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Terese souffla de mépris. Lasse ignorait totalement ce qu’étaient la lumière et l’amour. Il ne s’était jamais excusé de la manière dont il les avait traités. Dans sa logique, elle était un être mesquin, puisqu’elle n’était pas aussi prompte à pardonner que Dieu et qu’elle lui tournait le dos chaque soir dans le lit.

Contrariée, elle serra le volant en bifurquant vers la ferme équestre. La situation devenait intenable. Elle ne supportait plus de le voir, ne supportait pas d’entendre ses murmures de citations bibliques qui planaient comme un fond sonore dans l’appartement. Mais il lui fallait résoudre les problèmes pratiques d’abord. Ils avaient deux enfants ensemble, et elle était tellement épuisée qu’elle n’était pas sûre d’avoir la force d’entamer une procédure de divorce.

— Écoutez, vous restez là pendant que je vais chercher Tyra, et vous êtes sages, hein ? D’accord ?

Elle se retourna et regarda sévèrement ses deux mouflets sur le siège arrière. Ils pouffaient, et elle savait pertinemment que dès qu’elle serait hors de la voiture, une dispute allait éclater.

— Je serai de retour tout de suite, les avertit-elle.

Encore des rires étouffés. Elle soupira sans pouvoir, en même temps, s’empêcher de sourire en fermant la portière.

Elle grelotta en pénétrant dans l’écurie. Ce bâtiment n’existait pas à l’époque où elle venait ici, c’est Marta et Jonas qui l’avaient construit.

— Il y a quelqu’un ?

Du regard, elle chercha Tyra, mais ne vit que les autres filles.

— Tyra n’est pas là ?

— Non, elle est partie il y a une heure environ, répondit Marta en sortant d’un box.

— Ah bon ?

Terese fronça les sourcils. Elle avait promis à Tyra de venir la chercher aujourd’hui, pour une fois. Sa fille s’était réjouie de ne pas avoir à rentrer à pied dans la neige, comment avait-elle pu oublier ?

— Tyra est une cavalière douée, dit Marta en s’avançant vers elle.

Comme tant de fois auparavant, Terese fut frappée par la beauté de Marta. Dès la première fois où elle l’avait vue, elle avait compris qu’elle ne pourrait jamais se mesurer à elle. Elle se sentit tout à coup grosse et informe face à Marta, toujours aussi mince et gracieuse.

— Tant mieux, répondit-elle, le regard rivé au sol.

— Elle sait s’y prendre avec les chevaux. Elle devrait participer aux concours. Je pense qu’elle se défendrait bien. Tu y as déjà pensé ?

— Oui, peut-être…

Terese hésita et se sentit encore plus anéantie. Ils n’en avaient pas les moyens, mais comment expliquer ça ?

— On a eu pas mal de dépenses ces temps-ci, avec les garçons et tout ça. Et Lasse est demandeur d’emploi… Je vais y réfléchir. En tout cas, ça fait plaisir d’entendre qu’elle se débrouille bien. Elle est… oui, je suis fière d’elle.

— Il y a de quoi, dit Marta, et elle l’observa un instant avant de poursuivre : Elle est très affectée par ce qui est arrivé à Victoria, je l’ai senti. Nous le sommes tous.

— Oui, c’est difficile pour elle. Il lui faudra du temps pour faire le deuil.

Terese chercha un moyen de clore la conversation. Elle n’avait aucune envie de rester ici à bavarder bêtement alors que l’inquiétude commençait à monter. Où Tyra pouvait-elle bien être passée ?

— Les petits m’attendent dans la voiture, je ferais mieux d’y aller avant qu’ils s’entre-tuent.

— Bien sûr. Et ne t’inquiète pas pour Tyra. Elle a dû oublier que tu venais la chercher. Tu sais ce que c’est, les ados.

Marta retourna dans le box, et Terese fila vers sa voiture. Elle voulait rentrer à la maison. Avec un peu de chance, Tyra y serait déjà.

Assise à la table de la cuisine, Anna parlait au dos de Dan. Elle voyait clairement ses muscles se tendre à travers son tee-shirt, mais il ne disait rien, se consacrant entièrement à la vaisselle.

— Qu’est-ce qu’on va faire ? On ne peut pas continuer comme ça.

Elle était prise de panique rien qu’à l’idée d’une séparation, mais il fallait bien qu’ils évoquent l’avenir. Anna avait déjà vécu des périodes très difficiles avant les événements de l’été dernier. Elle avait ressuscité un bref moment, mais pour les mauvaises raisons, et aujourd’hui leur vie n’était plus qu’un immense chaos, débordant d’espoirs déçus. Et tout était sa faute. Elle ne pouvait pas, de quelque façon que ce soit, partager son sentiment de culpabilité avec Dan, ni rejeter la responsabilité sur lui.

— Tu sais à quel point je regrette, de tout mon cœur. Je voudrais que ça ne se soit jamais produit, mais ce n’est pas possible. Alors, si tu veux que je déménage, je le ferai. Je trouverai un logement pour moi et les enfants, je crois qu’il y a des appartements disponibles dans les immeubles à côté, ça devrait pouvoir se faire rapidement. Parce qu’on ne peut pas vivre comme ça. On se détruit. Tous les deux, et les enfants aussi. Tu le vois, non ? Ils n’osent même pas se disputer, ils osent à peine parler, tellement ils ont peur de dire ce qu’il ne faut pas et d’aggraver la situation. Je n’en peux plus, je préfère partir. Je t’en prie, dis quelque chose !

Des sanglots vinrent couper les derniers mots, et ce fut comme entendre quelqu’un d’autre parler, quelqu’un d’autre pleurer. Elle flottait au-dessus d’elle-même, contemplant les débris de sa vie, contemplant l’homme qui était son grand amour et qu’elle avait tant blessé.

Lentement Dan se retourna. Il s’appuya contre le plan de travail, le regard rivé sur ses pieds. Anna eut un coup au cœur en voyant les rides sur son visage, la morne résignation. Elle l’avait ébranlé, profondément bouleversé, et c’est ce qu’elle avait le plus de mal à se pardonner. Dan, qui avait toujours été bienveillant, qui partait du principe que les gens étaient aussi honnêtes et sincères que lui… Elle lui avait apporté la preuve du contraire, elle avait bousculé sa foi dans leur amour et dans son univers.

— Je ne sais pas, Anna. Je ne sais pas ce que je veux. Les mois passent et on se contente de gérer le quotidien en se tournant autour.

— Enfin, Dan, il faut qu’on essaie de résoudre le problème. Ou alors qu’on se sépare. Je ne supporte plus de vivre dans un tel entre-deux. Les enfants aussi méritent qu’on se décide.

Elle sentit la morve couler et l’essuya avec la manche de son pull. Elle n’avait pas la force de se lever pour chercher un bout d’essuie-tout. Et puis le rouleau se trouvait derrière Dan et elle avait besoin d’une distance de quelques mètres entre eux pour mener à bien cette conversation. Sentir son odeur de près, sentir la chaleur de son corps ferait tout s’écrouler. Depuis l’été dernier, ils faisaient chambre à part. Dan dormait sur un matelas dans le bureau alors qu’elle occupait leur grand lit. Elle lui avait proposé de changer, considérant que c’était plutôt à elle de s’installer sur le matelas mince et inconfortable et de se réveiller le dos en compote. Mais il avait seulement secoué la tête, et chaque soir, il allait se coucher dans le bureau.