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— Non.

— Il faut une force intérieure incroyable pour supporter autant de pertes.

— On supporte plus qu’on ne l’imagine. Quand on n’a pas le choix. Je ne suis pas spécialement croyante, mais on dit que Dieu ne met pas plus de fardeaux sur vos épaules que ce qu’Il vous sait capable de porter. Et Il doit savoir que je peux en porter beaucoup.

— Il va y avoir une cérémonie d’hommage à l’église de Fjällbacka aujourd’hui, dit Erica en observant Laila attentivement.

Elle prenait des risques en orientant l’entretien sur la piste de Victoria.

— Ah bon ?

Laila l’interrogea du regard, mais Erica vit qu’elle savait très bien de quoi elle parlait.

— Pour la jeune fille enlevée qui est morte juste après avoir été retrouvée. Tu as sûrement entendu parler d’elle. Elle s’appelait Victoria Hallberg. Ses parents vivent un moment très difficile. Comme les parents de celles qui sont toujours disparues.

— Oui. J’imagine que oui.

Laila parut lutter pour garder son calme.

— Leurs filles ont disparu et ils savent maintenant ce que Victoria a subi, ils doivent souffrir le martyre en imaginant que leur propre enfant a peut-être été exposée à la même horreur.

— Je sais seulement ce que j’ai lu dans le journal, dit Laila en déglutissant. Mais ça doit être affreux.

— Tu as suivi l’affaire de près ?

La mine de Laila était équivoque :

— Mouais, on lit les journaux tous les jours ici. Alors, oui, on peut dire que j’ai suivi l’affaire, comme tout le monde.

— Je vois, dit Erica en pensant à la boîte remplie de coupures soigneusement pliées dissimulée sous le lit.

— Tu sais, je suis assez fatiguée. Je ne peux plus parler maintenant. Il faudra que tu reviennes un autre jour, déclara Laila en se levant brusquement.

Un instant, Erica envisagea de la mettre au pied du mur. De lui dire qu’elle était au courant pour les coupures, qu’elle devinait que Laila avait un lien personnel avec les disparitions, mais sans comprendre lequel. Puis elle se ravisa. Le visage de Laila s’était fermé et ses mains serraient tellement fort le dossier de la chaise que les jointures en étaient toutes blanches. Si elle avait quelque chose à raconter, elle n’était pas en état de le faire.

Spontanément, Erica se leva, fit un pas en avant et caressa sa joue. C’était la première fois qu’elle la touchait, et elle trouva sa peau étonnamment lisse.

— À bientôt, on parlera une autre fois, dit-elle doucement.

En se dirigeant vers la porte, elle sentit le regard de Laila dans son dos.

Tyra entendit Terese fredonner dans la cuisine et alla la rejoindre. Elle la trouvait tellement plus joyeuse quand Lasse n’était pas à la maison. Et puis sa mère n’était pas fâchée pour l’incident de la veille, elle avait accepté son explication comme quoi elle avait oublié et était allée voir une copine. Il valait mieux ne rien lui dire, ce serait compliqué à gérer si elle apprenait la vérité.

— Qu’est-ce que tu prépares ?

Sa mère se tenait devant la table, les mains pleines de farine. Elle en avait même sur le visage. L’ordre et la propreté n’avaient jamais été son fort, et quand elle préparait à manger, Lasse se plaignait toujours que la cuisine ressemblait à un champ de bataille.

— Des kanelbullar. Je me suis dit que ça ferait un bon petit goûter après l’église cet après-midi. Je voudrais en mettre au congélo aussi.

— Lasse est à Kville ?

— Oui, comme d’hab.

De sa main pleine de farine, Terese écarta une mèche de cheveux, et son visage blanchit encore davantage.

— Bientôt tu ressembleras au Joker, dit Tyra.

Elle sentit des papillons dans son ventre quand elle vit sa mère sourire. C’était si rare désormais, elle avait toujours l’air triste et fatigué. Mais la sensation de bien-être disparut aussi vite qu’elle était apparue. L’absence de Victoria revenait engloutir sa joie à chaque instant. Et l’idée de cette cérémonie d’hommage lui serrait la gorge. Elle ne voulait pas lui dire adieu.

