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— Vous avez le droit de faire ça ? demanda Erica en regardant la porte.

Elle ne savait pas si elle était nerveuse parce que Laila risquait d’arriver ou parce qu’un supérieur pourrait surgir et prétendre que les droits de Laila étaient bafoués.

— Nous avons des droits sur tout ce qu’il y a dans les chambres des internées, dit Betty en glissant un bras sous le lit.

— Oui, mais moi, je ne fais pas partie du personnel, protesta Erica, tout en s’efforçant de contenir sa curiosité.

Betty sortit une petite boîte, se leva et la lui tendit.

— Vous voulez voir ou pas ?

— Bien sûr que je veux voir.

— Alors je vais faire le guet. Moi, je sais déjà ce qu’il y a dedans.

Elle alla entrouvrir la porte pour surveiller le couloir.

Après un regard inquiet sur la gardienne, Erica s’assit sur le lit, la boîte sur les genoux. Si Laila arrivait maintenant, le peu de confiance qu’elle pouvait encore lui accorder s’évanouirait. Mais comment résister à la tentation de découvrir ce que renfermait cette boîte ? Betty semblait croire qu’elle trouverait cela intéressant.

En retenant sa respiration, elle ôta le couvercle. Elle ne s’attendait à rien de précis, mais le contenu la prit au dépourvu. Elle sortit, l’une après l’autre, les coupures de journaux, et des pensées désordonnées fusèrent dans sa tête. Pourquoi Laila conservait-elle des articles de presse sur les jeunes filles disparues ? Pourquoi ces disparitions l’intéressaient-elles ? Erica parcourut rapidement les textes et constata que Laila avait dû découper pratiquement tout ce que la presse locale et les tabloïdes avaient écrit sur le sujet.

— Elle peut revenir d’un moment à l’autre, lança Betty en guettant le couloir. Mais vous êtes d’accord avec moi, c’est étrange, non ? Elle se jette sur les journaux dès qu’ils arrivent, puis elle demande qu’on les lui rende une fois que tout le monde les a lus. Je ne comprenais pas à quoi ils lui servaient avant de trouver la boîte.

— Je vous remercie, dit Erica en reposant précautionneusement les coupures dans la boîte. Elle était où ?

— Tout au fond, dans le coin, collée au pied du lit.

Erica la remit à sa place. Avec ce nouvel élément, elle ne savait pas très bien comment poursuivre ses investigations. Ça ne signifiait pas forcément grand-chose. Laila s’intéressait peut-être à ces affaires par simple curiosité. Les gens pouvaient se passionner pour les sujets les plus farfelus. Mais elle ne croyait pas vraiment à cette hypothèse. Il devait y avoir un lien entre la vie de Laila et ces filles qu’elle n’avait jamais rencontrées. Et Erica avait bien l’intention de le trouver.

— Nous avons pas mal de questions à voir ensemble, déclara Patrik.

Tous opinèrent de la tête. Annika se tenait prête, munie d’un bloc-note et d’un stylo, et Ernst, couché sous la table, attendait les miettes qui tomberaient. Rien qui ne sorte de l’ordinaire, hormis l’ambiance tendue de la cuisine.

— Nous sommes allés à Göteborg hier, Martin et moi. Nous avons rencontré Anette Wahlberg, la mère de Minna, et aussi Gerhard Struwer qui nous a fait part de sa perception de l’affaire à partir du matériel qu’il avait reçu.

— De la couillonnade, oui, marmonna Mellberg comme sur commande. Gaspillage de ressources précieuses.

Patrik l’ignora et poursuivit :

— Martin a mis au propre ses notes, vous aurez chacun une copie.

Annika prit les documents posés sur la table et commença à les distribuer.

— Je vais vous exposer les points les plus importants, mais ensuite je voudrais que vous lisiez le rapport complet, au cas où j’aurais omis un détail.

Aussi brièvement que possible, Patrik rendit compte des deux entretiens.

