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Il fit aussi une bise à sa mère. Il ne voulait surtout pas lui faire de la peine. Ils ne s’en sortiraient pas sans son aide, et il l’aimait profondément. Mais ici, c’était chez eux, chez Erica et lui, et il était important que Kristina le comprenne.

— Oui, bon, je ne voulais pas critiquer, seulement vous donner quelques conseils utiles, dit-elle, sans paraître trop froissée.

— Parle-nous de ton copain maintenant, suggéra Patrik.

Il ressentit une certaine satisfaction à voir une rougeur s’étaler sur les joues de sa mère. Mais il trouvait cette situation un peu étrange, voire, pour être tout à fait honnête, très étrange.

— Eh bien, tu comprends… commença Kristina.

Patrik prit une profonde inspiration et se blinda. Sa vieille mère avait un copain. Son regard croisa celui d’Erica dont la bouche mima un baiser.

Terese ne tenait pas en place. Les garçons jouaient si bruyamment qu’elle faillit leur hurler dessus, mais elle se maîtrisa. Ce n’était pas leur faute si elle était folle d’inquiétude.

Bon sang, où pouvait-elle être ? Comme bien souvent, son angoisse se mua en colère, et la peur lui lacéra la poitrine. Comment Tyra pouvait-elle se comporter ainsi après ce qui était arrivé à Victoria ? Tous les parents de Fjällbacka avaient les nerfs à vif depuis sa disparition. Et si le ravisseur était encore dans les parages ? Et si leur enfant était en danger ?

Sa culpabilité vint s’ajouter à la colère. Ce n’était peut-être pas si surprenant que Tyra ait oublié qu’elle viendrait la chercher. La plupart du temps, elle devait rentrer par ses propres moyens, et plusieurs fois déjà, quand Terese avait promis de venir la récupérer en voiture, un imprévu l’en avait empêchée.

Ne devrait-elle pas appeler la police ? Lorsqu’elle avait constaté que Tyra n’était pas à la maison, elle avait essayé de se convaincre que sa fille n’allait pas tarder, qu’elle traînait sans doute avec une copine quelque part. Terese s’était même préparée à répondre aux commentaires renfrognés dont Tyra ne se priverait pas lorsque, frigorifiée et en sueur après sa marche à pied, elle pousserait la porte d’entrée. Et elle s’était vue en train de la bichonner, de lui préparer un chocolat chaud et des tartines avec une bonne couche de beurre et du gouda.

Mais Tyra n’était pas arrivée. Personne n’avait ouvert la porte, personne n’avait tapé des pieds pour se débarrasser de la neige, personne n’avait balancé sa veste dans un coin. Assise là, dans la cuisine, Terese devinait ce qu’avaient pu ressentir les parents de Victoria le jour où elle n’était plus réapparue. Elle ne les avait croisés qu’à quelques reprises, ce qui était assez étrange, vu que leurs filles étaient inséparables depuis toutes petites. À la réflexion, elle n’avait pas non plus rencontré Victoria si souvent. Les filles se retrouvaient toujours chez Victoria. Pour la première fois, elle s’interrogea sur ce détail, tout en connaissant déjà la douloureuse réponse. Elle n’avait pas su créer pour ses enfants le foyer dont elle avait rêvé, l’endroit rassurant dont ils avaient besoin. Les larmes brûlaient ses paupières. Si seulement Tyra rentrait, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que les choses changent.

Elle consulta son portable, comme si par magie un message de sa fille allait surgir sur l’écran. Terese avait immédiatement essayé de l’appeler en sortant de l’écurie, puis en rentrant à la maison. Une sonnerie avait retenti dans la chambre de Tyra. Ce n’était pas la première fois qu’elle oubliait de prendre son téléphone. Quelle tête en l’air !

Soudain elle sursauta en percevant un bruit dans le vestibule. C’était peut-être son imagination qui lui jouait des tours, car il était quasi impossible d’entendre quoi que ce soit à travers les cris et les hurlements des garçons. Mais si ! Une clé dans la serrure ! Elle se leva et se précipita dans l’entrée, tourna elle-même le verrou et ouvrit la porte. L’instant d’après, elle serra sa fille dans ses bras et laissa couler les larmes qu’elle avait retenues ces dernières heures.

