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Wilhelm secoua la tête comme s’il avait du mal à en croire ses oreilles.

— Mais elle ne me confie rien. Je n’ai pas réussi à lui faire dire quoi que ce soit d’exploitable.

Erica put entendre la résignation dans sa propre voix.

— Racontez-moi ! Elle est comment ? Comment va-t-elle ?

L’entretien était en train de dévier. C’est Erica qui était censée poser des questions à Wilhelm et pas le contraire, mais elle décida de se montrer prévenante. Ce serait donnant donnant.

— Elle a l’air calme. Maîtrisée. Mais quelque chose la tracasse, c’est évident.

— Elle ressent de la culpabilité à votre avis ? Pour le meurtre ? Pour ce qu’ils ont fait à leur fille ?

Erica réfléchit.

— Oui et non. Elle ne paraît pas vraiment avoir de regrets, et en même temps elle endosse la responsabilité de ce qui s’est passé. C’est difficile à expliquer. Comme elle n’en parle pas, je me contente de lire entre les lignes, et il est possible que j’interprète de travers, que je me laisse influencer par mes propres sentiments face à son acte.

— Oui, c’était tellement atroce. Vous avez visité la maison ?

— J’y suis allée l’autre jour. Elle est assez délabrée, elle est restée vide tout ce temps. Mais c’était comme si les murs avaient conservé des souvenirs… Je suis descendue à la cave aussi.

Erica frémit en s’en rappelant.

— Je comprends ce que vous voulez dire. Ça me dépasse, qu’on puisse maltraiter un enfant comme l’a fait Vladek. Et que Laila ait laissé faire. Personnellement, j’estime qu’elle est aussi coupable que lui, même si elle vivait dans la terreur de ce qu’il pouvait entreprendre. Il y a toujours des issues, et l’instinct maternel devrait être plus fort que tout.

— Ils n’ont pas traité leur fils de cette manière. Pourquoi Peter s’en est-il mieux tiré, à votre avis ?

— Je n’ai jamais réussi à comprendre. Vous avez sans doute lu l’article où j’interviewais quelques psychologues à ce sujet.

— Oui, ils soutenaient que c’est par misogynie que Vladek tournait sa violence uniquement contre sa femme et sa fille. Mais ça ne colle pas vraiment non plus. D’après le dossier médical, Peter avait des blessures. Une luxation de l’épaule, une profonde entaille au couteau.

— C’est vrai, mais ce n’est pas comparable avec ce que Louise a enduré.

— Savez-vous ce qu’est devenu Peter ? Je n’ai pas réussi à le localiser. Enfin, pas encore.

— Moi non plus. Si vous y parvenez, est-ce que vous pouvez m’en tenir informé ?

— Vous n’êtes pas à la retraite ?

Erica réalisa aussitôt que c’était une question stupide. Cela faisait belle lurette que le cas Kowalski avait cessé d’être uniquement une mission journalistique pour Wilhelm, si toutefois il s’était jamais réduit à ça. Elle pouvait lire dans ses yeux qu’au fil des ans, cette affaire avait tourné à l’obsession. Et en effet il ne répondit pas à la question, et continua à parler de Peter.

— C’est un petit mystère. Comme vous le savez sans doute, il a vécu chez sa grand-mère après le meurtre, et apparemment il s’y plaisait. Mais sa grand-mère a été tuée lors d’un cambriolage qui a mal tourné. Il avait quinze ans à l’époque, il participait à un stage de football à Göteborg au moment du drame, et après cela, il a disparu, comme évaporé.

— Aurait-il pu se suicider ? demanda Erica en exprimant ses pensées à voix haute. En s’arrangeant pour qu’on ne retrouve jamais son corps ?

— Allez savoir. Ce serait une énième tragédie familiale.

— Vous pensez à la mort de Louise ?

— Tout juste. Elle s’est noyée pendant son séjour en famille d’accueil. Elle n’a pas été placée chez la grand-mère, mais dans une famille agréée. Chez des gens dont on estimait qu’ils sauraient mieux la soutenir après le traumatisme qu’elle avait vécu.

— Un accident de baignade inexpliqué, c’est ça ? demanda Erica en essayant de se remémorer les détails de ce qu’elle avait lu là-dessus.

