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La chaussée était glissante et il descendait lentement la route qui menait à la plage. Elle était blanche de neige et une glace épaisse recouvrait l’eau jusqu’à plusieurs dizaines de mètres du bord. Au bout du ponton, un trou avait été percé dans la glace par les fous furieux qui insistaient pour prendre un bain de mer en hiver. Personnellement, il soutenait que le climat suédois ne convenait pas à la baignade, même en été.

Il était le premier arrivé. Le froid s’insinuait sous ses vêtements et il regretta de ne pas avoir mis un deuxième pull. Mais ayant dit à Terese qu’il se rendait à une réunion à la congrégation, il avait craint d’éveiller ses soupçons en s’emmitouflant sous plusieurs couches de vêtements.

L’impatience le gagna quand il s’avança sur le ponton. La structure en bois était dure et raide à cause des poteaux pris dans la glace. Il consulta sa montre et fronça les sourcils, irrité. Arrivé tout au bout, il s’appuya aux montants de l’échelle de baignade et regarda en bas. Les fanatiques des bains d’hiver avaient dû faire trempette récemment, la glace ne s’était pas encore reformée à la surface du trou. Il frémit. La température de cette eau-là avoisinait probablement zéro degré !

En entendant des pas sur le ponton, il se retourna.

— Vous êtes en retard, dit-il en tapotant sur sa montre. Donnez-moi l’argent tout de suite, qu’on puisse repartir. Je ne tiens pas à être vu et on se gèle ici.

Il tendit la main et sentit l’optimisme l’envahir. Dieu était bon, qui lui avait apporté cette solution. Le mépris qu’il éprouvait pour la personne devant lui était si profond qu’il empourpra ses joues.

Mais son mépris se mua rapidement en surprise. Puis en peur.

Son livre ne lui laissait aucun répit, elle y pensait sans arrêt. Quand Patrik avait expliqué qu’il était obligé d’aller travailler, Erica s’était d’abord agacée car elle avait prévu une autre visite à Laila. Puis le bon sens l’avait emporté. Évidemment qu’il était obligé d’aller au commissariat, même un samedi. L’enquête sur la disparition de Victoria était entrée dans une phase intense, et Patrik n’abandonnerait pas avant d’avoir bouclé l’affaire.

Grâce à Anna, qui était venue garder les enfants, Erica se trouvait de nouveau dans la salle des visites de l’établissement. Elle ne savait pas trop comment démarrer l’entretien, mais le silence ne semblait pas déranger Laila, qui regardait par la fenêtre, l’air pensif.

— J’ai visité la maison l’autre jour, finit par dire Erica.

Elle observa Laila pour voir comment elle réagirait à cette révélation, mais ses yeux bleus restèrent de glace.

— J’aurais peut-être dû le faire plus tôt, mais je crois qu’inconsciemment, j’hésitais à y aller.

— Ce n’est qu’une maison, répondit Laila avec un haussement d’épaules.

Toute sa personne exprimait l’indifférence et Erica eut envie de se pencher pour la secouer. Cette femme qui y avait vécu, qui avait accepté qu’on y enferme son enfant, qu’on l’enchaîne comme une bête dans une cave obscure, comment pouvait-elle se montrer si insensible devant une telle cruauté ? Quelles que soient les horreurs que Vladek lui avait fait subir, oui, même s’il l’avait complètement brisée, comment avait-elle pu rester impassible ?

— Il te frappait souvent ? demanda Erica en essayant de conserver son calme.

Laila plissa le front.

— Qui ça ?

— Vladek.

Faisait-elle semblant d’être bête ? Erica avait vu son dossier médical de l’hôpital d’Uddevalla, elle connaissait la liste des blessures.

— C’est si facile de condamner, dit Laila en regardant la table. Vladek n’était pas un homme mauvais.

— Comment peux-tu dire ça après ce qu’il vous a fait, à Louise et à toi ?

