Выбрать главу

— Je dirais qu’il s’agit de quelqu’un de rationnel et bien organisé. Il ou elle — pour plus de simplicité, disons il — a trop bien réussi à effacer toutes traces pour être, par exemple, psychotique ou déséquilibré.

— Comment peut-on qualifier de rationnel le fait d’enlever une adolescente ? Ou de lui faire subir ce que Victoria a subi ?

Patrik perçut lui-même son ton un rien virulent.

— Quand je dis rationnel, je veux dire que nous avons affaire à une personne capable de planifier ses actes, d’en prévoir les conséquences et d’agir en fonction, quitte à rapidement modifier ses plans si les circonstances l’exigent.

— Pour moi, c’est clair comme de l’eau de roche, dit Erica.

Patrik serra les dents et laissa Struwer poursuivre son rapport.

— Le coupable est probablement un homme mûr. Un adolescent ou un jeune adulte n’aurait pas ce genre de sang-froid et cette capacité à planifier. Et vu la force physique nécessaire pour maîtriser les victimes, il s’agit certainement d’un homme plutôt fort et en bonne forme physique.

— Ou alors ils sont plusieurs, glissa Martin.

Gerhard opina du chef.

— Oui, on ne peut pas l’exclure. Il y a des exemples de crimes commis collectivement. Dans ce genre de cas, il y a souvent une sorte de mobile religieux, comme pour Charles Manson et sa secte.

— Que pensez-vous des laps de temps entre les enlèvements ? Les trois premières filles ont disparu à des intervalles assez réguliers, de six mois à peu près. Ensuite il ne s’est écoulé que cinq mois avant que Minna disparaisse. Puis environ trois mois avant l’enlèvement de Victoria, dit Erica, et Patrik fut obligé de reconnaître que sa question était pertinente.

— Si on prend des tueurs en série célèbres aux États-Unis, comme Ted Bundy, John Wayne Gacy, Jeffrey Dahmer — vous avez sûrement déjà entendu ces noms-là —, on constate que leur besoin de tuer se construit petit à petit, ils ressentent une sorte de pression intérieure. Ils commencent à fantasmer sur le crime à commettre, puis ils poursuivent la victime qu’ils ont choisie, l’observent pendant une période avant de passer à l’acte. Ou alors c’est le hasard qui prime. L’assassin fantasme sur un certain type de victime et tombe sur quelqu’un qui correspond à ses fantasmes.

— C’est peut-être une question stupide, mais existe-t-il des tueuses en série ? demanda Martin. Je crois n’avoir entendu parler que d’hommes.

— Il est plus courant qu’il s’agisse d’hommes en effet. Il y a néanmoins des femmes tueuses. Aileen Wuornos en est un exemple, mais il y en a d’autres.

Struwer pressa de nouveau les bouts de ses doigts les uns contre les autres.

— Pour revenir sur la question du temps : le criminel peut garder sa victime prisonnière plus ou moins longtemps. Quand elle a pour ainsi dire rempli sa fonction, ou qu’elle est morte de ses blessures ou par épuisement, le tueur doit tôt ou tard dénicher une nouvelle proie pour satisfaire ses besoins. La pression augmente sans cesse jusqu’à ce qu’il soit obligé de trouver un exutoire. Alors il passe à l’action. Beaucoup de tueurs en série ont décrit le phénomène dans des interviews, affirmant qu’il n’est plus question de libre arbitre, mais de contrainte.

— Vous pensez que nous avons affaire à ce genre de comportement ici ? demanda Patrik.

Malgré lui, il était de plus en plus fasciné par les explications de Struwer.

— C’est ce que laisse penser la chronologie. Son besoin est peut-être devenu plus pressant. Le tueur ne peut plus attendre aussi longtemps avant de trouver ses victimes. À condition que ce soit un tueur en série que vous cherchez, je veux dire. Si j’ai bien compris, aucun corps n’a été découvert, et Victoria Hallberg était en vie quand elle a été retrouvée.

