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Sani surgit comme une folle et s’arrêta en voyant la scène.

— Scott, dit Malko, vous êtes une ordure. Combien avez-vous touché pour me donner ?

L’Australien passa sa main dans ses cheveux trempés.

— Qu’est-ce que vous voulez dire…

— Vous savez très bien ce que je veux dire, fit Malko. Vous avez battu Sani pour lui faire avouer où j’étais. Deux heures après la police est venue.

Il vit la peur dans les yeux bleus de l’Australien. Une peur viscérale, absolue. La décomposition. La drogue et l’alcool en avaient fait une loque. Le vernis se dissolvait devant lui. Il n’était plus qu’un homme traqué dont le menton tremblait.

— Bon sang, fit Scott, ne faites pas ça, je vais vous expliquer…

Il ne quittait pas des yeux le canon du pistolet braqué sur lui. Mais Malko savait qu’il ne tenterait aucune action violente.

Sani se jeta contre Malko.

— Ne le tuez pas ! supplia-t-elle, ne le tuez pas, il n’est pas méchant.

Derrière eux, la douche continuait à couler. Malko sentit que l’Australien avait atteint le comble de terreur.

— Scott, dit-il, vous pouvez sauver votre peau. À une condition.

— Ce que vous voulez ! cria l’Australien. Ce que vous voulez.

Il frissonnait malgré la chaleur, les traits défaits, le menton en gélatine, les yeux hagards.

— Vous êtes un plongeur sous-marin expérimenté, n’est-ce pas ?

— Oui ?

— Vous allez faire un travail pour moi. J’ai besoin d’un plongeur, d’une dépanneuse, d’un filet très solide, d’un matériel de plongée sous-marine. Des bouteilles et tout ce qu’il faut. Sani sait plonger aussi ?

— Oui, répondit Sani.

— Bien, dit Malko. Prenez trois équipements. Le cas échéant, je vous aiderai, mais je ne pense pas que cela soit nécessaire. Ensuite, nous serons quittes…

Phil Scott se recomposait imperceptiblement. Il dit d’une voix tremblante :

— Si je fais cela, vous savez bien ce qui va m’arriver…

— Il ne vous arrivera rien, dit Malko. Dès que nous aurons fini cette opération vous toucherez 200 000 dollars Singapour. En cash. Et vous pourrez aller vivre à Tahiti avec Sani. Puisque c’est votre rêve. Là-bas, le « Spécial Branch » vous laissera en paix…

Il y eut un long silence. Sani fixait l’Australien avec toute l’intensité dont elle était capable. Malko avait bien pesé le pour et le contre. La peur de mourir et l’appât du gain étaient des attraits suffisants pour Phil Scott. La perspective de réaliser son rêve faisait de Sani sa meilleure alliée.

— À combien, il faut plonger, demanda l’Australien.

— Pas plus de dix mètres.

— Quand ?

— Ce soir, dit Malko. Vous m’attendrez dans le parking du Mandarin. Avec tout. Pour la dépanneuse, le mieux est de la voler.

Il chercha le regard de Sani.

— Sani, dit-il, empêchez-le de faire des bêtises.

La jeune Tamil empêcherait Phil Scott de se livrer à ses mauvais instincts. D’ailleurs ce qu’il offrait à l’Australien avait assez d’attraits pour qu’il ne songe pas à trahir.

Avant de quitter la pièce, il se retourna :

— Scott, dit-il de toutes façons, ils vous tueraient si vous me trahissiez. Vous le savez, n’est-ce pas ?

L’Australien ne répondit pas. Il savait que Malko avait raison.

* * *

Malko attendait dans la cabine téléphonique, dans le hall du Hilton. On avait été prévenir John Canon dans son meeting. C’était une imprudence de téléphoner à l’ambassade, mais il n’avait pas le choix. Enfin, il entendit la voix de l’Américain faire « allô ».

— C’est moi, dit Malko.

