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— Paix, femme ! » aboya Robert. Il tendit à Ned une coupe. « Ta jambe ? toujours douloureuse ?

— Pas mal. » La tête lui tournait passablement, mais l’avouer ne désarmerait nullement Cersei, loin de là.

« Pycelle jure ses grands dieux qu’elle va très bien se ressouder. » Puis, le sourcil froncé : « Je présume que, pour Catelyn, tu es au courant ?

— Oui. » Il prit une petite lampée de vin. « Ma femme n’a rien à se reprocher, Sire. Elle a tout bonnement exécuté mes ordres.

— Je ne suis pas content, Ned, maugréa le roi.

— Et de quel droit osez-vous porter la main sur mon sang ? s’insurgea Cersei. Pour qui vous prenez-vous donc ?

— Pour la Main du Roi, répliqua-t-il d’un ton de courtoisie glaciale. Pour l’homme chargé par le seigneur et maître de Votre Grâce de veiller à la paix du roi et d’exécuter la justice du roi.

— Vousétiez sa Main, corrigea-t-elle, mais, à présent…

— Silence ! rugit le roi. Tu as posé une question, il t’a répondu. » Elle se tut, mais ivre de colère, et il revint à Ned. « Veiller à la paix du roi, dis-tu. Est-ce une façon de veiller à ma paix, sept morts…?

— Huit, rectifia la reine. Tregar a succombé ce matin à la blessure reçue de la main de lord Stark.

— Des enlèvements sur mes routes et, dans mes rues, des carnages d’ivrognes, Ned, je ne tolérerai pas cela.

— Catelyn avait une bonne raison pour s’emparer du Lutin, Sire, et…

— J’ai dit : je ne le tolérerai pas ! Au diable, elle et ses raisons. Tu vas lui commander de relâcher le nain sur-le-champ et faire la paix avec Jaime.

— Trois de mes hommes ont été massacrés sous mes yeux, et pourquoi ? parce que Jaime Lannister a eu la fantaisie de me châtier. Tu me demandes d’oublier cela ?

— Mon frère n’est pour rien dans cette histoire, dit Cersei. Au sortir d’un bordel, lord Stark était soûl. Ses gens se sont jetés sur Jaime et ses gardes aussi follement que sa femme sur Tyrion dans l’auberge du carrefour.

— Tu me connais trop pour croire ces assertions, Robert. Et si tu doutes de ma parole, interroge lord Baelish. Il se trouvait là.

— Je lui ai parlé. Il proteste être, dès avant le début du combat, parti à bride abattue chercher le guet mais confesse que vous reveniez de je ne sais quelle maison de catins.

— Detu ne sais quelle maison de catins ? Ne t’en prends qu’à tes yeux, Robert ! de celle où j’étais simplement allé voir ta propre fille. Sa mère l’a nommée Barra, et elle ressemble étonnamment à la première que tu engendras, dans le Val de notre adolescence commune. » Tout en parlant, il lorgnait la physionomie de la reine qui, toujours pâle, toujours impassible, ne broncha pas plus qu’un masque, ne trahit aucune émotion.

Robert, lui, s’empourpra. « Barra…, grogna-t-il. Pour me faire plaisir, je suppose ? Le diable l’emporte ! Je la croyais quand même plus sensée…

— Quinze ans tout au plus et putain, quel genre de bon sens attendais-tu d’elle ? », s’ébahit Ned, incrédule. Sa jambe commençait à le tourmenter rudement. Il avait grand mal à garder son sang-froid. « Cette pauvre gourde est amoureuse de toi, Robert. »

Le roi jeta un coup d’œil à Cersei. « Voilà un sujet malséant. En présence de la reine…

— Sa Grâce risque de trouver non moins malséant tout ce que j’ai à dire, riposta Ned. On m’assure que le Régicide s’est enfui. Permets-moi de le ramener devant ta justice. »

D’un air pensif, Robert faisait tournoyer le vin dans sa coupe. Puis il siffla une bonne lampée. « Non, dit-il enfin. Je ne veux plus qu’on me parle de cette histoire. Jaime t’a tué trois hommes, et toi cinq des siens. Affaire classée.

