La jeune femme secoua la tête.
— Je ne peux pas. Il a besoin de moi. Et puis, dès que nous aurons l’argent, nous partirons à Tahiti. Là-bas, ce sera différent.
Il la regarda : elle parlait sérieusement. La soumission à ce degré-là, c’était incroyable. Soudain, une idée folle ferma dans son cerveau.
— Où est Scott ?
— Au bureau ou en ville, dit-elle.
— Très bien, dit-il. Je passerai vous voir demain au Mandarin. Ne vous inquiétez pas.
Il prit son pistolet, ramené par ses sauveurs, et le glissa dans sa ceinture. Le chargeur contenait encore trois cartouches. Il descendit l’escalier derrière elle, se glissa dans le petit couloir étroit qui donnait sur Johore Road, cligna des yeux sous le soleil éblouissant. Au moment où il s’éloignait, il vit une Datsun blanche et noire de la C.I.S.C.O.[27] franchir le carrefour à toute vitesse et stopper devant la clinique du Dr Hassad.
Linda n’avait pas perdu de temps.
Il s’éloigna, maîtrisant les battements de son cœur. Cela signifiait deux choses. D’abord que le coffre était toujours au fond de la rivière. Ensuite, que ceux qui lui avaient envoyé Ah You n’avaient pas renoncé à le trouver.
Chapitre XVII
Sakra Ubin demeura clouée sur le pas de sa porte, comme si elle voyait le diable. Son corps dodu était enveloppé dans un peignoir rose et elle était pieds nus.
— Vous ! dit-elle à voix basse.
Malko regarda le couloir désert derrière lui. Il était volontairement monté à pied pour éviter les rencontres dans l’ascenseur, et il tenait à ce que personne ne le voie entrer chez la veuve du journaliste. Il sourit et s’avança dans l’embrasure de la porte.
— J’ai besoin de vous voir.
Aussitôt, la jeune femme tenta de pousser la porte, le visage fermé, les lèvres épaisses serrées en une expression hautaine, presque méchante.
— Allez-vous-en !
Malko avait déjà glissé son pied dans l’entrebâillement. Doucement, mais fermement, il repoussa la Malaise à l’intérieur, referma la porte. L’heure n’était plus aux ronds de jambe. Comme Sakra ouvrait la bouche pour crier, il s’approcha, la prit par la taille et l’attira contre lui. Elle sentait le jasmin. Son ventre réagit aussitôt, à la façon d’une bête autonome, s’appuyant contre lui, Sakra ne cria pas, comme un lapin fasciné par un cobra. Malko lui passa doucement la main dans les cheveux, puis descendit, épousant la courbe d’un sein, à travers l’échancrure du peignoir, découvrant la pointe presque violette à force d’être sombre.
— Salaud ! murmura la Malaise.
Mais elle ne chercha pas à lui échapper. Ses doigts jouant sur sa peau, Malko lui dit gentiment :
— J’ai besoin de coucher ici, ce soir, Sakra. Je partirai demain matin et je ne vous toucherai pas… Je suis fatigué. On me cherche. Je peux avoir confiance en vous. N’est-ce pas ?
Il la lâcha. Elle s’écarta, drapant son peignoir autour d’elle, cachant sa poitrine.
— Il n’y a qu’un lit, dit-elle. Vous allez encore me violer…
Comme il ne répondait pas, elle lui tourna le dos et se dirigea vers la pièce voisine. Il la suivit. Il y avait un lit très bas, presque au niveau du sol. Sans ôter son peignoir Sakra s’y laissa tomber, le dos tourné à Malko. Celui-ci se déshabilla rapidement. Il faisait plus frais que chez le Dr Hassad et il se sentait plus en sécurité. Il s’allongea sur le dos, respirant profondément.
Il sentit la fatigue, s’endormit d’un coup sans s’en rendre compte. Quelque chose de soyeux, de lisse et de tiède le réveilla beaucoup plus tard. D’abord, tendu, inquiet, il resta rigoureusement immobile dans le noir, essayant de renouer avec la réalité. Il était toujours sur le dos. Sakra Ubin était allongée contre lui, de tout son long, sans son peignoir. Elle se frottait comme une chatte, la bouche dans son cou, là où elle l’avait mordu la première fois où ils avaient fait l’amour. Une de ses mains emprisonnaient son sexe avec douceur. Un flot de sang descendit dans son ventre. Après les horreurs, les tensions, les dangers des derniers jours, Malko se retrouvait brusquement dans un autre univers. En quelques secondes, son désir fut à son maximum, sans que les doigts de Sakra Ubin aient bougé. Elle était immobile, semblait ne pas respirer.
