— Ne dites rien, soupira Patrik. Contentez-vous d’accueillir Torbjörn et son équipe. Et prévenez-les que le lieu du crime n’est pas nickel. Ils auront de la chance s’ils réussissent à prélever quoi que ce soit.
Jonas posa un doigt léger sur la sonnette. Il n’était jamais venu chez Terese et avait dû chercher son adresse sur le Net.
— Jonas ! Salut !
Surprise, Tyra le fixa en ouvrant la porte, avant de s’écarter pour le laisser entrer.
— Elle est là, ta maman ?
Elle hocha la tête et fit un signe vers l’intérieur. Jonas jeta un regard autour de lui. L’appartement était propre et rangé, sans fioritures, exactement comme il l’avait imaginé. Il entra dans la cuisine.
— Bonjour Terese, dit-il, constatant qu’elle aussi était surprise. Je tenais à venir moi-même prendre de vos nouvelles. Je sais que ça fait un moment qu’on ne s’est pas vus, mais les filles du centre m’ont dit pour Lasse. Qu’il a disparu.
— Plus maintenant.
Les yeux de Terese étaient gonflés de larmes et elle s’exprimait d’une voix éraillée et monotone.
— Ils l’ont retrouvé ?
— Non, seulement la voiture. Mais il est probablement mort.
— Mort ? Tu devrais faire venir des proches pour te soutenir. Je peux appeler quelqu’un, si tu veux. Un pasteur, une amie ?
Jonas avait entendu dire que ses parents étaient décédés depuis longtemps, et il savait qu’elle n’avait ni frère ni sœur.
— Merci, mais j’ai Tyra. Les garçons sont chez des amis. Ils ne sont pas encore au courant.
— Bon, dit Jonas sans trop savoir quoi faire maintenant. Tu préfères que je parte ? Vous avez peut-être envie d’être tranquilles ?
— Non, non, reste. Il y a du café, et du lait au frigo. Tu prends du lait, toi, non ?
— Quelle mémoire ! sourit Jonas.
Il se servit une tasse et rajouta du café chaud dans celle de Terese, avant de s’asseoir en face d’elle.
— La police sait ce qui s’est passé ?
— Non. Mais ils ont des raisons de croire que Lasse est mort.
— D’habitude, ils ne font pas ce genre d’annonce au téléphone, il me semble ?
— C’est moi qui ai appelé Patrik Hedström pour… pour une autre affaire. J’ai entendu à sa voix qu’il s’était passé quelque chose, et il s’est probablement senti obligé de me le dire. Quelqu’un de chez eux ne va pas tarder à arriver.
— Tyra, comment elle l’a pris ?
Terese tarda à répondre.
— Lasse et elle n’étaient pas très proches, finit-elle par dire. Pendant les années où il buvait, il était complètement absent, et après, eh bien, il a plongé corps et âme dans une autre dépendance, qui parfois nous paraissait encore plus incompréhensible.
— Tu crois que ce qui lui est arrivé peut être lié à ce nouvel engouement ? Ou à son ancien dada ?
— Comment ça ?
— Je ne sais pas, une dispute à l’église qui aurait dégénéré. Ou alors il a retrouvé ses anciens copains de beuverie et s’est retrouvé mêlé à quelque chose d’illégal ? Est-ce que quelqu’un aurait pu avoir une dent contre lui ?
— Non, j’ai du mal à croire qu’il ait replongé. On peut dire ce qu’on veut de la communauté, mais elle le tenait éloigné de l’alcool. Et il n’a jamais dit un mot de travers sur aucun des membres. Ils lui offraient amour et pardon, comme il disait. Mais moi, je ne lui avais pas pardonné. J’avais décidé de le quitter. Et maintenant qu’il n’est plus là, il me manque.
Ses larmes commencèrent à couler et Jonas lui tendit un mouchoir en papier d’une boîte sur la table. Elle se tamponna les joues.
— Ça va aller, maman ? demanda Tyra depuis la porte de la cuisine.