— Est-ce là ta conception de la justice ? s’indigna Ned. Dans ce cas, je suis bien aise de n’être plus ta Main. »

La reine se mit à considérer son mari. « Si personne avait eu le front de parler à un Targaryen comme il vient de te parler…

— Me prends-tu pour Aerys ? l’interrompit-il.

— Je te prends pour un roi. Les lois du mariage et les nœuds qui nous lient font de Jaime comme de Tyrion tes propres frères. Les Stark ont capturé l’un et contraint l’autre à s’exiler. Cet homme te déshonore comme il respire, et cela ne t’empêche pas de te tenir là, à sa botte, et de lui demander : “Ta jambe te fait mal ? T’offrirai-je une goutte de vin ?” »

La fureur violaça Robert. « Combien de fois encore me faudra-t-il te dire de tenir ta langue, femme ? »

Un mépris des mieux étudié parut sur les traits de Cersei. « Ha ! les dieux se sont bien gaussés de nous deux, dit-elle. En bonne logique, c’est toi qui devrais porter les jupes, et moi le haubert. »

A ces mots, Robert, ne se tenant plus, répliqua sans préavis par une gifle formidable qui l’envoya, sans un cri, baller contre la table et s’écrouler au sol. Plus impavide et pâle que jamais, Cersei Lannister se palpa délicatement la joue. Une rougeur la marquait déjà, qui promettait, sous peu, de s’élargir à tout le côté du visage. « J’arborerai cela comme une preuve de distinction, promit-elle.

— Arbore, arbore, mais en silence, ou je te distingue à nouveau, la prévint-il, avant de vociférer : Garde ! » Aussitôt se présenta, longue silhouette sombre dans son armure immaculée, ser Meryn Trant. « La reine est fatiguée. Reconduis-la à ses appartements. » Sans piper mot, le chevalier aida Cersei à se relever, s’effaça devant elle, et la porte se referma.

Empoignant le flacon, Robert se versa une nouvelle coupe. « Tu vois comment elle me traite, Ned. » Il s’installa dans un fauteuil et, tout en chambrant doucement son vin : « Mon épouse aimante. La mère de mes enfants. » Sa colère était retombée. Dans son regard fixe se lisait comme une tristesse mêlée d’embarras. « Je n’aurais pas dû la frapper. Ce n’était pas… – ce n’était pas royal. » Il se mit à examiner ses mains, stupide comme s’il les découvrait à l’instant. « J’ai toujours été d’une telle force… Personne ne peut me tenir tête, personne. Et comment veux-tu te battre, si tu n’as pas le droit de frapper ? » La vergogne le fit longuement branler du chef. « Rhaegar…, c’est Rhaegar qui agagné, le diable l’emporte. J’ai eu beau le tuer, Ned, j’ai eu beau l’achever en lui enfonçant ma masse, au travers de sa maudite armure noire, dans son maudit cœur noir, il a eu beau crever à mes pieds, on a eu beau chansonner sur tous les modes mon exploit, le vainqueur, c’est encore lui, dans un sens. A lui Lyanna, maintenant, à moi elle. » Il vida sa coupe d’un trait.

«  Sire, intervint Ned, il faut que nous parlions… »

Robert se pressa les tempes à deux mains. « Parler… Les parlotes, j’en suis malade à mourir. Dès demain, je pars chasser dans le Bois-du-Roi. Quoi que tu aies à me dire, ça peut bien attendre jusqu’à mon retour.

— Si les dieux daignent m’exaucer, je ne serai plus là quand tu reviendras. Tu m’as ordonné de regagner Winterfell – tu l’oublies ? »

Non sans devoir s’aider d’un montant du lit, Robert se remit sur pied. « Les dieux ne nous exaucent guère, Ned. Tiens, ceci t’appartient. » L’extirpant d’une poche dissimulée dans la doublure de son manteau, il jeta sur le lit le pesant insigne à la main d’argent.

« Que ça te plaise ou non, tu es ma Main, maudit sois-tu. Je t’interdis de partir. »

Les doigts de Ned se refermèrent sur la broche. Apparemment, il n’avait pas le choix. Sa jambe le lancinait, et il se sentait aussi démuni qu’un nouveau-né. « La petite targaryenne… »