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La guerre… elle lui paraissait si lointaine, à présent. Il pensa une nouvelle fois à démissionner de l’armée. Le jour, il parvenait à repousser cette idée mais c’était maintenant la nuit, et elle s’imposait à lui.

Il ne pourrait le faire tant que son pays serait en guerre. Et, surtout, tant qu’il serait stationné dans ces montagnes perdues et qu’il serait soumis aux caprices des soldats-politiciens de Berlin. Ce serait se livrer totalement à eux, et il savait ce qu’ils avaient en tête : Inscrivez-vous au Parti ou nous vous tiendrons à l’écart des combats ; Inscrivez-vous au Parti ou vous continuerez à jouer les chiens de garde dans les Alpes de Transylvanie ; Inscrivez-vous au Parti ou donnez votre démission.

Peut-être démissionnerait-il après la guerre. Ce printemps marquait son vingt-cinquième anniversaire dans l’armée. Au train où les choses allaient, un quart de siècle lui semblait bien suffisant. Il pourrait voir Helga tous les jours, passer du temps avec ses fils, consacrer son talent de peintre aux paysages de Prusse.

Et pourtant… l’armée avait été sa vraie famille pendant si longtemps, il ne pouvait s’empêcher de croire qu’elle écraserait un jour tous ces Nazis. S’il pouvait tenir jusqu’à ce jour…

Il ouvrit les yeux et contempla les ténèbres. En face de lui, le mur était plongé dans l’obscurité mais il pouvait presque sentir les croix qui y étaient insérées. Il n’était pas croyant mais leur présence avait quelque chose de réconfortant.

Et cela lui rappela l’incident de l’après-midi. Malgré tous ses efforts, Woermann ne pouvait chasser totalement la terreur qui s’était emparée de lui quand il avait vu le soldat – comment s’appelait-il, au fait ? Lutz ? — chercher à dégager la croix.

Lutz… le soldat Lutz… cet homme était un fauteur de troubles… Oster aurait tout intérêt à le surveiller de près…

Il s’enfonça dans le sommeil en se demandant si le cauchemar d’Alexandru le réveillerait.

II

LE DONJON
Mercredi 23 avril
3 heures 40

Le soldat Hans Lutz était installé sous une ampoule électrique, figure solitaire perchée sur une île de lumière perdue dans un fleuve d’ombre. Le dos appuyé à la pierre froide des caves du donjon, il tirait sur sa cigarette. Il avait ôté son casque, dévoilant ainsi ses cheveux blonds et son visage juvénile où tranchait le dessin plus dur des yeux et de la bouche. Lutz était épuisé et ne souhaitait qu’une chose, se glisser dans son sac de couchage pour quelques heures d’oubli. En fait, il se serait bien endormi sur place si la cave avait été un tout petit peu plus chaude.

Mais c’était une chose qu’il ne pouvait se permettre. Assurer la première garde pendant toute la semaine était déjà pénible – Dieu sait ce qu’il adviendrait de lui s’il se faisait prendre en train de dormir. Et le capitaine Woermann était bien du genre à vérifier par lui-même si Lutz faisait son devoir. Il devait donc rester éveillé.

C’était bien sa chance que le capitaine l’ait surpris cet après-midi ! Lutz avait remarqué ces étranges croix dès l’instant où il était entré dans la cour. Au bout d’une heure, la tentation avait été la plus forte. Elles ressemblaient trop à de l’or et de l’argent, il fallait qu’il vérifie par lui-même. Et maintenant, il était dans les ennuis jusqu’au cou.

Il avait du moins réussi à satisfaire sa curiosité : il ne s’agissait ni d’or ni d’argent ; mais cela ne valait tout de même pas une semaine de garde.

Il tenta de se chauffer les mains en les rapprochant du bout incandescent de sa cigarette. Mein Gott ! qu’il faisait froid. Plus froid qu’à l’extérieur, sur les remparts où Ernst et Otto montaient la garde. Lutz était descendu à la cave en sachant pertinemment qu’il y ferait frais, et que cette fraîcheur le tiendrait éveillé ; en fait, il espérait que cela lui fournirait l’occasion d’effectuer une nouvelle reconnaissance.

Car Lutz n’arrivait pas à se défaire de l’idée selon laquelle ce donjon aurait abrité le trésor des Papes. Les indices étaient trop nombreux, trop évidents. A commencer par les croix. Bien sûr, elles n’avaient pas la symétrie et la force des croix de Malte, mais c’était tout de même des croix. Et elles semblaient faites d’or et d’argent. De plus, aucune pièce n’était meublée, ce qui signifiait que personne ne souhaitait vivre ici, mais tout était parfaitement entretenu. Une organisation avait payé pendant des siècles pour que tout demeure impeccable. Pendant des siècles ! Il ne connaissait qu’une seule organisation qui fût capable et désireuse d’agir de la sorte : l’Église catholique.

Le donjon ne pouvait donc servir qu’à une seule chose : protéger le trésor du Vatican.

Ce trésor qui dormait quelque part – derrière les murs, sous les planchers – il le trouverait.

Lutz observa le mur de pierre du couloir. Les croix y étaient particulièrement nombreuses et, comme dans le reste du donjon, elles se ressemblaient toutes… à l’exception peut-être de celle de gauche, sur la première rangée… il y avait quelque chose de différent dans la façon dont elle reflétait la lumière. Une illusion optique ? Une patine différente ?

Ou un autre métal ?

Lutz posa contre le mur le fusil automatique Schmeisser qu’il tenait sur les genoux puis il dégaina sa baïonnette et traversa le couloir à quatre pattes. Il comprit qu’il avait fait une découverte importante à l’instant même où la pointe de la baïonnette toucha le métal jaune du montant de la croix : ce métal était tendre… tendre et jaune comme seul l’or peut l’être.

Ses mains se mirent à trembler quand il enfonça le bout de la lame entre la pierre et la croix. Bientôt, il ne put plus progresser. La pierre l’en empêchait. Il était donc parvenu derrière la croix. Avec un peu de chance, il l’extirperait d’une seule pièce.

Il fit jouer la baïonnette pour desceller la croix quand, subitement, la lame parut pénétrer dans le métal. Il travailla avec plus de précision mais la croix dérapa sous la pointe.

La pierre vacillait.

Lutz retira sa baïonnette et observa le bloc. Il ne présentait pourtant rien de spécial : une soixantaine de centimètres de longueur, quarante-cinq de hauteur et probablement trente de largeur. Il était dépourvu de ciment, comme tous les autres blocs de pierre du donjon, mais il se trouvait maintenant à un bon centimètre des blocs voisins. Lutz se leva alors pour évaluer la distance qui le séparait de la porte située à gauche ; une fois arrivé, il entra dans la pièce et mesura à nouveau. Les calculs n’étaient pas très compliqués, mais le nombre des pas n’était pas le même dans l’un et l’autre cas.

Il existait un grand espace vide derrière le mur.

Le cœur battant, Lutz pesa de tout son poids sur la pierre mais il ne parvint pas à l’écarter du mur. Et, quoique cette idée lui déplût, il dut admettre qu’il lui était impossible d’effectuer seul ce travail. Il allait devoir demander de l’aide à quelqu’un.