Terese afficha un sourire crispé à travers ses larmes.
— Mais oui, ne t’en fais pas.
— Je ne sais pas si j’ai bien fait de venir, déclara Jonas. Je me disais que je pourrais peut-être me rendre utile.
— L’intention est bonne, c’est vraiment gentil.
On sonna à la porte, un signal strident, et tous deux sursautèrent. Il retentit encore une fois avant que Terese ait le temps d’ouvrir. En entendant le visiteur arriver dans la cuisine, Jonas se retourna et croisa pour la troisième fois un regard surpris.
— Tiens, Gösta. J’allais partir, dit-il rapidement, et il se leva et regarda Terese. Si je peux t’aider d’une manière ou d’une autre, tu n’as qu’à me faire signe.
— Merci, j’apprécie.
En se dirigeant vers la porte, il sentit une main sur son bras. À mi-voix pour que Terese ne l’entende pas, Gösta souffla :
— Il y a une chose dont je voudrais vous parler. Je passerai chez vous dès que j’ai terminé ici.
Jonas opina d’un signe de tête. Il sentit sa gorge se serrer. Il n’aimait pas le ton de Gösta.
Erica n’arrivait pas à chasser de son esprit Peter, le fils de Laila que sa grand-mère avait recueilli et qui avait disparu. Pourquoi s’était-elle occupée uniquement de lui et pas de sa sœur ? Était-il parti de son plein gré après la mort de sa grand-mère ?
Il y avait beaucoup trop de points obscurs le concernant, et le temps était venu d’essayer d’en tirer au clair au moins quelques-uns. Elle feuilleta son calepin jusqu’aux pages où elle avait noté les coordonnées de tous les protagonistes. Par souci de méthode, elle les regroupait toujours au même endroit. Seul problème : elle avait parfois dû mal à déchiffrer sa propre écriture.
Au rez-de-chaussée elle entendit les rires joyeux des enfants qui chahutaient avec Gunnar. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour adopter le copain de mamie, comme l’appelait Maja. Ils ne manquaient de rien et Erica pouvait travailler la conscience tranquille.
Son regard fut attiré vers la fenêtre. Elle avait vu la voiture de Mellberg arriver. Il avait freiné brutalement en faisant déraper les pneus, puis s’était précipité sur le ponton. Mais elle eut beau s’étirer, elle ne pouvait pas voir aussi loin, et les ordres de Patrik avaient été très clairs : elle devait rester à l’écart. Du coup, elle était obligée d’attendre qu’il rentre et qu’il lui raconte ce qu’ils avaient trouvé.
Elle retourna à son calepin. À côté du nom de la sœur de Laila, un numéro espagnol était griffonné, et Erica saisit le téléphone tout en essayant de décrypter ses propres pattes de mouche. Le dernier chiffre, était-ce un 7 ou un 1 ? Elle soupira et se dit qu’au pire, elle essaierait plusieurs fois. Elle décida de commencer par le 7 et composa le numéro.
Un signal sourd retentit dans le combiné. Les sonneries étaient différentes quand on appelait vers l’étranger, elle s’était toujours demandé pourquoi.
— ¡Hola ! répondit une voix d’homme.
— Hello. I would like to speak to Agneta. Is she home ?
Au lycée, Erica avait choisi le français comme deuxième langue étrangère après l’anglais, si bien que ses connaissances en espagnol étaient quasi nulles.
— May I ask who is calling ? dit l’homme dans un anglais irréprochable.
— My name is Erica Falck. I’m calling about her sister, ajouta-t-elle après une petite hésitation.
Il y eut un long silence. Puis la voix dit en suédois, avec un léger accent :
— Je m’appelle Stefan, je suis le fils d’Agneta. Je ne pense pas que maman ait envie de parler de Laila. Elles ont coupé les ponts il y a très longtemps.
— Je sais, Laila me l’a dit. Mais j’aurais quand même besoin de m’entretenir avec votre mère. Vous pouvez lui dire que c’est au sujet de Peter.