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Des images si nettes, alors qu’on s’imagine avoir tout oublié… !

Les dernières qu’elle eut de lui… jusqu’à ce qu’il se la fasse amener, au Donjon Rouge, par le guet.

Quinze jours passèrent avant qu’il ne fût en état de quitter Vivesaigues, mais quinze jours durant lesquels Père avait formellement interdit qu’elle se rendît à son chevet. Lysa joignait ses soins à ceux du mestre. Si douce et timide, à l’époque ! Edmure aussi s’était déplacé pour le voir, mais Petyr l’avait éconduit, ne lui pardonnant pas d’avoir servi d’écuyer, lors de la rencontre, à Brandon. Et puis, et puis, sitôt qu’il le sut transportable, lord Hoster le réexpédia chez lui dans une litière fermée. Purger sa convalescence sur le petit doigt de roc battu par les vents qui l’avait vu naître.

Le fracas de l’acier sur l’acier pulvérisa les songes anciens. Aussi offensif du bouclier que de l’épée, ser Vardis menait la vie dure à Bronn. Sans un instant cesser de le tenir à l’œil, celui-ci battait constamment en retraite, pied à pied, parait, jamais en défaut pour déjouer l’embûche, racine ou pierre, du terrain. A l’évidence, il était plus prompt ; et s’il maintenait à distance, invariablement, l’arme élégante du chevalier, sa vilaine lame grisâtre avait déjà su taillader la plate d’épaule.

A peine commencée finit la vivacité de l’assaut, car Bronn, d’un pas de biais, se faufila derrière la statue présumée d’Alyssa et, en poussant une botte directe où il aurait dû le trouver, Vardis n’endommagea que la cuisse en marbre.

« Ils ne se battent pas pour de bon, Mère…, pleurnicha le sire des Eyrié. Je veux les voir se battre !

— Ils vont le faire, mon bébé mignon, le consola-t-elle. Le reître ne pourra courir toute la journée. »

Certains des seigneurs plantés là se répandaient en insultes et en quolibets, tout en lampant sec, mais, à l’autre bout du jardin, les yeux vairons de Tyrion Lannister ne lâchaient pas plus le ballet des champions que si rien d’autre au monde n’eût existé.

Aussi prompt que la foudre et toujours par la gauche, Bronn ne rejaillit auprès de l’effigie que pour assaillir, à deux mains, le flanc découvert de son adversaire qui bloqua le coup, mais si gauchement que la lame grise fusa vers sa tête et, lui faisant sonner le heaume, envoya s’écraser au diable une aile de faucon. Dans l’espoir de se ressaisir, Vardis retraita d’un pouce, bouclier brandi, sous les coups redoublés de Bronn qu’environnaient des copeaux de chêne puis auquel un nouveau pas vers la gauche entrebâilla la brèche juste assez pour frapper au ventre. L’estoc acéré mordit dans la plate, y pratiquant une encoche rutilante.

Ser Vardis n’en reprit pas moins son équilibre en avançant un pied, tandis que son épée d’argent décrivait une parabole sauvage que Bronn dévia, tout en se rejetant hors d’atteinte, par un entrechat, contre la statue, qui en tituba sur son socle. Passablement secoué, le chevalier recula, et la rotation saccadée de sa tête indiquait assez que l’étroitesse de la visière lui compliquait la recherche de l’adversaire.

« Derrière vous, ser ! » hurla lord Hunter. Trop tard. Bronn, à deux mains, abattait son arme et atteignait Vardis en plein coude droit, y écrabouillant la fragile articulation de métal. Avec un grognement de douleur, Vardis fit front, brandissant sa lame, sans que, cette fois, Bronn se dérobât. Les épées volèrent l’une vers l’autre, et le chant de l’acier, repris en écho par les blanches tours, peupla le jardin des Eyrié.

« Vardis est blessé », commenta gravement ser Rodrik.