Malgré ses connaissances en victimologie, Erica ne comprenait pas pourquoi Laila continuait à protéger Vladek. Alors qu’elle avait fini par le tuer, pour se défendre ou pour se venger de la violence qu’il leur faisait subir, aux enfants et à elle.

— Tu l’aidais à enchaîner Louise ? Il te forçait ? C’est pour ça que tu te tais ? Parce que tu te sens coupable ?

Erica la harcela de questions comme jamais auparavant. C’était peut-être sa rencontre de la veille avec Nettan qui la faisait enrager, la détresse de cette femme face à la disparition de sa fille. Ce n’était pas normal d’être si indifférente devant l’inconcevable souffrance de son propre enfant.

Sans parvenir à se maîtriser, elle ouvrit le sac qu’elle emportait partout et en sortit le dossier avec les photographies.

— Regarde ça ! Tu as oublié comment c’était chez vous quand la police a débarqué ? Non, mais regarde !

Erica posa une photo sur la table et la poussa vers Laila qui finit par la regarder de mauvaise grâce. Erica lui en montra une autre.

— Et là. La cave telle qu’elle était ce jour-là. Tu vois la chaîne et les gamelles avec la nourriture et l’eau ? Comme pour un animal ! C’était une petite fille qui était enchaînée là, ta fille, que Vladek tenait prisonnière au sous-sol. Et tu le laissais faire. Je peux comprendre que tu l’aies tué, j’aurais fait pareil si quelqu’un avait traité mon enfant de la sorte. Mais pourquoi est-ce que tu le protèges ?

Elle s’arrêta et chercha son souffle. Le cœur battant, elle réalisa que la gardienne l’observait par la vitre de la porte. Elle baissa le ton.

— Pardon, Laila. Je… je ne voulais pas te blesser. C’est la visite à la maison qui a dû me perturber.

— J’ai entendu que les gens l’appellent la Maison de l’horreur, dit Laila en repoussant les clichés sur la table. C’est bien trouvé. C’était une maison de l’horreur. Mais pas comme vous l’imaginez.

Elle se leva et alla frapper à la porte pour qu’on la laisse sortir.

Restée seule à la table, Erica se maudit. Laila ne voudrait sûrement plus lui parler, et elle ne pourrait jamais terminer son livre.

Qu’est-ce que Laila insinuait avec cette dernière phrase ? Qu’est-ce qui n’était pas comme ils l’imaginaient ? En grommelant, elle ramassa les photos et les remit dans le dossier.

Une main sur son épaule vint interrompre ses réflexions contrariées, celle de la gardienne qui s’était tenue devant la porte.

— Venez, je vais vous montrer quelque chose.

— Quoi donc ?

— Vous verrez. C’est dans la chambre de Laila.

— Elle n’y est pas retournée ?

— Non, elle est sortie dans la cour. C’est là qu’elle va en général quand elle est troublée, pour marcher un peu. Elle y restera sûrement un bon moment, mais on va faire vite, on ne sait jamais.

Erica lut en catimini le badge épinglé sur la blouse de la gardienne. Betty. Elle la suivit, et comprit qu’elle allait voir pour la première fois la pièce où Laila passait le plus clair de son temps.

Au fond du couloir, Betty ouvrit une porte et Erica entra. Elle ignorait complètement à quoi ressemblaient les chambres des internées, et avait probablement regardé trop de séries télé américaines, car elle avait imaginé une sorte de cellule capitonnée. Elle trouva une pièce agréable et douillette à souhait. Un lit méticuleusement fait, une table de chevet avec un réveil et un petit éléphant en porcelaine rose qui faisait un gros dodo, une table où était posé un poste de télévision. Des rideaux jaunes encadraient la petite fenêtre certes placée haut sur le mur, mais qui laissait quand même entrer un peu de lumière.

— Laila ignore que nous sommes au courant.

Betty s’approcha du lit et se mit à genoux.