Comme Malko levait son pistolet, un de ses adversaires lança dans sa direction un objet étrange : deux bâtons réunis par une chaîne qui s’enroula autour du poignet de Malko, déviant son tir. Une seconde plus tard il était submergé par la meute ! Il se retrouva cloué sur le tapis bleu. On lui tordit les bras derrière le dos, le visage enfoui dans la laine qui sentait le « Heng-Kee » et le sang, on lui arracha son arme.
Ah You dirigeait ses hommes par des interjections brèves, impassible, immobile au milieu de la pièce.
Trois Chinois traînèrent Malko vers le grand lit rond où reposait encore Tong Lim. Après l’avoir attaché avec des fils électriques, le réduisant à l’impuissance totale. Ah You s’approcha de lui, le dévisageant de ses petits yeux enfouis dans la graisse. Avec un soupir, il se laissa tomber sur le drap noir. Ses cuisses avaient la taille de la poitrine de Malko. Le Chinois posa un index boudiné sur sa gorge.
— Where is the safe[22] ?
Malko sentit une boule d’angoisse qui montait et descendait le long de sa gorge. À côté de lui, les jeunes Chinois étaient en train de défaire les liens qui attachaient le cadavre de Tong Lim au lit. Deux d’entre eux tirèrent le corps et le jetèrent par terre. Ah You appuya un peu plus son index et sourit. La moitié de ses dents étaient gâtées.
— You talk or I kill you, dit-il.
Malko ne répondit même pas. Le gros Chinois laissa encore son doigt un moment puis l’ôta. Il se redressa. Posément il ôta sa chemise, faisant apparaître un torse monstrueux, croulant sous les plis de graisse avec pourtant, une musculature puissante. Un des Chinois vint déposer près de lui un sac noir qu’il ouvrit. Il en sortit une arme qui ressemblait à un couteau de boucher. D’une main, Ah You prit la veste de Malko et, d’un seul geste, rabattit le couteau vers le bas. Malko sentit une brûlure le traverser comme un éclair. Sa veste et sa chemise étaient coupées sur toute leur longueur. La pointe avait à peine entaillé sa peau.
Il devait avoir l’air horrifié car Ah You éclata de rire. D’une seule main, il retourna Malko. Son couteau parcourut son corps en arabesques gracieuses, découpant tout ce qu’il avait sur lui y compris son slip. Quand la lame glacée frôla le bas-ventre, Malko dut serrer les dents pour ne pas hurler. Ah You prit Malko par les cheveux et dit d’une voix enjouée :
— You talk soon[23] !
Trois Chinois prirent Malko et le jetèrent sur le lit. Dans la glace du plafond, il vit se refléter les longues estafilades qui transformaient son corps en un lacis de traits rouges.
Sani avait passé une robe sur son maillot jaune sans même l’enlever, dans un état second. Heureusement, il y avait peu de monde à la piscine. Elle avait encore dans les oreilles la voix anxieuse de Malko. Elle était sa dernière chance. Il fallait qu’elle aille à l’autre bout de Singapour, dans Arab Street, à côté de la Mosquée pour trouver ceux qu’elle cherchait.
Le taxi qui la chargea lorgna dans le rétroviseur ses cuisses bronzées et nues avec concupiscence. Elle agita un billet de cinq dollars.
— Vite, vite. Je suis pressée !
Au lieu de descendre Orchard road, il tourna à gauche dans Scotts road pour rejoindre Bukit Timah, évitant la circulation. Sani, n’arrivait pas à calmer les battements de son cœur. Pourvu qu’elle arrive à temps. Et que celui qu’elle cherchait se trouve là.
Ah You respirait lourdement, penché sur Malko. Dans le silence de la chambre, on n’entendait plus que les souffles des deux hommes et un cri, de temps en temps, échappé à Malko. Les autres Chinois s’étaient, soit, assis sur l’épais tapis bleu, soit étaient remontés à l’extérieur, surveiller les abords de la maison.
