Выбрать главу

Oubliant l’horreur et le danger, il se précipita, tourna autour du lit pour stopper l’infernale giration. Il trouva derrière tout un panneau couvert de boutons, appuya au hasard et enfin, le lit cessa de tourner. En même temps la musique s’arrêta. Malko s’agenouilla sur le drap noir, près du Chinois, approchant sa tête du visage, des yeux clos. L’odeur fade du sang, des excréments et des humeurs effaçait même celle du « Heng-Kee ». À voix basse, il appela :

Lentement, très lentement, au son de sa voix, l’homme torturé tourna la tête vers lui, ouvrit les yeux. Malko y lut, avec stupéfaction, un mélange de douleur intolérable et d’extase ! Il comprit aussitôt. Pour prolonger l’agonie du supplicié, on lui avait administré de l’opium pour que le choc de la douleur ne le tue pas, qu’il ait le temps de souffrir.

— Mr Lim, dit-il, je suis Américain, je cherche à entrer en contact avec vous depuis longtemps.

Il attendit. Horrifié, n’arrivant pas à détacher ses yeux de la chair à vif. C’était un miracle que Tong Lim respire encore. Il se demanda pendant combien d’heures il avait résisté. Et ce qu’on avait voulu lui faire avouer. Où étaient ses bourreaux ? Ils avaient dû l’abandonner après qu’il eut parlé. Les lèvres du Chinois bougèrent soudain laissant tomber des mots anglais presque inaudibles, mais bien détachés. Étonnamment clairs pour l’état où il se trouvait.

— Le coffre… Au fond… rivière. Sous jonque verte… En face Reah Street.

Il s’arrêta. Il sembla à Malko qu’une amorce de sourire passait sur son visage. Comme s’il était soulagé.

Il guettait les battements de la poitrine sanguinolente.

Craignant à chaque seconde que le cœur ne s’arrêta. Les mots tombèrent à nouveau des lèvres du Chinois.

— Tous… les… papiers… pas… Ça !… Go ! They…

Il se tut. Malko sentit que cet effort était en train de pomper ses ultimes forces. Il luttait contre la mort avec une intensité incroyable pour un être aussi affreusement torturé.

Malko s’écarta du supplicié. Son pantalon demeura collé à son genou. Le sang. Il se remit debout le cerveau en ébullition. Si Tong Lim n’avait pas parlé, pourquoi ses bourreaux l’avaient-ils abandonné ? Il eut l’impression tout à coup qu’il se vidait de son sang. C’était un piège à la chinoise. Machiné avec l’aide de Linda. On savait qu’il allait venir. On l’avait laissé parvenir jusqu’à Lim sachant que Lim lui parlerait. Pour ne pas emporter son secret dans la tombe. Ensuite, il n’y aurait plus qu’à le lui arracher. Il ne résisterait pas autant que le Chinois. C’était machiavélique et parfaitement oriental.

Linda s’était rachetée auprès de la Spécial Branch. Elle avait vendu deux fois Tong Lim. À Malko et à ceux qui le recherchaient pour le tuer.

Malko écarta le rideau rouge, regarda la porte de laque noire. Où étaient-ils ? L’horreur, la rage, et l’excitation lui faisaient cogner le cœur dans la poitrine. Il ne pouvait rien faire pour Tong Lim, mais il avait peur de laisser la fillette derrière lui. Retournant près du lit, il examina rapidement le socle, cherchant s’il n’y avait pas un moyen de la libérer, manipula les interrupteurs. Un ronflement se déclencha et la partie supérieure du lit s’éleva d’un seul élan, d’une dizaine de centimètres, retomba avec une secousse douce, recommença… Malko mit quelques secondes à comprendre l’utilité de cet étrange système. Le ventre bombé de la fillette s’élevant et redescendant lui donna la clef. C’était une machine à faire l’amour !

