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— Je veux essayer, chuchota-t-elle. À condition que toi aussi, tu le veuilles et que tu penses qu’on a une petite chance. Sinon, il vaut mieux que je déménage. Je peux appeler une agence immobilière dès cet après-midi pour me renseigner. On n’a pas besoin de grand-chose pour commencer, les enfants et moi. On a déjà vécu dans un petit appartement, on sait faire.

Dan fit une grimace. Il cacha son visage dans ses mains, et ses épaules furent secouées de sanglots. Depuis l’été dernier, il avait porté un masque de déception et de rage contenues, mais à présent les larmes coulaient, elles tombaient goutte à goutte de son menton et mouillaient son tee-shirt. Anna fut incapable de se retenir. Elle alla l’étreindre. Il se figea, mais ne se dégagea pas. Elle sentit sa chaleur, et aussi son corps qui vibrait sous les pleurs allant crescendo, et elle le serra de plus en plus fort, comme si elle voulait l’empêcher de voler en éclats.

Quand ses pleurs se furent apaisés, ils restèrent ainsi, et il l’entoura de ses bras.

Lasse sentit la colère couver en lui quand il tourna à gauche après le moulin en direction de Kville. Tout de même, que Terese refuse de l’accompagner, ne serait-ce qu’une seule fois ! Était-ce trop demander qu’ils partagent de temps en temps les mêmes activités ? Qu’elle montre de l’intérêt pour ce qui avait transformé sa vie du tout au tout et avait fait de lui un homme nouveau ? Lui et la communauté avaient tant à lui apprendre, mais elle choisissait de vivre dans l’obscurité plutôt que de laisser l’amour de Dieu rayonner sur elle, comme il rayonnait sur lui.

Il appuya plus fort sur l’accélérateur. Il avait perdu tellement de temps à la supplier qu’il allait être en retard à la réunion de leadership. Surtout qu’il avait été obligé de lui expliquer pourquoi il ne voulait pas qu’elle aille dans ce centre équestre, près de Jonas. Elle avait commis le péché avec lui, elle avait couché avec lui en dehors du mariage, et peu importe que ce soit de l’histoire ancienne. Dieu tenait à ce que les hommes et les femmes vivent dans la pureté et la vérité, sans que leur âme soit alourdie par les actes impudiques du passé. Pour sa part, il s’était confessé et débarrassé de tout cela, il s’était purifié.

Ça n’avait pas toujours été facile. Le péché menaçait partout autour de lui. Des femmes provocantes qui s’offraient sans vergogne, qui ne respectaient pas la volonté et les commandements de Dieu, qui poussaient les hommes au vice. De telles pécheresses méritaient d’être punies et il était persuadé que là était sa mission. Dieu lui avait parlé, et personne ne devait mettre en doute qu’il était devenu un homme nouveau.

Les membres de la communauté le voyaient et le comprenaient. Ils l’inondaient d’amour, lui certifiant que Dieu lui avait pardonné et qu’il était redevenu une page vierge. Il avait failli retomber dans ses travers, mais d’une façon miraculeuse, Dieu l’avait sauvé de la faiblesse de la chair et avait fait de lui un disciple fort et courageux. Pourtant, Terese refusait obstinément d’admettre qu’il avait changé.

Son irritation persista jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Comme toujours, il fut rempli de sérénité en franchissant les portes du bâtiment contemporain financé par des membres généreux. La communauté était grande pour une si petite localité grâce à son leader, Jan-Fred, qui l’avait reprise dix ans auparavant à la suite de luttes internes. Elle s’appelait à cette époque la congrégation pentecôtiste de Kville, mais Jan-Fred l’avait immédiatement rebaptisée Christian Faith, ou Faith comme ils disaient la plupart du temps.

— Bonsoir Lasse, je suis ravie de te voir.

Leonora, l’épouse de Jan-Fred, vint l’accueillir. C’était une belle blonde d’une quarantaine d’années qui dirigeait le groupe de leadership avec son mari.

— C’est toujours aussi merveilleux de venir ici, dit-il en l’embrassant sur la joue.

