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— Pauvre chou, dit Mellberg en se préparant une nouvelle tartine. Avoir mal au ventre comme ça tout le temps. Heureusement que je suis né avec un estomac d’acier, moi.

Patrik se tenait devant le tableau blanc, dans la cuisine du commissariat. Il avait fixé une carte de Suède au mur et marqué avec des épingles les points où les filles avaient disparu. Un cas antérieur pour lequel ils avaient aussi piqué des épingles sur une carte de la Suède lui revint à l’esprit. Une affaire qu’ils avaient résolue. Il espéra de tout cœur qu’ils y parviendraient cette fois encore.

Le matériel d’enquête qu’Annika avait collecté auprès des autres districts formait quatre piles sur la table à côté de lui, une pour chaque disparue.

— Nous ne pouvons pas travailler en considérant la mort de Victoria comme un cas isolé, nous devons nous tenir constamment informés des enquêtes en cours sur les autres disparitions.

Martin et Gösta hochèrent la tête. Mellberg était arrivé au commissariat ce matin pour ressortir presque immédiatement sous prétexte de promener Ernst, ce qui signifiait en général qu’il allait faire un tour à la pâtisserie voisine et resterait absent une bonne heure. Ce n’était pas un hasard si Patrik avait choisi de faire le point maintenant.

— Tu as eu des nouvelles de Pedersen ? demanda Gösta.

— Non, mais il nous contactera dès qu’il aura terminé l’autopsie. Je sais que nous avons déjà passé tout cela en revue, mais je voudrais vous rappeler les faits une fois encore, par ordre chronologique. On ne sait jamais, quelque chose en sortira peut-être.

Patrik prit le premier dossier et consulta les documents avant de se retourner et d’écrire sur le tableau blanc.

— Sandra Andersson. Disparue il y a deux ans, peu avant de fêter ses quinze ans. Elle habitait à Strömsholm avec sa mère, son père et sa petite sœur. Les parents sont propriétaires d’un magasin de prêt-à-porter. Famille sans problèmes, à ce qu’il paraît. Toutes les déclarations convergent pour décrire Sandra comme une adolescente extrêmement sérieuse. Niveau scolaire excellent. Son objectif était d’entrer en fac de médecine.

Patrik montra une première photo. Sandra était brune, mignonne, avec un regard sérieux et intelligent.

— Loisirs ? demanda Martin en avalant une gorgée de café, puis il fit une vilaine grimace et reposa la tasse.

— Aucun en particulier. Elle semblait se concentrer sur ses études.

— Rien de suspect pendant la période précédant sa disparition ? dit Gösta. Des appels anonymes ? Un rôdeur dans le jardin ? Des lettres ?

— Des lettres ? s’étonna Patrik. Vu son âge, ce serait plutôt des mails ou des SMS. Les mômes d’aujourd’hui ne savent pas ce que c’est, une lettre ou une carte postale.

Gösta renifla.

— Je sais, je ne suis pas un fossile quand même. Mais qu’est-ce qui te dit que le ravisseur était connecté ? Il appartient peut-être à la génération courrier escargot. Tu n’y avais pas pensé, hein ?

L’air triomphant, Gösta croisa les jambes. À contrecœur, Patrik dut admettre que son collègue avait marqué un point.

— En tout cas, rien de tel n’a été mentionné. Et les policiers de Strömsholm sont aussi minutieux que nous. Ils ont interrogé les amis et les camarades de classe de Sandra, ils ont passé sa chambre au peigne fin, ils ont analysé son ordinateur, examiné tous ses contacts. Sans rien trouver d’anormal.

— Ça, c’est plutôt suspect, une ado qui ne manigance rien, marmonna Gösta. Ou du moins pas très conforme, je dirais.

— Moi, ça me fait rêver, soupira Patrick.

Il redoutait ce qui les attendait, Erica et lui, quand Maja atteindrait l’adolescence. Il en avait trop vu, dans son métier, pour ne pas avoir le ventre serré en songeant à cette période.