Sans un mot, Malko bascula sur le côté, glissant une jambe entre les siennes, l’écrasa, entra en elle d’une seule poussée, demeura immobile quelques secondes. Puis Sakra gémit et noua ses mains dans son dos, balbutiant des mots malais sans suite, les reins creusés, les cuisses repliées, onctueuse et accueillante. Malko se retint de hurler : les ongles meurtrissaient ses blessures encore fraîches, mais il se concentra sur son plaisir. Il se dit qu’un jour il ferait l’amour pour la dernière fois et qu’il ne le saurait pas. Cela lui donna encore plus de force et, appuyé sur les coudes, il s’enfonça dans Sakra avec violence. Déclenchant un orgasme irrésistible, entrecoupé d’injures, de cris, de gémissements.
Puis, les cuisses repliées pour mieux l’accueillir, retombèrent doucement à côté des siennes.
— Laissez-moi, murmura la jeune femme.
Elle glissa sous Malko, s’éloigna, s’écarta, se retourna, recroquevillée à l’autre bout du lit. Cinq minutes plus tard, il entendit son souffle changer de rythme : elle dormait. À croire qu’elle ne s’était jamais réveillée.
Apaisé, il se rendormit à son tour.
Le bruit de la pluie sur les vitres réveilla Malko. Il se dressa sur le lit. Sakra avait disparu. Le peignoir rose gisait en tas, par terre. Il regarda sa montre : 9 heures. Il se leva, se jeta sous la douche minuscule, moins forte que l’averse tropicale qui tombait dehors.
Dans la cuisine, il trouva du thé encore chaud. Il en but trois tasses avant de s’habiller, et de glisser son pistolet dans sa ceinture. Il y avait de fortes chances pour qu’il ne revoit jamais Sakra, ni cet endroit. Il avait rarement rencontré une femme aussi sensuelle sous des dehors aussi vertueux… Le couloir gris le ramena à la réalité. Tout allait se jouer dans l’heure qui suivait.
Dans Havelock Road, il trouva un taxi facilement, mais fut trempé en quelques secondes. Pourtant, il faisait toujours aussi chaud.
Les pupilles de Sani se dilatèrent en une fraction de seconde, comme un oiseau de nuit surpris par la lumière. Un sarong trempé moulait ses formes somptueuses.
— Vous êtes fou de venir ici ! dit-elle à voix basse. Il est là…
Malko avait traversé le petit jardin en friche sans bruit. Par prudence, il s’était fait déposer en face du Hilton et avait monté Anguilla Road à pied. La pluie avait cessé de tomber et un soleil radieux brillait sur Singapour. Sa nuit chez Sakra Ubin l’avait reposé.
— Je sais, dit-il. C’est lui que je viens voir, Sani, pas vous. Où est-il ?
La Tamil fixa Malko, terrorisée.
— Vous n’allez pas…
— N’ayez pas peur. Où est-il ?
— Il prend sa douche, mais…
Il l’écarta et pénétra dans la petite maison. Le bruit de l’eau le guida jusqu’à la salle de bains. À travers la paroi vitrée, il aperçut la silhouette de Phil Scott. Calmement, Malko fit coulisser la porte de la douche et recula d’un mètre pour ne pas être éclaboussé.
— Eh, tu as…
Le cri de l’Australien s’arrêta brusquement en voyant Malko et le pistolet braqué sur lui.
— Sortez de là, dit Malko d’une voix neutre.
Les yeux de l’Australien étaient devenus presque transparents. Sans même arrêter la douche, il demeura immobile, dégoulinant et nu comme un ver. Malko leva le canon de l’arme et appuya sur la détente. La détonation se confondit avec le cri de terreur de Phil Scott. La balle avait pulvérisé un carreau de faïence derrière lui.