Tout ce qu’ils partageaient maintenait le désir vivant, et elle sentit celui-ci se réveiller une fois de plus à cet instant. Très vite, elle enleva ses collants et sa petite culotte, mais garda son chemisier. Elle s’approcha de lui et déboutonna le jean qu’il venait d’enfiler. Sans un mot, il la laissa le baisser, et elle vit qu’il avait déjà réagi. Elle le poussa fermement sur le lit et le chevaucha jusqu’à ce qu’il jouisse, fort, le dos formant un arc tendu. Elle essuya quelques gouttes de sueur de son front, et se laissa glisser sur le côté. Leurs regards se croisèrent dans le miroir lorsque, en lui tournant le dos, elle remit sa culotte et ses collants.
Un quart d’heure plus tard, ils arrivaient chez Helga et Einar, une Molly bougonne à la traîne. Comme prévu, elle avait bruyamment protesté contre l’idée de passer encore un vendredi soir chez ses grands-parents. Ses copines avaient mille choses plus amusantes à faire, et sa vie serait détruite si elle ne pouvait pas les accompagner. Mais Jonas avait été intraitable, et Marta l’avait laissé gérer la situation.
— Bonsoir, entrez !
Helga se dressa sur la pointe des pieds pour embrasser son fils sur la joue. Marta se contenta d’une accolade empruntée.
Un merveilleux fumet flottait dans l’air, et Marta sentit son ventre gronder. C’était la seule circonstance atténuante de ces repas chez ses beaux-parents : la cuisine de Helga.
— Ce soir, je vous ai préparé un filet mignon au four. Tu vas chercher papa ? dit Helga en hochant la tête vers l’étage.
— Bien sûr, répondit Jonas, et il monta l’escalier.
Marta entendit des murmures, puis le bruit d’un objet lourd poussé sur le plancher. Ils avaient touché une subvention pour l’installation d’un monte-escalier pour handicapés, mais il fallait quand même une certaine force physique pour descendre Einar. Le son de la plate-forme et du fauteuil roulant glissant sur le rail était désormais familier. Autrefois, avant son amputation, Einar lui avait toujours fait penser à un grand taureau furibard. Maintenant il ressemblait plutôt à un gros crapaud glissait en bas des marches.
— Rien que du beau monde, comme d’habitude. Viens par là Molly, faire un bisou à ton grand-père, dit-il en plissant les yeux, et Molly s’approcha à contrecœur et l’embrassa sur la joue.
Helga leur fit signe de venir dans la cuisine où le repas était servi.
— Dépêchez-vous, sinon ça va refroidir.
Jonas aida son père à s’installer à table, et ils prirent place en silence.
— Pas de compétition demain, c’est ça ? demanda Einar au bout d’un moment.
Marta aperçut la lueur méchante dans ses yeux, elle savait qu’il abordait le sujet uniquement par vacherie. Molly laissa échapper un profond soupir et Jonas lança un regard d’avertissement à son père.
— Après tous les événements, on a trouvé l’occasion assez mal choisie, expliqua-t-il, et il tendit le bras pour prendre le plat de pommes de terre.
— Oui, ça, je comprends.
Einar exhorta son fils du regard, et celui-ci le servit d’abord.
— Et ça se passe comment ? Elle avance, la police ? demanda Helga en posant une tranche de filet mignon sur l’assiette de chacun avant de s’asseoir.
— Gösta est venu aujourd’hui me poser des questions sur le cambriolage, répondit Jonas, et Marta ouvrit de grands yeux.
— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?
Jonas haussa les épaules.
— Ce n’était pas grand-chose. À l’autopsie, ils ont trouvé des restes de kétamine dans le corps de Victoria, et Gösta voulait savoir ce qui avait été volé dans mon cabinet.
— Heureusement que tu l’avais signalé.
Marta baissa le regard. Elle détestait ne pas avoir le contrôle des événements, et le fait que Jonas n’ait pas mentionné la visite de la police la remplit d’une rage silencieuse. Ils en parleraient plus tard, en tête à tête.
