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La détonation claqua et un petit geyser d’eau sale jaillit devant la barque. Il avait volontairement visé trop loin. Mr Hong-Wu avait dit vrai… Ils hurlèrent encore des menaces. Puis disparurent à la vue de Malko. La barque était au milieu de la rivière. À cause de la circulation, cela prendrait aux policiers dix bonnes minutes pour rejoindre le point où il allait aborder en passant par le pont de South Bridge Road.

Trois minutes plus tard, la barque heurtait le ciment du quai opposé. Un petit escalier menait au niveau de la rue. Malko l’escalada, suivi du jeune Chinois. Un autre Chinois l’attendait, jeune également, l’air sérieux, à côté d’une antique Austin dont le moteur tournait.

— Come ! dit-il. Quick.

Malko s’y engouffra. Suivi du godilleur. Le nouveau venu prit le volant et se lança sur le quai, remontant tant vers South Bridge Road. Décidément, Mr Hong-Wu avait tout prévu.

Ils roulèrent en silence, quittant le quai pour River Valley Road, se dirigeant vers le nord, puis le chauffeur se tourna vers Malko.

— Where you go ?

Question embarrassante. Le cercle se refermait sur lui. Il fallait qu’il échappe aux hommes de la « Spécial Branch » et à leur alliés jusqu’au soir. Il était sûr qu’ils surveilleraient l’ambassade américaine et le domicile de John Canon. Tout à coup, il eut une idée. Même la maison de Phil Scott pouvait être dangereuse.

— Déposez-moi au Mandarin, dit-il.

L’Austin roulait doucement dans la circulation intense de Grange Road. Dix minutes plus tard, Malko descendait en face du Mandarin, et pénétrait dans l’énorme hall. Il fila droit au desk, inspecta rapidement les casiers des clefs.

— Le 2715, demanda-t-il.

Une employée chinoise lui tendit la clef sans même le regarder… Au 15e étage, Malko entra dans « sa » chambre et referma la porte. Il y avait des bagages ouverts partout, mais la chambre avait été faite. Il se laissa tomber dans un fauteuil. Personne ne viendrait le chercher là.

Pour l’instant du moins…

* * *

Le bruit de la clef qui tournait dans la serrure fit sursauter Malko.

Sans quitter le fauteuil, il braqua son pistolet sur la porte. Il vit d’abord une mini-jupe rouge, puis une Malaise grassouillette, suivie d’un gros blanc d’une cinquantaine d’années, suant et soufflant. Les nouveaux arrivants s’immobilisèrent, sur le pas de la porte. Stupéfaits.

— Entrez, dit Malko, souriant.

Automatiquement, le blanc referma la porte. C’est tout ce que Malko voulait. Sans lâcher son pistolet, il annonça :

— N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. Nous allons seulement passer quelques heures ensemble. Ensuite, je vous laisserai…

La fille le fixait, les yeux agrandis de terreur. Son compagnon balbutia quelque chose d’inintelligible en anglais.

— Asseyez-vous sur le lit, ordonna Malko d’un ton plus ferme. Et surtout ne criez pas. Sinon, je serais obligé de tirer.

* * *

L’ascenseur stoppa avec une petite secousse au rez-de-chaussée. Malko en sortit rapidement et se dirigea vers la petite porte qui donnait sur le parking derrière le Mandarin, évitant de traverser le hall. Tout s’était bien passé. Ses « hôtes » involontaires devaient encore se demander ce qui s’était passé. Ils avaient dîné dans la chambre tous les trois, comme de vieux amis mais sans un mot. Malko leur avait fait assez peur pour qu’ils ne se ruent pas sur le téléphone dès qu’il serait hors de la chambre… Il était 1 heure du matin. Il y avait peu de voitures dans le parking et il aperçut tout de suite un camion-grue jaune tous feux éteints.

Il se dirigea vers le véhicule. Phil Scott était au volant, Sani à côté de lui. Malko monta à son tour.

— Vous l’avez volé ? demanda-t-il.

— On n’a pas pu faire autrement, fit nerveusement l’Australien. Si vous croyez que c’est facile…

Il mit en route et sortit du parking. Sani n’avait pas dit un mot.

— Où allons-nous ? demanda Scott.

— River Valley Road, dit Malko. Avant d’arriver à Hill Street, il y a une petite rue qui part du quai, à gauche. Reah Road. Vous la prenez et vous allez jusqu’au quai. Vous avez l’équipement ?

— Ouais, dit Phil Scott.

À son haleine, Malko se dit que l’Australien avait dû terminer sa bouteille de Gaston de Lagrange. Sans soda.

Ils n’échangèrent plus un mot jusqu’à la rivière. Large d’une trentaine de mètres, encombrée de centaines de jonques qui ne laissait qu’un étroit passage, elle serpentait d’ouest en est sur deux kilomètres, séparant les vieilles demeures de Chinatown du majestueux Parliament House et du City Hall. Le quai était absolument désert. Malko fit manœuvrer la camion-grue, de façon à ce que l’arrière soit au ras du quai, surplombant l’eau. Il y avait d’autres camions garés sur le quai. Toutes les boutiques étaient fermées, les vieilles maisons obscures. Malko montra l’eau noire à l’Australien. Le quai, à cet endroit, formait une sorte de pointe. Une grosse jonque y était amarrée. Vert-sale, comme le vérifia Malko à la lueur des phares.

— Vous allez plonger ici sous cette jonque, dit Malko. Dessous, il y a un coffre. Il est peut-être enfoui dans la vase. Il faut le remonter.

L’Australien regarda l’eau noire et gluante de saleté.

— Combien pèse-t-il ? S’il est dans un mètre de vase, on ne le trouvera pas.

— Je ne sais pas.

— Bon, je vais me préparer, soupira l’Australien.

Tout le matériel se trouvait à l’arrière, Sani aida à fixer la bouteille d’oxygène sur le dos de Scott.

Malko surveillait le quai désert. Lorsque Phil Scott fut prêt, il s’approcha de lui.

— Si vous me dites qu’il n’y a pas de coffre, avertit-il, je redescendrai avec vous. Alors, pas de blagues.

L’Australien ne répondit pas. Malko le regarda disparaître dans l’eau noire, avec son masque, ses palmes et sa bouteille dans le dos. À sa ceinture, il portait tout un échantillonnage d’outils dont une lampe sous-marine.

Les secondes commencèrent à s’écouler, interminables. Comme Phil Scott était sous la grosse jonque, on ne pouvait rien distinguer de son activité. Sani attendait, dans la cabine du camion-grue. Impassible, Malko vint s’asseoir près d’elle.

— Comment a-t-il été aujourd’hui ? demanda-t-il.

Elle tourna vers lui ses yeux pleins d’une joie nouvelle.

— Il n’a rien dit. Vous lui avez fait peur ce matin. Et il est content d’avoir l’argent. Moi aussi, je suis contente. Nous allons partir. Cette nuit. Nous prendrons l’avion de Kuala-Lumpur. Je ne reviendrai jamais à Singapour.

Le silence retomba. Le camion-grue ressemblait à tous les autres véhicules stationnés sur le quai. Malko essayait de contrôler sa respiration pour ne pas être trop nerveux. Il consulta sa montre. L’Australien était au fond de la rivière depuis sept minutes.

Une éternité.

Il perçut soudain, un infime clapotis et sauta hors du camion, s’approcha du quai. Il vit grandir la lueur jaunâtre, puis la tête de Scott émergea. S’accrochant d’une main au quai, il ôta son masque de l’autre et leva la tête vers Malko.