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Devant la courroie de nouveau brandie, il se pelotonna pour encaisser la volée suivante, mais Mord ne se décidait pas à frapper. Le doute et la convoitise se disputaient son regard obtus. L’or, il le voulait, mais il redoutait une duperie. En homme manifestement dupé plus qu’à son tour. « Mensonge, grommela-t-il sombrement. Tu cherches à m’entuber, nabot.

— Je m’engagerai noir sur blanc à te tenir parole », jura Tyrion.

Un risque à courir. Certains illettrés méprisaient l’écrit ; d’autres, en revanche, éprouvaient pour lui une espèce de vénération superstitieuse, un peu comme pour une formule magique… Par bonheur, Mord était des seconds. La courroie retomba, flasque. «Noir sur blanc, l’or. Beaucoup d’or.

— Oh,beaucoup beaucoup d’or, promit Tyrion. La bourse n’est qu’un avant-goût, mon ami. Tu sais que mon frère porte une armure d’or massif ? » Tout bonnement d’acier doré, mais ce gros benêt n’y verrait que du feu.

Perdu dans ses pensées, le gros benêt tripotait son cuir. Il finit cependant par se raviser et sortit chercher de l’encre et du papier. Une fois le contrat rédigé, il le tourna, le retourna d’un air soupçonneux, mais Tyrion se fit pressant : « Va porter mon message, maintenant. »

Il dormait, grelottant, quand on vint enfin le chercher, tard dans la soirée. Sans souffler mot, Mord ouvrit la porte, et, de la pointe de sa botte, ser Vardis Egen titilla les côtes du captif. « Debout, Lutin. Ma dame veut te voir. »

Tout en se frottant vigoureusement les yeux, Tyrion mima une grimace fort étrangère à ses véritables sentiments. « Je conçois sans peine son désir, mais qu’est-ce qui vous fait croire que je le partage ? »

Ser Vardis se renfrogna. Pour l’avoir maintes fois croisé, du temps où, capitaine de la garde personnelle de la Main, celui-ci résidait à Port-Réal, Tyrion savait que sous sa face plate et carrée, ses cheveux blancs, sa forte carrure, se dissimulait une totale absence d’humour. « Tes désirs sont le dernier de mes soucis, nabot. Lève-toi, ou je te fais porter. »

Vaille que vaille, Tyrion se jucha sur ses pieds puis, mine de rien, observa : « Frisquet, cette nuit…, et votre grande salle, comme royaume des courants d’air, merci, aucune envie de m’enrhumer. Veux-tu être assez bon, Mord, pour m’aller quérir ma pelisse ? »

Tout rembruni par un regain de soupçons, la brute loucha, stupide.

« Ma pelisse, insista-t-il. Tu te souviens bien ? la fourrure de lynx que tu m’as prise pour qu’elle ne s’abîme pas…

— Apporte-lui son maudit manteau », maugréa ser Vardis.

Sans oser regimber mais non sans gratifier son prisonnier d’un regard qui jurait vengeance, Mord obtempéra. Et un sourire des plus gracieux le récompensa lorsqu’il se mit en devoir d’emmitoufler Tyrion. « Trop aimable à toi. A chaque instant où je la porterai, j’aurai pour toi une pensée émue. » La fourrure étant trop longue, il en drapa les pans sur son épaule droite et, tout à la volupté de ne plus grelotter, commanda : « Montrez-moi le chemin, ser Vardis. »

Fichées le long des murs dans des candélabres, cinquante torches embrasaient la grande salle des Arryn. La poitrine constellée de perles à l’emblème lune-et-faucon, la lady Lysa s’était affublée de soie noire, et comme elle n’était pas précisément du genre à se laisser tenter par la Garde de Nuit, Tyrion la suspecta d’avoir opté pour le grand deuil à seule fin de rehausser la solennité des aveux publics. Elle avait néanmoins sacrifié à la coquetterie d’une coiffure des plus compliquée qui s’achevait en torsade sur son sein gauche. A ses côtés, le grand trône demeurait vacant. Le petit sire des Eyrié devait roupiller dans ses convulsions. Toujours ça de gagné…