— De ce qu’a dit Struwer, je retiens surtout deux éléments. Premièrement, il a souligné que le cas de Minna tranche avec les autres. Les divergences portent sur son histoire familiale, mais aussi sur la manière dont elle a disparu. La question est de savoir s’il existe une raison particulière. Suivre le conseil de Struwer et examiner sa disparition de plus près me semble pertinent. C’est pour ça que j’ai voulu rencontrer sa mère. Le ravisseur avait peut-être un lien personnel avec elle, ce qui, le cas échéant, pourrait nous aider à élucider l’affaire de Victoria. Ce travail doit bien entendu être mené en collaboration avec la police de Göteborg.

— Justement, glissa Mellberg. Je l’ai déjà dit, c’est une démarche sensible et…

— Nous n’allons marcher sur les pieds de personne, ajouta Patrik, épaté de constater qu’il fallait systématiquement que Mellberg répète les choses au moins deux fois. Nous aurons, je l’espère en tout cas, l’occasion de les rencontrer. Le deuxième conseil de Struwer était en effet de réunir les représentants des districts pour faire le point ensemble. Ce ne sera pas facile à organiser, mais il faut essayer.

— Ça va coûter bonbon. Le voyage de tout ce petit monde, le séjour, le temps de travail. La direction ne validera jamais, s’indigna Mellberg, et il glissa à Ernst un morceau de brioche sous la table.

Patrik se retint de pousser un gros soupir. Travailler avec Mellberg était comme se faire lentement arracher une dent. Ni simple ni indolore.

— Nous réglerons ce problème en temps et en heure. Il n’est pas impossible que la police nationale estime cette affaire prioritaire et nous alloue une enveloppe budgétaire.

— Ça devrait être faisable. On pourrait proposer de se retrouver à Göteborg ? suggéra Martin.

— Oui, bonne idée, dit Patrik. Annika, tu peux gérer ça ? Je sais que c’est le week-end, certains vont être difficiles à joindre, mais j’aimerais qu’on avance aussi vite que possible.

— Pas de problème.

Annika prit note dans son carnet, ajoutant un grand point d’exclamation.

— C’est vrai que tu es tombé sur ta tendre moitié à Göteborg ? demanda Gösta.

Patrik leva les yeux au ciel.

— Les nouvelles vont vite !

— Quoi ? Erica était à Göteborg ? Qu’est-ce qu’elle foutait là ? Encore en train de fourrer son nez partout ? explosa Mellberg avec tant d’emportement que ses cheveux dégringolèrent sur son oreille. Il faut que tu apprennes à serrer la vis à ta légitime. C’est pas possible de toujours l’avoir dans les pattes comme ça. Nous, on a un boulot à faire !

— Je lui ai parlé, elle ne recommencera pas.

Patrik se montra calme, mais il sentit l’irritation de la veille revenir au galop. C’était un comble qu’Erica ne comprenne pas qu’avec ses lubies, elle risquait de gêner le travail de la police et de causer de gros dégâts.

Mellberg lui jeta un regard hargneux.

— Elle n’a pas vraiment l’habitude de t’écouter.

— Je sais, mais je te promets que ça ne se reproduira pas.

Patrik comprit qu’il n’était pas crédible pour deux sous et se hâta de changer de sujet.

— Gösta, tu m’as fait un rapport hier au téléphone, tu peux nous en parler ? Surtout la deuxième partie, elle me paraît assez prometteuse.

Gösta hocha la tête. Lentement et méthodiquement, il relata sa visite chez Jonas, la kétamine volée peu de temps avant la disparition de Victoria. Il rendit compte du lien qu’il avait établi entre la jeune fille et la plainte de la voisine et pour finir évoqua le mégot trouvé dans le jardin de cette dernière.

— Bon boulot Gösta ! dit Martin. On a donc une vue imprenable sur la chambre de Victoria depuis le jardin de cette femme ?

Gösta bomba le torse. Ce n’était pas souvent qu’on le complimentait pour ses initiatives.

— Oui, on peut regarder droit dans la pièce. Je pense que notre homme s’est tenu là, et a fumé ses clopes pendant qu’il l’épiait. J’ai trouvé le mégot pile à l’endroit où Katarina avait aperçu sa silhouette.