— Dommage pour la petite, lança Einar en enfournant une si grosse bouchée qu’un peu de sauce brune coula au coin de sa bouche. Elle était jolie, il me semble, le peu que je l’ai vue. Vous me gardez prisonnier là-haut, j’ai rien pour me rincer l’œil. La seule que je vois désormais, c’est la vieille bique, là !
Il rit en montrant Helga.
— On est vraiment obligés de parler de Victoria ? protesta Molly.
Elle mangeait du bout des lèvres et Marta se demanda quand elle l’avait vue manger avec appétit pour la dernière fois. C’était sans doute cette fichue obsession de la minceur qui taraudait toutes les adolescentes. Ça finirait par lui passer.
— Molly a découvert la vieille Coccinelle dans la grange, elle aimerait la récupérer. J’ai pensé la retaper pour elle, qu’elle soit prête pour quand elle aura son permis, dit Jonas en changeant de sujet et en faisant un clin d’œil à Molly qui promenait ses haricots verts d’un bout à l’autre de son assiette.
— Tu crois que c’est bien qu’elle aille dans la grange ? Elle pourrait se faire mal, déclara Einar.
Il enfourna une autre bouchée, alors que la trace de sauce restait visible sur son menton.
— Oui, vous devriez y faire un peu de ménage, renchérit Helga. Enlever ces vieilleries qui prennent de la place.
— Je veux garder tout ça en l’état, dit Einar. Ce sont mes souvenirs. De beaux souvenirs. Et tu as entendu, Helga : Jonas prend la relève maintenant.
— Qu’est-ce que tu veux qu’elle en fasse, Molly, d’une vieille Coccinelle ? dit Helga en posant sur la table le plat qu’elle était allée regarnir.
— Elle va être super-cool ! Personne d’autre n’en aura une comme ça ! s’exclama Molly, les yeux brillants.
— Elle pourrait devenir chouette, c’est vrai, confirma Jonas.
Il se resservit. Marta savait qu’il adorait la cuisine de sa mère, c’était peut-être la raison principale qui le poussait à les traîner ici tous les vendredis.
— Tu te rappelles comment on fait ? demanda Einar.
Marta pouvait presque voir les souvenirs tournoyer dans sa tête. Des souvenirs d’une époque où il était un taureau, pas un crapaud.
— Je l’ai dans les doigts, je crois. J’ai retapé suffisamment de voitures avec toi pour que ça me revienne, répondit Jonas en échangeant un regard avec son père.
— Oui, c’est spécial, ce qu’un père transmet à son fils, ses savoirs et ses passions, philosopha Einar en levant son verre. Santé aux Persson, père et fils, santé à nos intérêts communs. Et félicitations, ma petite demoiselle, pour ta nouvelle voiture.
Molly leva son verre de Coca et trinqua avec lui. Le bonheur de pouvoir récupérer la voiture brillait dans ses yeux.
— Soyez prudents, c’est tout, dit Helga. Un accident est si vite arrivé. Il faut savoir apprécier la chance qu’on a et ne pas défier le sort.
Les joues d’Einar étaient devenues rouges après le vin qu’il avait bu, et il se tourna vers elle.
— Faut toujours que tu sois rabat-joie, toi. Un vrai oiseau de mauvais augure. Ça a toujours été comme ça. Les idées, les visions, c’était moi, et ma chère épouse s’est toujours plainte et ne voyait que les problèmes. T’as jamais osé vivre pleinement, hein. Qu’est-ce que t’en dis, Helga, tu as osé vivre ? T’as vraiment vécu ? Ou est-ce que tu as eu tellement peur que tu t’es contentée d’essayer de tenir le coup et de nous entraîner, nous aussi, dans la peur ?
Il bafouillait un peu et Marta devina qu’il s’était déjà enfilé un verre ou deux avant leur arrivée. Cela aussi faisait partie du rituel des repas du vendredi soir chez ses beaux-parents.