Mellberg était livide.
— L’analyse chimique est terminée, ajouta Patrik. Il y avait des traces de kétamine dans son sang.
— Kéta quoi ?
— Kétamine. C’est un anesthésiant. Classé comme stupéfiant.
— Pourquoi avait-elle ça dans le sang ?
— Difficile à dire. D’après Pedersen, les effets varient selon le dosage. Une forte dose vous rend insensible à la douleur et vous fait perdre conscience, à plus faible dose on risque une psychose toxique avec hallucinations. Qui sait quel effet le ravisseur cherchait à obtenir ? Peut-être les deux.
— Et ça se trouve où, cette téka, kéta… truc ?
— Ça s’achète comme n’importe quelle drogue, mais elle serait assez sophistiquée, apparemment. Il faut savoir l’utiliser et la doser. Les mecs qui en prennent dans les boîtes de nuit ne tiennent pas à s’endormir et louper toute la soirée, ce qui arrive quand on en prend trop. Elle est souvent mélangée à de l’ecstasy. Sinon c’est surtout le monde médical qui s’en sert, comme anesthésiant. Et les vétérinaires, pour endormir les chevaux, notamment.
— Oh putain, s’exclama Mellberg en faisant le lien. Est-ce qu’on a examiné de plus près ce Jonas, le vétérinaire ?
— Oui, évidemment. Victoria a disparu en quittant le centre équestre qu’il tient avec sa femme. Il a un alibi solide, il soignait un cheval malade. Les propriétaires certifient qu’il est arrivé chez eux quinze minutes après que Victoria a été vue la dernière fois dans l’écurie, et il y est resté plusieurs heures. Nous n’avons pas non plus trouvé de lien entre lui et les autres filles.
— Mais maintenant on devrait quand même l’examiner à la loupe, non ?
— Absolument. Quand je l’ai annoncé aux autres, Gösta s’est souvenu que le cabinet de Jonas a été cambriolé il y a peu de temps. Il va ressortir le rapport et voir s’il est fait mention de kétamine. Reste à savoir si Jonas aurait déclaré un vol s’il allait lui-même utiliser le produit. Quoi qu’il en soit, on va l’interroger de nouveau.
Patrik se tut un instant avant de prendre son élan :
— Il y a autre chose. Je m’étais dit que, Martin et moi, on ferait une petite excursion aujourd’hui.
— Ah bon ?
Mellberg eut l’air de flairer des dépenses supplémentaires.
— J’aimerais aller à Göteborg rencontrer la mère de Minna Wahlberg. Et tant qu’à y être…
— Oui ?
La méfiance de Mellberg décupla.
— Eh bien, par la même occasion, on irait consulter une personne qui nous établirait une analyse comportementale du criminel.
— Un de ces foutus psychologues, dit Mellberg, et sa grimace exprima sans équivoque ce qu’il pensait de ce corps de métier.
— On pioche au hasard, je sais, mais ça n’entraînera pas de frais supplémentaires, puisque de toute façon on sera déjà sur place.
— Oui, oui, du moment que tu ne nous ramènes pas une Mme Irma, marmonna Mellberg, rappelant à Patrik combien Mellberg et Gösta se ressemblaient parfois. Et fais gaffe où tu mets les pieds. Tu sais comment ça fonctionne : si tu empiètes sur les plates-bandes des collègues de Göteborg, tu risques de te faire mordre.
— Je vais enfiler mes gants de velours, promit Patrik.
Il sortit et referma la porte. Bientôt les ronflements résonneraient dans le couloir.
Erica était tout à fait consciente d’avoir un caractère impulsif. Un peu trop, parfois. En tout cas, c’est ce qu’affirmait Patrik quand elle fourrait son nez dans les affaires des autres. Mais elle l’avait plus d’une fois aidé dans ses enquêtes, il ne pouvait donc pas trop s’en plaindre.
Dans le cas présent il jugerait sans aucun doute qu’elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas. Du coup, elle avait l’intention d’évoquer son excursion uniquement si elle donnait des résultats. Si tel n’était pas le cas, elle pourrait lui servir la même excuse qu’à sa belle-mère Kristina, appelée en urgence pour s’occuper des enfants : elle devait rencontrer son agent à Göteborg au sujet d’une proposition de contrat avec un éditeur allemand.