La bouche ouverte, Malko essayait de contenir sa douleur. Il sentait la pointe d’acier pénétrer dans sa chair, suivre les sillons déjà existant en les creusant chaque fois un peu plus. Le sang ruisselait sur son torse, seule partie à laquelle s’était encore attaqué Ah You. Le couteau avait dessiné sur sa peau une série d’arabesque sanglantes, comme de monstrueux tatouages.
À chaque passage, Ah You enfonçait la lame d’un demi millimètre supplémentaire, avec la précision d’un chirurgien, le front plissé, avec une espèce de férocité joyeuse. Il n’avait plus posé de question à Malko. Ce dernier savait que le Chinois n’en poserait de nouveau que lorsqu’il serait devenu une loque sanglante, qu’il aurait perdu la moitié de son sang. Avec terreur il se demandait à quel moment il serait obligé de parler. Suivant par la pensée les démarches de Sani.
Sans aucune illusion. Même s’il disait ce qu’il savait, Ah You le tuerait et, probablement continuerait à le torturer. Juste pour se faire la main.
Le Chinois posa son couteau avec un petit soupir. Un filet de sang coulait le long du ventre de Malko jusqu’à l’intérieur de ses cuisses. Ah You glissa sa main entre elles, saisit les testicules comme pour les soupeser les serrant un peu. Puis la pression s’accentua. Malko sentit une sueur froide perler à son front. Il tint le coup, dix secondes, vingt, trente, puis son hurlement jaillit, à s’arracher le gosier. La grosse main de Ah You serrait toujours, causant une douleur insoutenable, intolérable. Malko vomit, cria, se débattit, toussa, l’estomac arraché, déchiré, puis plongea d’un coup. Le dernier son qu’il entendit fut le rire d’un des Chinois affalé sur le tapis bleu. Appréciant en connaisseur. Ah You déçu, se leva.
Il fallait laisser au supplicié le temps de reprendre des forces. Il s’approcha de la fillette toujours liée, se pencha sur elle et, pour s’amuser, enfonça son index épais dans son sexe, comme pour la sonder. La fillette poussa un cri de souris terrorisée. Agacé, Ah You recourba son doigt en forme de crochet et souleva. Elle cria. Il la laissa aussitôt retomber. Brusquement, il eut une idée. À cause de son poids, il ne faisait que rarement l’amour. Il alla jusqu’à la tête du lit, se hissa pesamment sur les deux avancées de cuir noir, se cala sur les dossiers, ouvrit son pantalon et tira vers lui la tête de la fillette. Un de ses hommes accourut avec les clefs prises à Tong Lim délia la fillette et la rattacha aussitôt sur le ventre, sans même qu’elle esquisse un geste de défense. Puis il mit le système électrique en marche.
Le lit commença à se soulever et à retomber. Docilement la fillette allongea le cou afin de pouvoir atteindre Ah You. Le Chinois ferma les yeux de volupté. Les plaisirs de la luxure étaient comparables à ceux offerts par la torture… Le grand-père de Ah You avait été bourreau dans le Setschouen et lui avait transmis ses petits secrets. Une exécution pouvait durer deux jours ou trois. Selon la résistance du patient. Tandis qu’il sentait son membre prendre vie dans la bouche de la fillette, Ah you se laissa aller complètement. Il avait tout son temps. Ce n’était certes pas la police qui interviendrait. Il ferma les yeux comme le plaisir montait doucement dans ses reins. La petite Hindoue l’avalait rythmiquement, abrutie de terreur, attentive à lui donner un maximum de plaisir.
Hin, le second de Ah You avait posé son Leng Chaku[24] près de lui et s’était installé dans la véranda, allongé sur canapé. Deux de ses hommes surveillaient l’entrée de Holland Road. La vieille amah qui avait ravitaillé Tong Lim reposait sous un tas de branches au fond du jardin, égorgée. Personne ne venait dans cette étrange maison inhabitée que le Chinois milliardaire avait racheté en sous-main pour en faire son centre de plaisir. Même sa fille Margaret ne savait pas où elle se trouvait.