Il suffisait de s’étendre sur la personne attachée à la partie centrale du lit en s’appuyant sur les parties latérales fixes, et le mécanisme faisait le reste… Il fallait être très paresseux, très compliqué ou très raffiné. Il avait déjà entendu parler de ce genre d’artifice à Hong-Kong. En vieillissant, les Chinois ne perdaient ni le goût de la nourriture, ni celui de la chair fraîche, mais ils essayaient de moins se fatiguer. Les deux avancées de part et d’autre de la tête du lit permettaient en mettant le sujet sur le ventre d’obtenir une fellation automatique et confortable… La tête montant et descendant avec le lit. Tout cela était pitoyable et tragique. C’est parce que Tong Lim n’avait pu renoncer à tous les petits plaisirs qu’il en était là. Il avait dû se bourrer de « Heng-Kee » et s’assouvir sur la fillette après l’enterrement de sa fille unique. Sans savoir que Linda le trahissait et lui apportait la mort avec le plaisir. Malko pensa à la prodigieuse force de volonté du Chinois qui était arrivé à ne pas parler. Tong Lim avait dû enfermer dans un coffre ses papiers secrets et le noyer ensuite dans la « Singapore River ». C’est ce coffre que ses adversaires cherchaient.

Malko abandonna le lit, arrêtant son va et vient. Impossible de détacher la fille, il fallait au plus vite fuir ce sous-sol avec son dangereux secret.

Il s’avança jusqu’à la porte de laque noire, et s’arrêta net. Les deux panneaux venaient de s’écarter de quelques millimètres, arrêtés par le verrou. Quelqu’un, de l’autre côté de la laque noire, essayait d’ouvrir.

Malko eut l’impression de se vider de son sang. Ceux qui se trouvaient derrière cette porte ne pouvaient être que les bourreaux de Tong Lim.

Un craquement le fit sursauter. La lame épaisse d’un parang venait de se glisser dans la fente, brillant d’un éclat sinistre. Tôt ou tard, ceux qui se trouvaient derrière la porte de laque noire allaient parvenir à ouvrir.

* * *

Il se précipita vers le rideau rouge, cherchant une issue. Tenant le mur autour du lit rond. Tout à coup, sa main s’enfonça dans le mur. Involontairement, il avait fait basculer un panneau, découvrant une niche. Et dans cette niche, il y avait un téléphone ! Il souleva le récepteur, entendit le bourdonnement de la tonalité.

Au fond de la pièce, il y eut un craquement de bois brisé : une hache venait de s’enfoncer dans la porte de laque !

Le récepteur en main, le pistolet dans l’autre, il chercha qui il pouvait appeler.

John Canon ne pouvait apporter aucun secours immédiat. La police de Singapour, elle, risquait de se mettre du côté des bourreaux de Tong Lim.

Phil Scott ne lèverait pas le petit doigt.

Les coups redoublèrent sur la porte, faisant voler des plaques de laque. À la hache et au parang, on essayait de défoncer le battant. Malko leva le bras et tira deux fois, au jugé.

Il y eut un cri derrière la porte, et les détonations retentirent, assourdissantes dans la petite pièce. Ce n’étaient que quelques secondes de répit. Le cerveau de Malko travaillait à toute vitesse.

Sani !

Dans sa mémoire, il chercha le numéro du Mandarin. Dès qu’il l’eut, il demanda la piscine. Un de ses adversaires avait réussi à glisser entre les deux battants de laque une barre de fer et tentait de faire sauter le verrou. Les secondes s’écoulaient interminables. La standardiste semblait l’avoir oublié. Malko tira encore un coup de feu vers la porte. Il lui restait trois cartouches.

— Allo ?

C’était la voix de Sani ! Malko faillit crier de joie.

— C’est Malko, dit-il. J’ai besoin de vous !

— De moi ?

La voix de Sani était pleine d’étonnement. Du côté de la porte, les coups redoublaient. Malko parlait à toute vitesse, essayant d’être le plus clair possible.

— Vous pouvez ? demanda-t-il.

— Je vais essayer, dit Sani d’une voix apeurée.

Du coin de l’œil, Malko surveillait le verrou en train de s’arracher. Il lui restait quelques secondes.

— Faites vite, dit-il.

Il raccrocha, repoussa le panneau qui dissimulait la niche, faisant disparaître le téléphone. Juste au moment où les battants de laque noire s’écartaient avec un craquement de bois arraché. L’énorme silhouette de Ah You apparut dans l’ouverture, suivi de plusieurs Chinois qui se ruèrent dans la pièce sans un mot.