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— Assieds-toi. Le café arrive.

Il posa une tasse remplie sur la table, se servit lui-même et s’installa en face.

— Ben, disons un peu des deux, dit Paula.

Se retrouver sans le bébé était une sensation étrange, néanmoins, reprendre son bon vieux rythme pendant un moment lui parut aussi très agréable.

— Ici, on tient le coup, précisa Gösta en fronçant les sourcils.

— Je sais, t’inquiète pas. Tout à l’heure, Bertil a dit un truc qui m’a chatouillé la mémoire. J’ai senti que je devais essayer de me rappeler quelque chose.

— C’est-à-dire ?

— Eh bien, quand il m’a parlé des résultats de l’autopsie, notamment la langue coupée, ça m’a fait tilt. J’ai déjà vu ça quelque part, et je me suis dit que j’allais fouiller un peu dans les archives, histoire de voir si je peux relancer la machine. Mon cerveau n’est pas au top de sa forme. On dit que l’allaitement te met l’esprit en compote, et je te confirme que ce n’est pas un mythe. Je n’arrive presque plus à me servir de la télécommande.

— Ah oui, mon Dieu, les hormones, je connais ça. Je me souviens de Maj-Britt, quand…

Il détourna les yeux et regarda par la fenêtre. Paula comprit qu’il pensait à l’enfant qu’ils avaient eu, sa femme et lui, et perdu peu après la naissance. Elle comprit aussi qu’il savait qu’elle savait. Si bien qu’elle le laissa tranquille un petit moment avec ses souvenirs.

— Et tu n’as aucune idée de ce que ça peut être ? finit-il par dire en la fixant de nouveau.

— Je crains que non, soupira-t-elle. Ce serait plus facile si je savais au moins par quel bout commencer. Elles sont tellement énormes, ces archives.

— Oui, se lancer comme ça, sans méthode, ça me paraît un boulot fou.

— Je sais, répondit-elle avec une grimace. Autant m’y mettre tout de suite.

— Tu es sûre que tu ne devrais pas être à la maison, à t’occuper de toi et de la petite Lisa ?

Gösta avait toujours une ride soucieuse entre les sourcils.

— Tu n’es pas obligé de me croire, mais c’est plus reposant ici. Et je suis contente d’abandonner mon pantalon de pyjama un moment. Merci pour le café !

Paula se leva. La plupart des dossiers étaient conservés dans des archives numérisées, mais les anciennes enquêtes existaient toujours en version papier. S’ils en avaient eu les moyens, ils auraient sans doute scanné tout le matériel pour le stocker sur un seul disque dur plutôt que de laisser monopoliser une pièce entière au sous-sol. Mais ils ne disposaient pas de ces ressources et ce n’était pas près de changer.

Elle descendit l’escalier, ouvrit la porte et resta un instant sur le seuil. Bon sang, tous ces dossiers ! Il y en avait plus que dans ses souvenirs. Les enquêtes étaient classées par année, et pour suivre une sorte de stratégie, elle décida de commencer par les plus anciennes. Résolument, elle saisit le premier carton, le posa par terre et s’installa à côté.

Une heure plus tard, elle n’avait parcouru que la moitié du contenu, et elle comprit que son projet pourrait s’avérer aussi chronophage que stérile. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle cherchait, et n’était même pas sûre que ça se trouve dans cette pièce. Cependant, depuis ses débuts au commissariat, elle avait consacré pas mal de temps à examiner de vieux dossiers. Parce que ça l’intéressait, d’une part, mais aussi pour se familiariser avec l’historique de la criminalité locale. Il était donc plutôt logique de considérer que ce qu’elle essayait de retrouver était rangé dans cette pièce.

Un coup frappé à la porte l’interrompit dans ses recherches. Mellberg pointa la tête.

— Comment ça se passe ? Rita vient d’appeler, elle m’a chargé de te dire que tout va bien avec Lisa.

— Tant mieux. Moi aussi ça va très bien. Mais je suppose que ce n’est pas pour ça que tu es venu ?

