’Indien obéit, restant au garde à vous au milieu de la chambre.

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

Ibrahim déroula le chiffon avec un sourire angélique. La lame d’un parang brilla dans la lumière. Ibrahim avait l’air pourtant complètement inoffensif avec son crâne dégarni, ses yeux proéminents et son sourire doux. Il fit le geste de trancher une tête…

— En 1947, j’ai tué beaucoup de Sikhs, dit-il d’une voix douce. Je n’ai pas peur de me battre.

Encore une colombe de la paix !

Le chauffeur de John Canon contemplait, émerveillé, la chambre du Shangri-la.

— Je vais coucher là ? demanda-t-il.

Il désignait la moquette, au pied du lit. Malko sourit, malgré lui.

— Non, de l’autre côté.

Il alla jusqu’à la porte de communication et l’ouvrit. Il avait loué la chambre voisine. Ibrahim le suivit, muet devant une telle munificence.

— Nous laissons la porte poussée, dit Malko. Vous savez ce que vous avez à faire.

L’Hindou secoua énergiquement la tête.

— Oh yes, Sir, si quelqu’un vient, je le tue ! Et demain, à 4 heures, je vous conduis à l’enterrement de Miss Lim.

— Il ne faut pas tuer n’importe qui, précisa Malko.

Le retour en ambulance avait été spectaculaire à souhait. Malko avait traversé sur sa civière le hall du Shangri-la. Le reporter criminel du « Straits Time » lui avait rapidement posé quelques questions avant que les infirmiers ne l’enfournent dans l’ascenseur, au milieu des flashes des photographes.

Maintenant, il n’avait plus qu’à attendre l’enterrement. Malko n’avait pas encore fait le moindre plan. Même s’il devait « hijacker » la voiture de Tong Lim, il lui parlerait. Avec Ibrahim à côté, il se sentait plus tranquille. Détendu, il recommença à réfléchir, repassant tous les événements depuis son arrivée à Singapore. Recollant les morceaux du puzzle. Ceux qui l’avaient arraché au cercueil devaient suivre l’affaire Lim depuis le début. Mais il lui en fallait la preuve.

Il se leva et alla jusqu’au téléphone, retrouva le numéro de Sakra.

— Allô ? fit une voix basse et douce.

— C’est Malko Linge, le journaliste, annonça Malko.

Il y eut un long silence, puis Sakra Ubin dit d’une voix hésitante :

— J’ai vu les journaux de ce soir… Vous avez été kidnappé. J’espère que vous n’êtes pas blessé ?

— Je voudrais vous voir, dit Malko. J’ai plusieurs choses à vous dire.

Il y eut un silence, plein de réticence.

— Je travaille, dit Sakra Ubin. Et je ne vois pas ce que vous voulez me dire…

En dépit de la sécheresse du ton, Malko sentit un imperceptible amollissement de la voix.

— Je suis trop faible pour sortir, dit-il. Mais pourquoi ne venez-vous pas dîner à l’hôtel avec moi ?

Encore un interminable silence. Puis la Malaise dit d’une voix encore plus basse.

— Je ne sais pas. Je passerai peut-être.

Sakra Ubin jeta un coup d’œil plein de dégoût à la bouteille de Champagne aux trois quarts vide et repoussa sa chaise. Elle avait mangé de bon appétit la langouste et la salade de fruits arrosés de Dom Pérignon préparés sur la table dressée dans la chambre. Presque sans parler, comme si elle avait honte de se trouver là.

Maintenant ses yeux noirs comme du réglisse étincelaient dans la lumière tamisée de la lampe, avivés par l’alcool. Sa bouche épaisse et mauve était entrouverte sur ses dents éblouissantes, comme si elle avait du mal à respirer. Elle s’était harnachée bizarrement de soie noire, un vêtement compliqué à mi-chemin entre la robe et le deux-pièces, avec des agrafes partout, qui n’arrivait pas à enlaidir son corps épanoui. On aurait dit un énorme cancrelat parfumé. Parce que Malko avait remarqué qu’elle était parfumée. Arrosée de parfum plutôt.

