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Otto Grunstadt, le soldat de garde sur les remparts, lui parut tout indiqué. Il était toujours intéressé par quelques marks facilement gagnés. Là, c’était une véritable fortune qui les attendait. Le trésor des Papes dormait derrière cette pierre branlante. Lutz en était persuadé.

Il abandonna son Schmeisser et sa baïonnette pour s’élancer dans l’escalier.

— Grouille-toi, Otto !

— Je ne suis pas très chaud, tu sais, dit Grunstadt, qui courait derrière lui. C’est mon tour de garde, et si je me fais pincer…

— Ça ne prendra qu’une minute ou deux. Tiens, c’est par là.

Muni d’une lampe à kérosène qu’il avait trouvée dans la réserve, Lutz avait littéralement tiré Grunstadt de son poste. Il n’avait cessé de lui parler de richesses fabuleuses, de la chance de ne plus jamais travailler. Et Grunstadt avait cédé, comme un papillon attiré par la lumière.

— Tu vois ? dit Lutz, le doigt tendu vers la pierre. Tu vois comment elle est décalée ?

Grunstadt s’agenouilla pour examiner le bord abîmé de la croix. Il prit la baïonnette de Lutz, dont il appuya le tranchant sur le métal jaune du montant.

— C’est bien de l’or, fit-il doucement.

Lutz voulut le presser mais il dut se résoudre à le laisser agir à sa guise. Il le regarda éprouver de la pointe de la baïonnette toutes les croix voisines.

— Elles sont toutes en cuivre. C’est la seule à valoir quelque chose.

— Il y a surtout que le bloc remue librement, s’empressa d’ajouter Lutz. Il y a derrière un espace de deux mètres de large. Quant à la hauteur…

Grunstadt sourit. Sa décision était prise.

— Allez, au boulot.

Ils s’acharnèrent tous les deux sur le bloc de pierre mais celui-ci ne bougeait pas assez au gré de Lutz. Au bout de quinze minutes d’effort, il n’était qu’à trois petits centimètres du mur.

— Écoute, fit Lutz, haletant, ça va nous prendre toute la nuit à ce train-là, et nous n’aurons pas fini avant le prochain tour de garde. Essayons de soulever un peu plus le centre de la croix. Je vais tenter quelque chose.

Aidés de leurs deux baïonnettes, ils parvinrent à ménager au centre de la croix un espace suffisamment large pour que Lutz y glissât son ceinturon.

— Maintenant, on peut y aller !

Les pieds calés contre le mur, ils se mirent à tirer des deux mains sur le ceinturon. Lentement, la pierre avança en grinçant. Quand elle fut totalement sortie, ils la repoussèrent sur le côté et Lutz chercha une allumette.

— Tu es prêt à être riche ?

Il alluma la lampe à kérosène, régla la flamme et commença de ramper dans l’ouverture. Il se retrouva dans un puits étroit légèrement incurvé vers le haut… et ne mesurant pas plus d’un mètre vingt.

Le puits se terminait par un bloc de pierre identique à celui qu’ils venaient de dégager. Lutz en approcha la lampe. Une croix y était incrustée, une croix qui semblait également faite d’or et d’argent.

— Passe-moi la baïonnette, dit-il à Grunstadt, qui s’empressa de la lui donner.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est bouché.

Lutz se sentit accablé. Déplacer le bloc qui faisait obstruction était tout à fait impossible. Il faudrait pour cela abattre tout le mur, et il ne s’en sentait pas la force, quel que fût le nombre de nuits que Grunstadt et lui-même pourraient y consacrer. Il ne savait plus très bien quoi faire mais il pouvait tout au moins satisfaire sa curiosité quant au métal de cette nouvelle croix. Si le montant était en or, il aurait la certitude d’être sur la bonne piste.

Lutz réussit à approcher la baïonnette de la croix et à l’appuyer contre le métal. Celle-ci s’y enfonça doucement. Mais ce n’était pas tout. La pierre bascula légèrement. Étonné, Lutz poussa de la main et découvrit qu’elle ne faisait pas plus de trois centimètres d’épaisseur. Une bouffée d’air glacé, fétide, le frappa en plein visage. Les poils ras de sa nuque se hérissèrent.

Malgré lui, il se mit à frissonner. De froid. Mais pas de n’importe quel froid.