— Ah, je commençais à être inquiet, dit John Canon. Tout va bien.

— Notre ami est arrivé de Washington ?

— Il arrive ce matin.

— Très bien, j’ai besoin de ce que nous avons convenu. Je vous attendrai dans une heure. Dans le hall de la Bank of China.

C’était juste en face de la banque où le chef de station de la C.I.A. allait retirer ses fonds. Et d’après ce que savait Malko de l’histoire Lim, un des endroits les plus sûrs de Singapour pour lui. Ce ne devait pas être l’avis de l’Américain qui demanda avec réticence.

— Vous êtes sûr de l’endroit ?

— Certain, confirma Malko. À tout à l’heure.

Il raccrocha et sortit de la cabine. Si tout se passait bien, il lui restait quelques heures avant de connaître le secret de Tong Lim.

Dans le taxi, Malko déplia le « Straits Times ». Sur huit colonnes, la manchette annonçait : « 800 millions de larmes pour CHOU EN LAI ». Le Président de la Chine communiste était mort la veille. À lire le journal, on ne se serait pas douté que Singapour faisait profession d’anticommunisme. Six pages entières étaient consacrées à l’éloge posthume du Premier ministre chinois.

L’Asie était décidément bien difficile à comprendre.

Il se fit déposer au coin de Shenton Way pour éviter les sens interdits. Le grand building gris de la Bank of China avait le style soviétique des années trente. Égayé provisoirement par des dizaines de couronnes de fleurs montées sur des perches, appuyées contre le mur de la banque. Hommages à CHOU EN LAI. Des centaines de Chinois faisaient patiemment la queue le long des couronnes, venus signer le livre de condoléances.

Malko grimpa les quelques marches du porche et se retrouva dans un gigantesque hall. Un énorme livre d’or gardé par quatre fonctionnaires chinois trônait en face de la porte tournante, signé au fur et à mesure par les visiteurs. Il regarda autour de lui. John Canon n’était pas encore là.

Soudain, il aperçut la haute silhouette de John Canon franchir la porte tournante. L’Américain portait des lunettes noires et avait à la main un gros attaché-case noir.

Il se dirigea vers Malko.

Les deux hommes se serrèrent la main. John Canon regarda autour de lui. Mal à l’aise. Ils étaient les deux seuls non-chinois.

— Je vais opérer ce soir, dit Malko. Restez chez vous. Si vous ne me voyez pas, c’est que cela a mal tourné et que vous n’y êtes pour rien. Je vais attendre un peu ici. Je préfère que vous partiez le premier… Heureusement que vous m’aviez dit que Singapour était un pays amical… ajouta-t-il.

John Canon secoua la tête.

— Je ne comprends pas. Lee Kuan Yew est en excellents termes avec nous. L’ambassadeur me l’a encore répété hier.

— Qu’est-ce que cela serait s’il ne nous aimait pas, soupira Malko.

John Canon lui serra longuement la main. Malko prit l’attaché-case et s’installa près d’une table, comme s’il attendait quelqu’un. Il vit l’Américain disparaître dans la porte tournante avec un petit pincement au cœur.

Il était seul pour la fin de l’opération. Avec pour aides, une Tamil un peu demeurée et un aventurier prêt à toutes les trahisons.

Il s’astreignit pendant cinq minutes à observer les Chinois qui venaient sagement signer leur livre de condoléances. On se serait cru dans une cathédrale, pas dans une banque. Enfin, il se dirigea vers la sortie, l’attaché-case à la main.

Au moment où il allait franchir la porte tournante, un Chinois s’avança vers lui. Souriant. Vraisemblablement un employé de la banque.

— Mr Hong-Wu voudrait vous parler, dit-il en anglais.

Comme s’il avait connu Malko toute sa vie. Celui-ci lui fit face, surpris et inquiet. Tout à coup sa mémoire se déclencha. Ce nom, c’était celui de l’informateur de Tan Ubin !