— Oui, Louise et l’autre fille que ce couple avait accueillie — elles avaient le même âge — ont probablement été emportées au large par les courants. On ne les a jamais retrouvées. La fin tragique d’une vie tragique.

— Le seul membre de la famille encore en vie serait donc la sœur de Laila qui est installée en Espagne ?

— Sans doute. Cela dit, elles n’avaient pas beaucoup de contacts, même avant le meurtre. J’ai essayé de m’entretenir avec elle à quelques reprises, mais elle ne veut plus entendre parler de Laila. Vladek, lui, avait quitté sa famille et le monde du cirque en choisissant de rester en Suède avec Laila.

— Quel étrange mélange d’amour et de… mal, dit Erica, faute d’un mot plus adapté.

Wilhelm eut tout à coup l’air très fatigué.

— Ce que j’ai vu dans ce salon et dans cette cave, c’est l’incarnation du mal.

— Vous étiez présent sur la scène du crime ?

Il hocha la tête.

— À l’époque, c’était plus facile de s’introduire sur des lieux où on n’avait pas vraiment le droit d’être. J’avais mes contacts dans la police et ils m’ont laissé jeter un coup d’œil. Il y avait du sang partout dans le salon. Apparemment, ils avaient trouvé Laila assise là, en plein milieu. Elle n’a pas bronché, elle les a suivis, très calmement.

— Et Louise était enchaînée quand ils l’ont découverte, constata Erica.

— Oui, dans la cave, maigre et misérable.

Erica déglutit en visualisant la scène.

— Vous avez eu l’occasion de rencontrer les enfants ?

— Non. Peter était tout petit quand ça s’est passé. Les journalistes ont eu le bon sens de les laisser tranquilles, et la grand-mère et la famille d’accueil les ont tout le temps protégés des médias.

— Laila a tout de suite avoué. Vous savez pourquoi ?

— Elle ne pouvait pas faire autrement. À l’arrivée de la police, elle se tenait près du corps de Vladek, le couteau à la main. C’est elle-même qui a appelé les secours. Au téléphone, elle a dit : “J’ai tué mon mari.” C’est d’ailleurs la seule phrase qu’ils ont réussi à lui faire prononcer au sujet du meurtre. Elle l’a répétée pendant le procès, et depuis personne ne semble avoir pu briser son silence.

— Pour quelle raison a-t-elle accepté de me parler alors, à votre avis ? demanda Erica.

Wilhelm réfléchit un instant avant de répondre.

— Eh bien, on peut se le demander. Elle était obligée de rencontrer les policiers, ainsi que les psychologues, mais elle se prête de son plein gré à vos rendez-vous.

— Elle a peut-être envie de compagnie, elle en a marre de toujours voir les mêmes têtes, suggéra Erica, sans vraiment croire à cette explication.

— Ça m’étonnerait de Laila. Il doit y avoir autre chose. Elle n’a rien dit qui détonne, rien qui vous ait fait réagir, aucun indice autour d’un changement ou d’un événement nouveau ?

Il se pencha en avant, il était désormais assis tout au bord de sa chaise.

— Il y a une chose…

Erica hésita. Puis elle respira profondément et évoqua les articles que Laila dissimulait dans sa chambre. Que cela puisse avoir un lien avec leurs rencontres était un peu tiré par les cheveux, elle le comprenait parfaitement. Mais Wilhelm était tout ouïe et son esprit bouillonnait.

— Vous n’avez pas pensé à vérifier la date ?

— Quelle date ?

— La date à laquelle Laila a finalement accepté de vous voir ?

Erica fouilla fébrilement dans sa mémoire. C’était à peu près quatre mois auparavant, mais elle ne se souvenait pas du jour exact. Puis elle se rappela brusquement : c’était le lendemain de l’anniversaire de Kristina. Elle donna la date à Wilhelm qui, avec un sourire de travers, se pencha et ramassa par terre une grosse pile d’anciens numéros de Bohusläningen. Il chercha celui qui correspondait à la date fournie par Erica, proféra quelques “hum hum” de satisfaction quand il l’eut trouvé et présenta une page ouverte à Erica. Elle maudit sa bêtise. Évidemment. C’était forcément ça. La question maintenant était juste de savoir ce que cela signifiait.