— Eh bien, je…

— Je n’ai pas beaucoup avancé, malheureusement, et je ne sais toujours pas ce que je dois chercher. Si ça se trouve, c’est juste mon cerveau surmené qui me joue des tours.

De frustration, elle enleva le chouchou qu’elle gardait autour du poignet et noua ses cheveux châtains en une queue de cheval approximative.

— Non, non, non, ne te mets surtout pas à douter maintenant, dit Mellberg. Tu as beaucoup de flair, il faut toujours se fier à son intuition.

Paula le regarda, surprise. Du soutien et des encouragements de la part de Bertil ? C’était le moment d’aller acheter un billet de loterie ! Un jour de chance !

— Oui, tu as raison, répondit-elle, et elle organisa les documents devant elle en un tas propret. Il y a quelque chose, c’est sûr. Je vais fouiller encore un peu.

— Toutes les initiatives sont les bienvenues. On n’a encore aucun indice. Patrik et Martin sont allés à Göteborg voir un gars qui va prédire qui est le coupable en regardant dans une sorte de boule de cristal mentale, déclara Mellberg d’un air important, et il poursuivit d’une voix affectée : Je vous dis que l’assassin a entre dix-sept et soixante-dix ans, c’est soit un homme soit une femme qui vit en appartement, ou à la rigueur en pavillon. Cette personne a entrepris un ou plusieurs voyages à l’étranger au cours de sa vie, fait généralement ses courses à Ica, à moins que ce ne soit à Konsum, mange des tacos le vendredi et ne loupe jamais Let’s Dance à la télé. Ni Tous en chœur à Skansen en été.

Paula ne put s’empêcher de rire de sa performance d’impro.

— C’est bien, Bertil. Ce ne sont pas les préjugés qui t’étouffent ! Mais je ne suis pas d’accord avec toi. Je pense que ça peut donner des résultats, surtout quand les circonstances sont aussi particulières que dans cette affaire.

— Oui, oui, on verra bien qui a raison. Continue de chercher. Mais ne t’épuise pas. Rita m’assassinerait.

— Je te le promets, sourit Paula, avant de se replonger dans les documents.

Patrik bouillonnait de rage. La surprise de découvrir sa femme dans le salon de la mère de Minna s’était rapidement muée en colère. Erica avait une fâcheuse tendance à se mêler de ce qui ne la regardait pas, et à quelques occasions cela avait failli très mal se terminer. Mais il n’avait rien pu montrer devant Nettan. Il avait été obligé de se donner une contenance pendant tout l’entretien, avec Erica assise à côté de lui, les yeux grands ouverts, l’oreille tendue et un sourire de Mona Lisa aux lèvres.

Dès qu’ils furent sortis de l’immeuble, hors d’écoute de Nettan, il explosa.

— Putain, mais qu’est-ce que tu fabriques ?

Il prenait très rarement la mouche, et il sentit le mal de tête poindre dès la première syllabe.

— Je pensais que…

Erica essaya de marcher au même rythme que Patrik et Martin jusqu’au parking. Martin se faisait tout petit, il aurait sans doute préféré être à mille lieues de là.

— Tu pensais ? J’ai vraiment du mal à croire que tu as eu recours à ton cerveau !

Patrik toussa. Son éclat de colère lui avait fait avaler de travers un grand bol d’air glacial.

— Avec vos moyens limités, vous n’avez pas le temps de tout faire, et je me suis dit que… tenta Erica de nouveau.

— Tu aurais pu me demander avant, non ? Évidemment, je n’aurais jamais permis que tu ailles discuter avec la mère d’une victime pendant une enquête en cours, et je soupçonne que c’est pour ça que tu n’as pas demandé.

— Ce n’est pas faux. J’avais besoin de faire une pause dans mon écriture. Je suis enlisée et j’ai pensé qu’en me concentrant sur une autre histoire un instant, peut-être que…

— Alors pour toi cette affaire, ce serait comme une sorte de thérapie professionnelle ! Si tu as la crampe de l’écrivain, il te faut trouver un autre moyen d’y remédier. Non mais je rêve, tu t’es mêlée d’une enquête en cours ! Malheureuse, tu as perdu la tête ou quoi ?