Précision superflue. Catelyn avait des yeux pour voir, et elle voyait. Le filet de sang qui dégoulinait sur l’avant-bras. Le reflet gluant, même pas suspect, à l’intérieur de la cubitière. Et chaque parade du chevalier se faisait un rien plus lente, un rien plus basse que la précédente. Il avait beau tâcher de compenser à l’aide de son bouclier, de présenter le moins possible son flanc découvert, Bronn le déjouait toujours, par son mouvement circulaire et sa prestesse féline à s’insinuer, Bronn semblait sans cesse redoubler de force. Et ses coups laissaient des traces, désormais. Un peu partout, sur l’armure du chevalier, miroitait leur marque. Sur la cuisse droite, sur le bec du heaume, en travers du pectoral de plates, tout du long sur la face antérieure du gorgeret. Proprement sectionnée en deux, la rondelle lune-et-faucon de l’épaule droite ballottait au bout de son attache. Et trop distinctement se percevait, au travers des prises d’air et de la visière, un halètement rauque.

Tout aveuglés qu’ils étaient par leur morgue, les chevaliers et les seigneurs du Val se rendaient compte eux-mêmes du tour que prenaient les choses, mais Lysa point. « Assez joué, ser Vardis ! cria-t-elle de tout son haut, finissez-le-moi, maintenant, mon bébé commence à être fatigué ! »

Alors, il faut le porter à son crédit, le preux ser Vardis Egen puisa dans sa loyauté l’énergie d’obéir aux ordres de sa dame, dussent-ils être les derniers reçus. L’instant d’avant le voyait reculer, à demi pelotonné derrière son bouclier lacéré, l’instant d’après le vit foncer. Cette charge inopinée de taureau prit Bronn à contre-pied. Ser Vardis vint s’écraser sur lui, lui balançant à la volée son bouclier dans la figure, et il s’en fallut de rien, de rien, qu’il n’en fut renversé…, chancela vers l’arrière d’un pas, deux, buta contre une saillie du rocher, dut s’agripper à la statue pour ne pas tomber. Déjà, rejetant de côté son bouclier, ser Vardis se ruait sur lui. Depuis le coude jusqu’au bout des doigts, son bras droit n’était plus à présent que sang, ce qui l’obligeait à recourir à ses deux mains pour lever l’épée, mais l’énergie de son désespoir eût fendu Bronn jusqu’au nombril…, si Bronn se fût soucié d’encaisser le coup.

Or Bronn bondit hors de portée. La belle épée niellée d’argent de Jon Arryn flamboya contre le coude blanc de la pleureuse et s’y rompit net. De l’épaule, Bronn poussa l’antique effigie d’Alyssa Arryn qui oscilla pesamment puis, dans un vacarme assourdissant, renversa sous elle ser Vardis Egen.

En un clin d’œil, Bronn était sur lui et, d’un coup de pied, rejetait de côté la spallière démantibulée pour mettre à nu le défaut de l’épaule et du pectoral de plates. Immobilisé par le torse de marbre brisé, le vaincu gisait sur le flanc. Catelyn l’entendit grogner lorsque le reître empoigna son épée à deux mains et, pesant dessus de tout son poids, la lui enfonça sous l’aisselle puis dans les reins. Quelques spasmes, et ser Vardis Egen s’immobilisa.

Le silence avait pétrifié les Eyrié. Bronn retira sa coiffe et la laissa choir dans l’herbe, à ses pieds. Vilainement tuméfiée par le bouclier, sa lèvre saignait, la sueur collait ses cheveux charbonneux. Il cracha une dent cassée.

« C’est terminé, Mère ? » demanda le sire des Eyrié.

Non, lui eût volontiers répondu Catelyn, cela ne fait que débuter.

« Oui », dit Lysa d’un air revêche, mais d’une voix aussi froide et morte que le capitaine de sa garde.

« Je peux faire voler le petit homme, maintenant ? »

A l’autre bout du jardin, Tyrion se leva. « Pas ce petit homme-ci, dit-il. Ce petit homme-ci va redescendre dans la corbeille aux navets, merci mille fois.

— Vous présumez…, commença Lysa.

— Je présume que la maison Arryn se souvient de sa propre devise : Aussi haute qu’Honneur.

— Vous m’aviez promis que je le ferais voler… ! » couina le sire des Eyrié. Ses tremblements le reprenaient déjà.