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Une abeille glacée par la bise qui geignait, gueulait nuit et jour. Le pire étant pourtant le sol en pente. En pente douce, assurément, très douce. Bien assez. Bien trop. Tyrion vivait dans la terreur de fermer les yeux, dans la terreur de se laisser rouler durant son sommeil et de ne se réveiller, terrifié, qu’au moment même où il basculerait. Rien d’étonnant si, dans ces cellules célestes, les prisonniers devenaient fous…

Les dieux me préservent ! avait gribouillé sur la paroi l’un des occupants précédents, d’une encre excessivement similaire à du sang, l’azur fascine… Avec son incurable curiosité, Tyrion s’était d’abord interrogé sur cet homme et son sort, mais il ne tarda guère à privilégier l’ignorance.

Que n’avait-il fermé sa grande gueule !

La première faute à ce maudit marmot qui le toisait, depuis un trône de barral sculpté sous les bannières lune-et-faucon. Qu’on le toisât, certes, Tyrion Lannister n’avait eu que trop loisir, depuis sa naissance et jour après jour, de s’y accoutumer, mais se laisser toiser par cet écarquillé chassieux de six ans dont les fesses avaient besoin de piles de poufs pour se jucher à hauteur d’homme, ça, c’était une rareté ! « C’est lui, le vilain ? avait demandé le mouflet, tout empêtré dans sa poupée.

— Vvvoui…, lui avait susurré la lady Lysa, du fond du moindre trône qu’elle occupait à ses côtés, tout accoutrée de bleu, toute poudrée, toute parfumée pour aguicher les prétendants qui peuplaient sa cour.

— Il est tellement petit ! pouffa le sire des Eyrié.

— Je te présente Tyrion le Lutin, de la maison Lannister, qui a assassiné ton père. » Puis, haussant le ton de manière à étourdir de fond en comble les murs crémeux, les piliers sveltes de la grande salle des Eyrié et à y percer le moindre des tympans, elle glapit : « Voici le meurtrier de la Main du Roi !

— Oh ! s’exclama étourdiment Tyrion, parce que je l’ai lui aussi tué ? »

Juste au moment où il eût mieux fait de la boucler, sa grande gueule, et de s’incliner humblement. Une évidence, à présent. Une évidence qui l’avait d’ailleurs, par les sept enfers ! frappé sur-le-champ… Si vaste et austère que fût la grande salle des Arryn, avec la froideur sinistre de ses marbres blêmes veinés de bleu, bien autrement glaciales et renfrognées s’étaient faites les dégaines, tout autour. Il était au diable, dans le Val, au diable de Castral Roc et de sa puissance, et les Lannister n’y comptaient pas d’amis. Rien ne l’eût mieux défendu que le silence et la soumission.

Et voilà où l’avait mené l’excès d’humiliation : jusqu’à lui troubler la jugeote… Tout cela pour n’avoir pu faire les derniers pas de l’interminable escalade jusqu’aux Eyrié ; parce que ses jambes torses refusaient le moindre effort supplémentaire ; et que Bron avait dû le porter, à la fin. Et voici que la fierté blessée versait de l’huile, encore et encore, sur les flammes de la colère. « A vous en croire, avait-il repris d’un ton sarcastique, je fus un petit bonhomme fort affairé ! » Et de ricaner : « Rien qu’à penser que j’ai trouvé le temps de perpétrer tant de meurtres et tant d’attentats, je n’en reviens pas ! »

Au lieu de se rappeler à qui il avait à faire… La Lysa Arryn et son demi-débile d’avorton n’avaient pourtant pas à la Cour une telle réputation d’humour, surtout quand l’esprit les prenait pour cibles !

« Lutin, riposta-t-elle froidement, vous retiendrez votre langue maligne et vous adresserez poliment à mon fils, ou, croyez-m’en, je vous donnerai sujet de le regretter. Souvenez-vous que vous vous trouvez aux Eyrié. Et en présence de chevaliers du Val, d’hommes loyaux qui chérissaient Jon Arryn. Ils sont tous prêts à mourir pour moi.

— Et vous, lady Arryn, souvenez-vous que, s’il m’arrive le moindre mal, mon frère Jaime sera trop heureux qu’ils s’exécutent. » Au moment même où il crachait ces mots, il savait pertinemment commettre une folie.