Il sentit l’odeur de son shampooing et, avec elle, un vent de péché. Mais ça ne durait qu’un bref instant, et il savait qu’avec l’aide de Dieu il finirait par repousser définitivement ses vieux démons. Il était parvenu à vaincre son penchant pour l’alcool, mais le penchant pour les femmes se révélait un adversaire plus redoutable.

— Jan-Fred et moi, on a parlé de toi ce matin.

Leonora le prit sous le bras et l’entraîna vers la salle de conférences où se tiendrait le cours.

— Ah bon, dit-il, impatient d’entendre ce qu’elle allait lui annoncer.

— On parlait du travail formidable que tu as accompli. On est très fiers de toi. Tu es un disciple juste et digne, il y a en toi un énorme potentiel.

— Je ne fais que ce que Dieu me demande de faire. Tout ça, c’est grâce à Dieu. Il m’a donné la force et le courage de voir mes péchés et de me purifier.

— Oui, Dieu est bon pour nous, pauvres pécheurs. Sa patience et Son amour sont infinis, dit-elle en lui tapotant le bras.

En arrivant dans la pièce, il vit que les autres participants à la formation étaient déjà là.

— Et ta femme ? Elle ne pouvait pas venir ce soir non plus ?

Leonora semblait le regretter. Lasse serra les mâchoires et secoua la tête.

— La famille est importante pour Dieu. Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer. Et une femme doit partager la vie de son mari, et sa vie avec Dieu. Mais tu verras, un jour elle découvrira la belle âme que Dieu a trouvée en toi. Il t’a réparé.

— J’en suis sûr, il faut juste un peu de temps, murmura-t-il.

Il sentit le goût métallique de colère dans sa bouche, mais se força à repousser les pensées négatives. À la place, il répéta silencieusement son mantra : lumière et amour. C’est ce qu’il était : lumière et amour. Il fallait juste le faire comprendre à Terese.

— On est vraiment obligés ? demanda Marta pendant qu’elle enfilait des vêtements propres après avoir éliminé l’odeur d’écurie sous la douche. On ne peut pas plutôt rester à la maison et faire ce que font les gens le vendredi soir ? Je ne sais pas, moi, commander des tacos ou autre chose ?

— On n’a pas le choix, tu le sais bien.

— Mais pourquoi faut-il toujours qu’on mange chez eux le vendredi soir ? Tu y as pensé ? Pourquoi on ne ferait pas des repas de famille le dimanche comme tout le monde ? À midi.

Elle boutonna son chemisier et se coiffa devant le miroir en pied.

— Combien de fois en a-t-on déjà parlé ? On est trop souvent absents le week-end à cause des concours hippiques, le vendredi soir est le seul qui reste si on ne veut pas y aller en semaine. Pourquoi tu poses des questions dont tu connais déjà la réponse ?

Marta entendit la voix de Jonas partir dans les aigus, signe qu’il était sur le point de s’énerver. Bien sûr qu’elle connaissait déjà la réponse. Simplement, elle ne comprenait toujours pas pourquoi ils devaient se caler sur Helga et Einar.

— En plus, personne n’y tient, personne ne trouve ça sympa, mais personne n’ose rien dire. Je pense que tout le monde serait soulagé si on échappait à ces dîners, dit-elle en enfilant un collant supplémentaire.

Il faisait toujours un froid de canard chez les parents de Jonas. Einar était pingre et voulait économiser sur l’électricité. Marta mit un tricot par-dessus le chemisier. Autrement elle serait frigorifiée avant le dessert.

— Molly non plus n’a pas envie d’y aller. Combien de temps tu crois qu’on pourra la forcer avant qu’elle se rebelle ?

— Aucun ado n’aime les repas de famille. Mais elle vient avec nous, point final, ce n’est quand même pas trop demander ?

Marta s’arrêta et le regarda dans le miroir. Elle le trouvait plus beau aujourd’hui que quand ils s’étaient rencontrés. À cette époque, il était timide et dégingandé, et ses joues étaient marquées par l’acné. Elle avait cependant discerné autre chose sous le voile d’embarras, une disposition qu’elle avait appris à reconnaître. Avec le temps, et avec son aide, l’hésitation avait disparu. Maintenant il se tenait droit, il était fort et musclé, et après toutes ces années, il parvenait encore à la faire vibrer.