Pour préserver sa pudeur, il avait fermé la chambre de communication, sachant qu’Ibrahim attendait, couché sur le tapis de l’autre côté.

Sakra se leva brusquement, tituba.

— La tête me tourne, dit-elle. Je ne me sens pas bien. Vous m’avez fait boire.

— Allongez-vous sur le lit, proposa Malko.

Sakra eut un sursaut, comme s’il lui avait dit une obscénité.

— Non, non, je vais rentrer…

Mais elle ne bougea pas, le front appuyé à la porte-fenêtre. Depuis le début du repas, Malko n’en avait rien tiré. Chaque fois qu’il effleurait la mort de son mari, elle se fermait comme une huître.

Il s’approcha derrière elle et lui mit les mains sur les épaules.

— Sakra ! dit-il, j’ai une question à vous poser.

Elle secoua la tête, se dégagea.

— Laissez-moi, je veux partir, je n’ai rien à vous dire.

— Vous savez quelque chose sur la mort de votre mari que vous ne m’avez pas dit, insista Malko.

— Non ! Laissez-moi.

Elle avait fait un bond de côté et sa voix avait pris des stridences hystériques. Agacé, Malko voulut lui prendre le bras. Sakra s’arracha si violemment et si abruptement qu’un morceau de soie noire lui resta dans la main avec une bretelle de soutien-gorge ! Le bout d’un sein apparut, lourd, ferme, avec une pointe presque bleue à force d’être sombre.

Sakra poussa un hurlement aigu, voulut courir, se prit le bout de sa chaussure dans le tapis et s’affala sur le lit ! Au même moment, la porte de communication s’ouvrit violemment sur le parang d’Ibrahim. La jeune Malaise tourna la tête et ses prunelles s’agrandirent encore.

— Ah, ah !

— Ibrahim, ça va, cria Malko.

Ibrahim disparut, rassuré, mais le mal était fait.

D’un coup de reins, elle se remit à quatre pattes sur la couverture et agrippa le téléphone. Elle tourna vers Malko des yeux de folle, aux prunelles agrandies.

— Salaud, fit-elle, ignoble personnage ! je vais appeler la police.

C’était un coup à se faire pendre haut et court, étant donné le puritanisme ambiant !

Malko plongea sur le lit et lui immobilisa le bras. Cherchant à la calmer. Mais le Champagne avait complètement fait tourner la tête à Sakra Ubin. Au lieu de lui répondre, elle se retourna et tenta de lui planter deux doigts dans les yeux !

Puis elle replongea vers le téléphone !

Du coup, Malko la retourna, tomba sur elle et se mit à la secouer comme un prunier. Fou de colère.

— Calmez-vous ! gronda-t-il. Je ne veux ni vous violer ni vous tuer !

Sakra ne bougeait plus, haletante, ses yeux noirs plongés dans ceux de Malko comme un animal acculé. Pour tenter de la calmer, il voulut caresser l’épaule découverte par le chemisier déchiré.

— Calmez-vous, Sakra, dit-il doucement. C’est un malentendu.

Il posa les doigts sur la peau brune et lisse, descendit, effleurant la naissance d’un sein. Brutalement, il sentit le ventre de l’Indienne qui bougeait, agité de frissons rapides, sans que son expression apeurée se soit modifiée. Cette espèce de pulsion animale déclencha chez Malko une onde de désir qui dut se voir dans ses yeux. D’un réflexe de fauve, Sakra envoya la tête en avant, la bouche ouverte et referma ses dents sur son poignet. En même temps, d’un violent coup de reins, elle le fit glisser sur le côté. Sa tête porta sur le rebord de la table de nuit à l’endroit du sparadrap. Il éprouva une douleur si violente que pendant quelques secondes, plus rien d’autre n’exista.