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— Et l’enquête ? Ils s’en sortent ? demanda-t-elle sur un ton plus sérieux. C’est vraiment horrible, la disparition de Lasse. Ils savent ce qui a pu lui arriver ?

— Ils viennent juste de le retrouver. Enfin, pas lui, mais sa voiture et ce qui ressemble fort à une scène de crime. Ils font intervenir des plongeurs, mais est-ce qu’ils vont retrouver le corps ? Il a très bien pu être emporté par les courants.

— J’ai croisé Tyra à l’écurie quand j’ai déposé les filles. Elle est mimi comme tout. Terese aussi a l’air sympa, mais je ne la connais pas vraiment. Je les plains…

Anna jeta un regard sur les kanelbullar que Kristina avait posés sur la table, mais elle ne se sentait pas d’appétit, même pour une petite sucrerie.

— Tu te nourris comme il faut ? demanda Erica avec un regard sévère.

Pendant toute leur enfance, elle avait été davantage une mère qu’une grande sœur pour Anna, et elle avait toujours du mal à sortir de son rôle. Anna avait cessé de lui tenir tête. Sans la sollicitude d’Erica, elle n’aurait jamais eu la force d’affronter toutes les épreuves de sa vie. Sa sœur adorée avait été là pour elle, contre vents et marées, et ces derniers temps il n’y avait que sous le toit d’Erica qu’Anna oubliait la culpabilité et retrouvait un peu de joie.

— Oui, ça va, j’ai juste eu pas mal de nausées ces temps-ci. Je sais que c’est psychosomatique, mais ça ne me rend pas l’appétit pour autant.

Kristina, qui s’affairait devant l’évier bien qu’Erica lui ait répété de venir s’asseoir, se retourna pour observer Anna.

— Erica a raison. Tu es pâlotte. Il faut que tu manges, que tu prennes soin de toi. Dans les moments de crise, c’est très important de bien s’alimenter et d’avoir un bon sommeil. Tu prends quelque chose pour dormir ? Je peux te donner des pilules, tu sais. Quand on ne dort pas, on n’arrive à rien, c’est sûr.

— Merci, c’est gentil, mais je n’ai aucun problème de sommeil.

C’était un mensonge. Elle passait la plupart de ses nuits à se tourner et se retourner dans le lit, à fixer le plafond et à essayer de repousser les mauvais souvenirs. Elle ne tenait pas, cependant, à plonger dans la spirale des psychotropes en essayant de calmer chimiquement l’angoisse dont elle était la seule responsable. Il y avait peut-être là un goût pour le martyre, un désir d’expier ses péchés.

— Je ne suis pas sûre de te croire, mais je n’insiste pas… dit Erica.

Anna savait pourtant que sa sœur ne pourrait pas faire autrement, et elle prit un roulé à la cannelle pour l’amadouer. Erica l’imita.

— Vas-y, fais-toi plaisir, on a besoin d’une couche de graisse supplémentaire en hiver.

— Dis donc, toi ! dit Erica, et elle feignit de vouloir lui lancer son petit pain à la tête.

— Ah, vous faites bien la paire, toutes les deux…

Kristina soupira et entreprit de nettoyer le réfrigérateur. La première réaction d’Erica fut de l’en empêcher, puis elle comprit que c’était un combat perdu d’avance.

— Comment avance ton livre ? demanda Anna en mastiquant une bouchée de viennoiserie qu’elle n’arrivait pas à avaler.

— Je ne sais pas. Il y a tant de choses bizarres que j’ignore par quel bout commencer.

— Raconte !

Anna but une gorgée de café pour faire passer la boule pâteuse qui s’était formée dans sa bouche. Elle ouvrit de grands yeux en écoutant Erica raconter les événements des derniers jours.

— C’est étrange, mais j’ai l’impression que l’histoire de Laila est liée aux filles disparues. Sinon, pourquoi aurait-elle conservé toutes ces coupures de presse ? Et pourquoi a-t-elle finalement accepté de me rencontrer le jour où les journaux ont parlé pour la première fois de la disparition de Victoria ?

— C’est peut-être un simple hasard ? avança Anna, mais la mine de sa sœur annonçait sa réponse.