Il réprima son émotion et continua de ramper en brandissant la lampe devant lui, au niveau du sol. La flamme baissa quand il engagea la lampe dans la nouvelle ouverture ; elle ne vacilla pas, elle ne lécha pas non plus les parois du verre, de sorte que l’on ne pouvait imputer ce phénomène à une quelconque turbulence de l’air. La flamme mourait, tout simplement. Lutz pensa aussitôt à la présence d’un gaz nocif mais il n’éprouvait ni piquements de nez, ni irritation des yeux.

Il n’y avait peut-être pas assez de kérosène. Il ramena la lampe vers lui, et la flamme recouvra toute son intensité. Et puis, il pouvait entendre le kérosène clapoter dans le réservoir. Étonné, il avança une nouvelle fois la lampe, et la flamme diminua de nouveau. Plus il tendait le bras, plus la flamme dépérissait, pour bientôt ne plus éclairer du tout.

— Otto ! cria-t-il sans se retourner. Passe le ceinturon autour de mes chevilles et tiens bon. Je vais voir ce qu’il y a.

— On pourrait peut-être attendre demain… quand il fera jour.

— Tu es devenu fou ? Tout le monde sera au courant, ils voudront tous leur part du magot, même le capitaine ! On aura fait tout le travail et il ne nous restera plus rien !

— Ça ne m’emballe plus beaucoup, tu sais, fit Grunstadt d’une voix blanche.

— Arrête de parler comme une vieille femme ! cria Lutz.

Il se sentait suffisamment mal à l’aise pour ne pas avoir à subir les jérémiades d’Otto. Mais la fortune était là, à portée de sa main, et il n’allait pas laisser quoi que ce soit l’en écarter.

— Noue mon ceinturon et tiens bon ! Je n’ai pas envie de tomber dans un trou !

— D’accord, dit l’autre à contrecœur, mais dépêche-toi !

Lutz attendit l’instant où il sentit le ceinturon serré autour de sa cheville gauche puis il reprit sa reptation, précédé de sa lampe. Il passa la tête, puis les épaules par l’ouverture. La flamme était devenue minuscule… comme si toute lumière était bannie de cet endroit.

Lutz avança encore un peu, et la flamme mourut. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il n’était pas seul.

Quelque chose de froid et de sombre s’était éveillé à ses côtés, quelque chose qui avait faim. Il se mit à trembler sans pouvoir se maîtriser. La terreur lui faisait mal au ventre. Il voulut faire demi-tour, reculer, mais il était pris au piège, comme si le puits s’était refermé sur lui pour le faire prisonnier de ténèbres si totales qu’il n’y avait plus ni haut ni bas. Le froid l’envahit, et la peur l’enlaça, au point de le rendre fou. Il ouvrit la bouche pour appeler Otto, mais le froid s’insinua en lui et sa voix n’exprima plus que la terreur la plus totale.

Dehors, la ceinture que tenait Grunstadt se mit à vibrer et à se tordre au rythme des jambes de Lutz. Il y eut un cri, émis peut-être par une voix humaine, mais si lointain, si empli de terreur et de désespoir que Grunstadt ne put croire qu’il s’agissait de son ami. Le cri s’acheva en un immonde gargouillement horrible à entendre. Puis ce fut le silence. Les jambes de Lutz ne s’agitaient plus.

— Hans ?

Il n’y eut pas de réponse.

Pris de panique, Grunstadt tira sur le ceinturon jusqu’à ce qu’il pût attraper Lutz par les bottes. Il les agrippa et ramena son camarade dans le couloir.

Grunstadt lança un hurlement quand il découvrit ce qu’il venait de rapporter. Son cri se répercuta dans le couloir des caves, augmentant sans cesse de volume au point que les murailles commencèrent de trembler.

Paralysé, Grunstadt vit le mur dans lequel Lutz s’était engouffré se gonfler lentement. Des fissures apparurent dans les blocs de granite. Dans le couloir, les ampoules électriques perdirent de leur intensité puis, quand elles furent pratiquement éteintes, le mur explosa dans une ultime convulsion, couvrant Grunstadt d’éclats de pierre et libérant une chose d’un noir inconcevable, une chose qui se jeta sur lui et l’enveloppa tout entier.