Elle enfila sa veste et fit une petite grimace en regardant autour d’elle. On aurait dit qu’une bombe avait éclaté dans la maison. Kristina ne se priverait pas de faire des commentaires : Erica aurait droit à un long sermon sur l’importance de maintenir son intérieur bien rangé. Bizarrement, Kristina ne servait pas ce sermon à son fils, jugeant sans doute les tâches ménagères indignes d’un homme. Et cela semblait convenir à Patrik.
Non, elle était injuste. Patrik était formidable de maintes façons. Sans se plaindre, il faisait sa part du travail à la maison, et partageait naturellement avec elle la responsabilité des enfants. Mais la parité n’était pas totale. C’était elle qui devait s’improviser chef de projet, qui notait quand les vêtements des enfants étaient trop petits et qu’il fallait revoir leur garde-robe, qui savait quand ils devaient apporter un goûter au jardin d’enfants ou quand il fallait les amener à la PMI pour les vaccinations. Et mille autres choses encore. Qui remarquait quand il fallait racheter de la lessive ou renouveler le stock de couches, qui savait quelle crème était efficace pour les petites fesses rouges, et qui savait toujours où Maja avait égaré son doudou préféré. Pour elle, ces préoccupations étaient devenues une seconde nature, alors que Patrik semblait totalement incapable de gérer ce genre de choses. À supposer qu’il ait la moindre envie de le faire. Ce soupçon était toujours à l’œuvre dans un coin de sa tête. Préférant cependant l’ignorer, elle avait résolument endossé son rôle, contente d’avoir malgré tout un partenaire qui exécutait volontiers les missions qu’elle lui confiait. Beaucoup de ses amies n’avaient même pas cette chance.
Quand elle ouvrit la porte d’entrée, l’air glacial la fit presque reculer. Quel froid de canard ! Elle espéra que les routes ne seraient pas trop glissantes. Elle n’était pas une conductrice très expérimentée et ne prenait le volant que contrainte et forcée.
Elle verrouilla soigneusement la porte. Kristina avait sa propre clé puisqu’elle venait souvent garder les enfants en cas d’urgence, ce qui était à la fois un avantage et un inconvénient. Erica plissa le front en se dirigeant vers la voiture. Cette fois, Kristina avait demandé si c’était OK qu’elle vienne avec quelqu’un, vu qu’Erica l’avait sollicitée au pied levé. Sa belle-mère avait une vie sociale riche et beaucoup d’amies, et il arrivait que celles-ci l’accompagnent quand elle gardait les enfants. Mais la manière dont elle avait dit “quelqu’un” avait mis la puce à l’oreille à Erica. Est-ce que, pour la première fois depuis son divorce, Kristina aurait rencontré un homme ?
Erica trouva l’idée amusante et elle sourit en démarrant le moteur. Patrik deviendrait dingue. Il n’avait aucun mal à se faire à l’idée que son père avait une nouvelle femme dans sa vie depuis de nombreuses années, mais, pour une raison obscure, quand il s’agissait de sa mère, c’était différent. Erica le taquinait parfois en prétendant qu’elle allait inscrire Kristina sur un site de rencontres, et chaque fois Patrik avait l’air troublé. Mais il fallait bien qu’il accepte que sa mère ait une vie à elle. Erica pouffa de rire toute seule et se mit en route pour Göteborg.
Jonas faisait le ménage dans son cabinet de consultation, et ses mouvements brusques témoignaient de sa colère. Il en voulait toujours à Marta d’avoir annulé le concours. Molly aurait dû avoir sa chance. Il savait combien c’était important pour elle, et sa déception lui fendait le cœur.
Le cabinet installé à domicile avait comporté d’énormes avantages quand elle était petite. Il avait douté de la capacité de Marta à s’occuper d’un bébé correctement, et cette combinaison lui permettait de faire un saut entre deux clients pour s’assurer que tout allait bien à la maison.