— C’est tout ce qu’on a ? Elle a disparu où ? demanda Martin en jetant un regard soucieux sur les quelques lignes inscrites au tableau.

— En revenant de chez une copine. Elle n’est jamais arrivée à la maison, et ses parents ont fini par alerter la police.

Patrik n’eut pas besoin de consulter ses documents. Il les avait déjà étudiés mille fois. Il posa le dossier de Sandra et prit le suivant.

— Jennifer Backlin. Quinze ans. Elle a disparu de Falsterbo il y a un an et demi. Situation familiale sans problèmes, comme Sandra. La famille fait partie de ce qu’on pourrait appeler le gratin local. Le père est propriétaire d’une société d’investissement, la mère est femme au foyer. Elle a une sœur. Le bulletin de Jennifer était plutôt moyen, en revanche c’était une gymnaste prometteuse, elle allait intégrer un lycée sportif.

Il montra la photo d’une brune souriante aux grands yeux bleus.

— Un petit ami ? Question valable pour Sandra aussi, d’ailleurs, pointa Gösta.

— Jennifer avait un copain, mais il a été rayé de l’enquête. Sandra n’avait pas de petit ami, répondit Patrik en prenant son verre d’eau. Et la rengaine habituelle : personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu. Pas de conflits dans la famille de Jennifer ni dans le cercle d’amis, aucun incident suspect avant ou après sa disparition, rien sur le Net…

Patrik griffonna sur le tableau. Les informations se rapportant à Jennifer ressemblaient de façon inquiétante à celles sur Sandra. Surtout le manque d’indices et de renseignements utiles. C’était étrange. D’habitude on trouvait toujours des gens qui avaient vu ou entendu quelque chose. Là, ces filles s’étaient pour ainsi dire volatilisées.

— Kim Nilsson. Un peu plus âgée que les autres, seize ans. Elle a disparu de Västerås il y a environ un an. Les parents tiennent un restaurant assez chic, Kim leur donnait un coup de main de temps en temps, avec sa sœur. Pas de petit ami. De très bonnes notes, aucun loisir particulier, à part l’école qui semblait lui tenir à cœur, comme Sandra. Selon les parents, elle rêvait d’étudier l’économie à l’université pour monter sa propre entreprise.

Encore une photo d’une jolie adolescente brune.

— Tu peux faire une pause ? Il faut que j’aille vider ma vessie, dit Gösta.

On entendit ses articulations craquer et Patrik réalisa tout à coup combien son collègue était près de l’âge de la retraite. À sa grande surprise, il se dit que cet homme lui manquerait terriblement le jour où il quitterait la police. Pendant de nombreuses années, il avait été agacé par son goût pour le moindre effort, sa prédisposition à faire le strict minimum. Mais il avait aussi eu l’occasion de découvrir d’autres facettes du bonhomme, et il savait que Gösta pouvait être un très bon policier. Et que sous la surface rugueuse se cachait un cœur immense.

Patrik fit un signe de tête à l’intention de Martin.

— Bon, en attendant Gösta, raconte-nous ton entretien avec Marta. Qu’est-ce que ça a donné ?

— Absolument rien, soupira Martin. Elle n’a remarqué ni voiture ni personne, avant que Victoria surgisse de la forêt. Et elle n’a aperçu personne après. Il n’y avait qu’elle, le conducteur et Victoria, jusqu’à ce que l’ambulance arrive. Rien de nouveau sur la disparition elle-même non plus, pas de conflit dans l’écurie dont elle aurait pu se souvenir.

— Et Tyra ?

— Pareil… mais j’ai quand même eu le sentiment qu’elle voulait raconter quelque chose, comme si elle avait un soupçon qu’elle n’osait pas partager avec moi.

— Tiens donc, dit Patrik en observant, le front plissé, son écriture vigoureuse sur le tableau blanc. Si c’est le cas, espérons qu’elle osera bientôt. On devrait peut-être lui mettre un peu la pression ?

— Prêt ! annonça Gösta en reprenant sa place. C’est cette foutue prostate qui m’oblige à y aller tous les quarts d’heure.