Elle contempla sa mère en silence un moment.

— Au fait, il était comment, Jonas, comme petit ami ? dit-elle ensuite.

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

— Je ne sais pas. Je me suis rappelé d’un coup que vous étiez sortis ensemble.

— Il était difficile à cerner. Assez fermé, en retrait. Un peu mou, en quelque sorte. Je me souviens que j’ai dû batailler pour qu’il ose ne serait-ce que glisser sa main sous mon pull.

— Maman !

Tyra se boucha les oreilles avec un regard de reproche à Terese. C’étaient là des choses qu’on ne voulait pas entendre à propos de sa mère. Elle préférait penser à elle comme à une poupée Barbie, complètement asexuée.

— Mais je t’assure, c’était un vrai trouillard. Son père était terriblement tyrannique. Parfois il semblait avoir peur de lui, et sa mère aussi d’ailleurs.

Terese étala la pâte sur la table et en tartina toute la surface d’une bonne couche de beurre.

— Tu crois qu’il les frappait ?

— Qui ? Einar ? Non, ça, je n’en ai jamais été témoin. Je l’entendais surtout gueuler et donner des ordres. Je pense qu’il fait partie de ces hommes qui aboient plus qu’ils ne mordent. Mais je ne le croisais pas très souvent. Il partait régulièrement pour dénicher des épaves de voitures ou alors il était dans la grange à les retaper.

— Ils se sont rencontrés comment, Jonas et Marta ?

Terese se figea et tarda quelques secondes à répondre, laissant l’occasion à Tyra de chiper un petit bout de pâte qu’elle fourra dans sa bouche.

— En fait, je ne l’ai jamais vraiment su. C’est allé très vite, comme si elle avait surgi de nulle part. J’étais jeune et naïve, je croyais qu’on resterait ensemble pour toujours, quand Jonas a subitement rompu. Faire des histoires, ça n’a jamais été mon truc, alors je suis partie, et puis c’est tout. J’ai été triste bien sûr, mais ça n’a pas duré.

Elle saupoudra la pâte beurrée de cannelle avant de la rouler sur elle-même.

— Et depuis, il n’y a pas eu des ragots sur Jonas et Marta ? Des rumeurs ?

— Tu sais ce que je pense des rumeurs, Tyra, dit Terese sévèrement tout en coupant le rouleau de pâte en tranches épaisses. Mais pour répondre à ta question : non, je n’ai jamais rien entendu de particulier, à part qu’ils sont bien ensemble. Et moi, j’ai rencontré ton père. Jonas et moi, on n’était pas faits l’un pour l’autre. On était tellement jeunes. Tu verras, tu connaîtras sûrement une passion de jeunesse, toi aussi.

— Arrête, dit Tyra, et elle se sentit rougir.

Elle détestait quand sa mère lui parlait de mecs et de trucs dans ce genre. Elle n’y comprenait rien.

Terese la scruta de plus près.

— Mais pourquoi tu poses toutes ces questions sur Jonas ? Et sur Marta ?

— Oh, pour rien. J’avais envie de savoir, c’est tout.

Tyra haussa les épaules et essaya de prendre un air détaché. Elle changea rapidement de sujet :

— Molly va pouvoir récupérer une des voitures dans la grange, une Coccinelle. Jonas a promis de la retaper pour elle.

Une pointe de jalousie se glissa dans sa voix malgré elle, et elle se rendit compte que cela n’avait pas échappé à sa mère.

— Je suis désolée de ne pas pouvoir te donner tout ce que je voudrais. Nous… Je… Tu comprends, la vie ne prend pas toujours la direction qu’on avait espérée.

Terese soupira et parsema de sucre perlé les viennoiseries qu’elle avait posées sur une plaque.

— Je sais, ce n’est pas grave, s’empressa de dire Tyra.

Elle n’avait pas voulu paraître ingrate. Elle savait que sa mère faisait de son mieux. Et elle eut honte de penser à une voiture en ce moment. Victoria, elle, n’aurait jamais de voiture.