« Sauriez-vous voler, messire Lannister ? minauda-t-elle. Les nains auraient-ils des ailes ? Dans le cas contraire, vous seriez plus avisé de ravaler la prochaine menace qui vous traversera la cervelle.

— Je n’ai pas menacé, répliqua-t-il, c’était une promesse. »

A ces mots, le petit lord Robert bondit sur ses pieds, si bouleversé qu’il laissa tomber sa poupée. « Vous ne pouvez nous faire aucun mal ! piaula-t-il. Ici, personne ne peut nous faire du mal. Dites-lui, Mère, dites-lui qu’il ne peut pas nous faire du mal, ici ! » Ses spasmes nerveux annonçaient la crise.

« Les Eyrié sont inexpugnables », affirma-t-elle paisiblement. Elle attira son fils contre elle et l’enferma, bien à l’abri, dans le cercle blanc de ses bras pulpeux. « Le Lutin veut simplement nous effrayer, mon bébé joli. Les Lannister ne sont que des menteurs. Personne ne fera de mal à mon bébé joli. »

En quoi elle voyait probablement juste, la garce ! Il suffisait à Tyrion de se rappeler le calvaire de la montée pour imaginer ce que serait celui d’un chevalier contraint d’affronter, pied à pied, tout engoncé dans son armure, et jusqu’au sommet, des adversaires résolus, et ce sous une avalanche de pierres et de traits… Un cauchemar. Encore le terme était-il trop faible. Comment s’étonner, quand on les avait vus, que les Eyrié n’eussent jamais été pris ?

Néanmoins, Tyrion ne put s’empêcher de taquiner. « Inexpugnables, non, simplement malaisés d’accès. »

Du coup, le marmot entra en transe et, l’index tendu, convulsif, vers lui, s’égosilla : « Menteur ! vous êtes un menteur ! Faites-le voler, Mère ! je veux le voir voler ! » Aussitôt, deux gardes en manteau bleu ciel empoignèrent Tyrion par les bras, et ses pieds quittèrent le sol.

Alors, les dieux savaient ce qui serait advenu de lui si ne s’était interposée lady Stark. « Ma sœur, protesta-t-elle, depuis la place où elle se tenait, au bas des trônes, je me permets de te rappeler que cet homme est mon prisonnier. Je ne veux pas qu’on le maltraite. »

Après avoir fixé sur elle un long regard glacé, la Lysa se leva et, balayant les marches de ses jupes à traîne, fonça sur Tyrion mais, au lieu de le frapper, comme il le redouta un instant, commanda de le lâcher. Seulement, les hommes s’exécutèrent avec une telle brusquerie qu’en heurtant le sol ses jambes se dérobèrent sous lui, et il s’aplatit à leurs pieds.

La grande salle des Arryn salua l’exploit par une explosion tonitruante d’hilarité.

Assurément, il devait offrir un spectacle burlesque, comme il gigotait pour rassembler ses genoux et qu’une crampe atroce au mollet droit le contraignait à un surcroît de reptations vaines…

« Le petit hôte de lady Stark est trop las pour se tenir droit, commenta la garce Arryn à la cantonade. Ser Vardis ? veuillez le descendre aux cachots. Un rien de repos dans une cellule céleste lui fera le plus grand bien. »

A nouveau, les gardes l’empoignèrent sous les aisselles. Tyrion Lannister pendouillait entre eux, rouge de honte, tel un pantin secoué de spasmes dérisoires. « J’ai bonne mémoire… ! » les prévint-il tandis qu’ils l’emportaient.

Excellente, même. Mais pour quel profit ?

A titre de consolation, il s’était d’abord persuadé que son emprisonnement ne durerait point. La Lysa voulait simplement le mortifier. Puis elle le referait comparaître, et sous peu. A défaut d’elle, Catelyn Stark du moins désirerait l’interroger. Et il se promettait, alors, de surveiller sa langue plus étroitement. Quant à le tuer sans autre forme de procès, on n’oserait : il demeurait, envers et contre tout, un Lannister de Castral Roc ; verser son sang vaudrait déclaration de guerre. Il passait en tout cas son temps à se l’affirmer.