— Ma chérie, ma chérie, chuchota-t-elle contre les cheveux de son enfant.

Les questions, ce serait pour plus tard. Pour l’instant, Tyra était là, avec elle, et c’était tout ce qui comptait.

Uddevalla, 1972

La petite la suivait du regard où qu’elle aille, et Laila avait l’impression d’être une prisonnière dans sa propre maison. Vladek était tout aussi désemparé, mais contrairement à elle, il extériorisait sa frustration.

Son doigt lui faisait mal. La fracture avait commencé à guérir, mais l’os qui se ressoudait la démangeait. Elle s’était rendue aux urgences à maintes reprises ces six derniers mois. Les médecins avaient fini par se montrer suspicieux et indiscrets. Intérieurement, elle mourait d’envie de poser son front sur le bureau, de laisser libre cours aux pleurs et de tout raconter. Mais elle pensait à Vladek et se retenait. Les problèmes devaient être résolus au sein du foyer, c’était sa conviction. Et il ne le lui pardonnerait jamais si elle ne gardait pas le silence.

Elle s’était éloignée de sa famille. Sa sœur se posait des questions, tout comme sa mère, elle en était consciente. Au départ, elles étaient venues les voir à Uddevalla, mais c’était fini maintenant. Désormais, elles se contentaient d’appeler de temps en temps pour demander frileusement comment ça allait. Elles avaient déclaré forfait, et Laila aurait voulu pouvoir faire pareil. Mais ce n’était pas possible, alors elle les maintenait à distance, répondait sommairement à leurs questions, s’efforçait de garder un ton léger et de parler de choses futiles. Elle ne pouvait rien raconter.

La famille de Vladek donnait encore moins de nouvelles, mais c’était comme ça depuis le début. Ils sillonnaient le monde et n’avaient pas d’adresse fixe, alors comment rester en contact ? Et d’ailleurs tant mieux. Il était tout aussi impossible de leur expliquer la situation. Vladek et elle n’arrivaient même pas à se l’expliquer.

C’était un fardeau qu’ils devaient porter tout seuls.

Lasse sifflota en longeant la route. La satisfaction qu’il avait ressentie la veille après la réunion de la congrégation demeurait. La sensation d’appartenance lui faisait l’effet d’une ivresse sobre. C’était tellement libérateur d’être débarrassé de tous ces niveaux de gris et de réaliser que la réponse à ses questions se trouvait dans la Bible.

Sa démarche était juste, il le savait. Sinon, pourquoi Dieu lui en avait-il donné les moyens ? Pourquoi l’avait-il placé au bon endroit au bon moment, en face de quelqu’un qui méritait d’être puni ? Le jour même où cela s’était produit, il venait de prier Dieu de l’aider à se sortir d’une situation de plus en plus difficile. Il avait cru que la réponse à ses prières viendrait sous la forme d’un emploi, mais c’est une tout autre voie qui s’était présentée. Et la personne qui en subissait les conséquences était de la pire espèce, celle des pécheurs qui méritaient une justice biblique.

Terese avait commencé à poser des questions sur leur situation financière. C’est lui qui veillait à ce que les factures soient payées, mais elle avait demandé comment son modeste salaire de caissière de supermarché pouvait suffire à tout couvrir. Il avait murmuré quelque chose à propos d’indemnités de chômage, mais il voyait bien qu’elle était sceptique. Enfin, ça finirait par s’arranger. Les réponses viendraient à lui, c’était certain.

Il se rendait maintenant à la baignade de Sälvik. C’est lui qui avait choisi ce lieu de rendez-vous, sachant qu’il serait désert à cette époque de l’année. La plage, située tout près du camping, grouillait de monde en été, mais elle était vide en cette saison. Et la première maison était relativement éloignée. C’était un endroit parfait pour se rencontrer, il le proposait chaque fois.