Après une profonde révérence, Tyrion s’accorda le loisir d’un bon examen circulaire. Ainsi qu’escompté, la dame avait convoqué pour la cérémonie ses chevaliers et sa maisonnée. Les traits burinés de ser Brynden Tully jouxtaient la morgue de lord Nestor Royce. Auprès de ce dernier se tenaient de farouches rouflaquettes noires qui ne pouvaient appartenir qu’à son héritier, ser Albar. La plupart des grandes maisons du Val étaient représentées. Mince comme une lame, ser Corbray. Le podagre lord Hunter. La veuve Waynwood et ses rejetons. Nombre d’autres, mais dont les armoiries lui étaient inconnues. Lance brisée, vipère verte, tour en flammes, calice ailé…

Parmi eux se trouvaient aussi plusieurs de ses compagnons d’aventure : encore mal remis, pâlot, ser Rodrik, flanqué de ser Willis Wode. Et Marillion, qui s’était déniché une harpe neuve. A cette vue, Tyrion se prit à sourire. Quoi qu’il advînt ici, cette nuit, le secret, grâces aux dieux, n’en serait pas gardé. Rien de tel qu’un de ces rhapsodes pour répandre de proche en proche et jusqu’au diable le dernier caquet.

Dans le fond, Bronn se dandinait contre un pilier, la main posée nonchalamment sur le pommeau de son épée, et ses yeux de jais ne lâchaient pas Tyrion. Celui-ci le fixa longuement. Au cas où… ?

Catelyn Stark ouvrit les hostilités. « A ce que l’on prétend, vous souhaitez confesser vos crimes ?

— Oui, madame », répondit-il.

La Lysa sourit, triomphante, à sa sœur. « Quand je te disais que, pour s’amender, les cellules célestes sont souveraines. On s’y trouve sous le regard des dieux, sans le moindre coin d’ombre où se tapir…

— Il ne me paraît guère amendé », riposta la première.

L’autre ne tint nul compte de l’observation. « A vous la parole », ordonna-t-elle à Tyrion.

Et maintenant, bien lancer les dés, songea-t-il tout en décochant à Bronn, par-dessus l’épaule, un nouveau regard furtif. « Par où débuter ? Je suis un petit bout d’homme ignoble, je le confesse. J’ai commis des crimes et des fautes innombrables, mes dames et messers. J’ai forniqué avec des putes, et pas une fois, des centaines ! J’ai désiré de tout mon cœur mille morts à mon propre seigneur de père, ainsi qu’à ma sœur, notre gracieuse souveraine. » Dans son dos, quelqu’un pouffa. « Je n’ai pas toujours bien traité mes serviteurs. J’ai joué. Il m’est même arrivé, je l’avoue à ma courte honte, arrivé de tricher. J’ai trop souvent brocardé méchamment les nobles seigneurs et les gentes dames de la Cour. » La saillie déclencha cette fois un rire éclatant. « Un jour, je…

— Silence ! » La face poupine et pâle de la Lysa s’était empourprée. « Qu’es-tu en train de nous débiter là, Lutin ? »

Il inclina la tête, l’œil arrondi. « Mais ! ce sont mes crimes que je confesse, madame… »

Catelyn Stark avança d’un pas. « Vous êtes accusé d’avoir soudoyé un sbire pour assassiner mon fils Bran dans son lit et d’avoir tramé le meurtre de lord Jon Arryn, Main du Roi. »

Il haussa les épaules d’un air accablé. « Ces crimes-là, pardonnez-moi, je ne saurais m’en accuser. J’ignore tout de ces deux meurtres, absolument tout. »

La lady Lysa bondit de son trône de barral sculpté. « Je ne tolérerai pas tes sarcasmes un instant de plus ! Tu as fait ton petit numéro, Lutin, je présume que tu es content. Ser Vardis, redescendez-le au cachot…, mais trouvez-lui une cellule plus petite et nettement plus pentue.

— Est-ceainsi qu’on rend la justice dans le Val ? rugit Tyrion d’une voix si tonitruante qu’un instant ser Vardis en fut pétrifié. Le sens de l’honneur y cesserait-il dès qu’on a franchi la Porte Sanglante ? Parce que je nie avoir trempé dans les crimes dont vous m’accusez, vous me condamnez à périr de froid et de faim dans une cellule à ciel ouvert ? » Il se redressa fièrement, pour que chacun pût contempler sur sa figure les traces de coups. « Où est la justice du roi ? Les Eyrié ne feraient-ils plus partie des Sept Couronnes ? Je me trouve en posture d’accusé, dites-vous. Fort bien. J’exige un procès ! Laissez-moi parler, je veux que l’on juge ouvertement, sous le regard des dieux et le regard des hommes, si je mens ou si je dis la vérité ! »