— C’est exact. Mais il est quand même plus plausible de penser que le ravisseur n’ait pas eu l’intention de la laisser vivre, qu’elle ait réussi à s’évader d’une façon ou d’une autre.

— Oui, tout l’indique en effet. Mais même si nous considérons uniquement l’enlèvement, le ravisseur a pu suivre un schéma d’action identique. Nous pouvons aussi avoir affaire à un criminel sadique, un psychopathe qui tue pour son plus grand plaisir. Ou pour la satisfaction sexuelle. L’autopsie de Victoria a montré qu’elle n’a pas subi d’agression de cet ordre, mais ce genre d’enlèvement a souvent des mobiles sexuels. Pour l’instant, nous en savons trop peu pour déterminer si tel est le cas, et de quelle manière.

— Savez-vous que des recherches ont démontré que zéro virgule cinq pour cent d’une population peut être défini comme psychopathe ? dit Erica, tout excitée.

— Oui, renchérit Martin. J’ai lu ça dans Café. À propos des chefs.

— Je ne sais pas si on peut se fier aux articles scientifiques d’un magazine comme Café qui s’intéresse surtout à la mode masculine. Mais sur le principe, vous avez raison, Erica, répliqua Gerhard en lui adressant un sourire éclatant, toutes dents dehors. Un certain pourcentage de la population normale correspond aux critères de la psychopathie. Et si en général on associe le mot psychopathe aux tueurs, ou au moins aux criminels, on est loin de la vérité. La plupart mènent des existences en apparence normales. Ils apprennent comment se comporter pour s’intégrer à la société, ils peuvent même se montrer ultra-productifs. Mais intérieurement, ils ne seront jamais comme vous et moi. Ils sont incapables de ressentir de l’empathie et de comprendre les sentiments d’autrui. Leur monde et leur activité intellectuelle tournent entièrement autour d’eux-mêmes. L’interaction avec l’entourage dépend de leur capacité d’imiter et de feindre les sentiments qu’on attend d’eux dans différentes situations. Et ils n’y parviennent jamais pleinement. Quelque chose sonne faux et ils ont du mal à créer des relations intimes et durables avec les autres. Souvent ils utilisent les gens de leur entourage à leurs propres fins, et quand cela ne fonctionne plus, ils passent à la victime suivante, sans ressentir de regret, de mauvaise conscience ou de culpabilité. Et, pour répondre à votre question, Martin : des recherches démontrent que la part de psychopathes est plus importante dans les catégories socioprofessionnelles élevées que parmi le reste de la population. Beaucoup des caractéristiques que je viens d’énumérer peuvent se révéler un avantage dans certaines positions de pouvoir où la brutalité et le manque d’empathie remplissent une fonction.

— On ne remarque donc pas forcément qu’une personne est psychopathe ? demanda Martin.

— Non, pas tout de suite. Au contraire, ils peuvent se montrer tout à fait charmants. Mais celui qui entre dans une relation durable avec un psychopathe se rendra compte tôt ou tard que tout n’est pas normal.

Patrik se tortilla sur sa chaise. Elle n’était pas très confortable et son dos protestait déjà. Après un regard à Martin qui notait fébrilement, il se tourna vers Struwer.

— À votre avis, pourquoi ce sont ces filles précisément qui ont été choisies ?

— Il s’agit probablement de la préférence sexuelle du ravisseur. Des filles jeunes, intactes, qui n’ont pas encore d’expérience sexuelle. Il est aussi plus facile de contrôler et d’effrayer une jeune qu’une adulte. Je dirais que c’est une combinaison de ces deux facteurs.

— Est-ce que le fait qu’elles se ressemblent signifie quelque chose ? Toutes ont, ou avaient, des cheveux châtains et des yeux bleus. Ce sont des attributs que le tueur recherche ?

— C’est possible. Il est même hautement probable que ce soit important. Dans ce cas, les victimes lui rappellent quelqu’un, et son acte se réfère à cette personne. Ted Bundy en est un exemple. La plupart de ses victimes se ressemblaient, elles lui rappelaient une ancienne petite amie qui l’avait quitté. Il se vengeait d’elle à travers ses victimes.