— Non, il y a un lien, j’en suis sûre. Laila sait quelque chose qu’elle ne veut pas raconter. Ou plutôt, elle veut le raconter, mais est incapable de le faire. C’est probablement pour ça qu’elle a consenti à un entretien avec moi, pour avoir quelqu’un à qui se confier. Mais je n’ai pas encore réussi à la mettre en confiance.

Frustrée, Erica passa la main dans ses cheveux.

— Beurk, c’est un vrai miracle si certains trucs là-dedans ne sont pas déjà partis par leurs propres moyens, s’exclama Kristina, la tête à moitié enfoncée dans le réfrigérateur.

Erica jeta un regard à Anna qui exprimait clairement qu’elle n’avait pas l’intention de se laisser provoquer et qu’elle comptait ignorer l’entreprise de sauvetage.

— Il faut peut-être d’abord que tu en apprennes un peu plus, suggéra Anna.

Elle avait abandonné ses tentatives d’ingurgiter son kanelbulle et se contentait de siroter son café.

— Je sais, mais tant que Laila se tait, c’est quasi impossible. Tous les protagonistes ont disparu. Louise est morte, la mère de Laila est morte, Peter s’est volatilisé, probablement mort, lui aussi. La sœur de Laila semble ne rien savoir. Il ne reste plus personne à qui poser des questions, vu que tout s’est déroulé entre les quatre murs de leur maison.

— Louise est morte comment ?

— Noyée. Elle était allée se baigner avec une autre fille qui vivait dans la même famille d’accueil, et elles ne sont jamais rentrées, ni l’une ni l’autre. Leurs vêtements étaient posés sur un rocher, mais leurs corps n’ont jamais été retrouvés.

— Tu as parlé avec la famille d’accueil ? demanda Kristina derrière la porte du réfrigérateur, et Erica tressaillit.

— Non, ça ne m’est pas venu à l’esprit. Il n’y avait aucune connexion entre eux et ce qui se passait dans la famille Kowalski.

— Mais Louise a pu se confier à eux, ou à un des enfants accueillis comme elle.

— Oui…

Elle se sentit un peu stupide de ne pas y avoir pensé elle-même. Qu’une idée aussi évidente lui soit suggérée par sa belle-mère.

— Bien vu, Kristina, dit Anna rapidement. Ils habitent où ?

— Pas loin, à Hamburgsund, je pourrais effectivement y faire un saut.

— On peut rester avec les enfants. Vas-y tout de suite, l’encouragea Kristina.

— Moi aussi, je reste encore un peu, déclara Anna. Les cousins adorent être ensemble, et je n’ai rien d’urgent qui m’attend à la maison.

— Vous êtes sûres ? demanda Erica qui s’était déjà levée. Il faut peut-être que je les appelle d’abord pour vérifier qu’ils puissent me recevoir.

— Pars ! trancha Anna en agitant la main. Avec tout ce bazar à ranger chez vous, je ne serai pas désœuvrée.

Elle fut récompensée par un doigt d’honneur.

Patrik avait rassemblé tout le monde dans la cuisine. Les éléments dont ils disposaient étaient beaucoup trop épars et il avait besoin de structurer ce qui devait être fait. Il tenait à arriver bien préparé à la réunion à Göteborg. Pendant son absence, l’enquête sur la mort présumée de Lasse se poursuivrait. Il était stressé, et dut se forcer à décontracter les épaules et respirer à fond. Il avait eu une grosse frayeur deux ans auparavant quand son corps s’était rebellé et qu’il s’était effondré. Comme une sorte de signal d’alerte. Ses forces n’étaient pas inépuisables, même s’il adorait son métier.

— Nous faisons maintenant face à deux enquêtes. Je vais commencer par Lasse, dit-il, et il écrivit LASSE sur le tableau blanc et souligna le prénom.

— J’ai discuté avec Torbjörn, il fait au mieux, dit Martin.

— On attend de voir ce qu’il pourra en tirer…

Patrik eut du mal à garder son calme en se rappelant que son chef avait saccagé la scène du crime. Heureusement, il était rentré chez lui se mettre au lit et ne pourrait plus saboter l’enquête aujourd’hui.