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Prosper était ébranlé; M. Verduret le comprit, et il lança son dernier argument, le plus sûr, celui qu’il tenait en réserve.

– D’ailleurs, ajouta-t-il, qui nous assure que mademoiselle Madeleine est ici pour son compte? Ne sommes-nous pas arrivés à cette conviction qu’elle se sacrifie? La volonté supérieure qui lui a imposé votre bannissement peut fort bien l’avoir obligée à cette démarche de ce soir.

Toujours la voix qui parlera dans le sens de nos plus chers désirs sera écoutée. Cette supposition, si peu probable en apparence, frappa Prosper.

– En effet, murmura-t-il, qui sait!…

– Je saurais bien, moi, fit Verduret, si je pouvais voir.

Prosper resta un moment sans répondre.

– Me promettez-vous, monsieur, prononça-t-il enfin, de me dire votre pensée entière, la vérité, si pénible qu’elle pût être pour moi?

– Je vous le jure sur ma parole d’honneur.

Aussitôt, avec une force dont il ne se serait pas cru capable quelques instants avant, Prosper enleva l’échelle et en plaça le dernier échelon sur ses épaules, ainsi que son compagnon l’avait fait.

– Montez! dit-il alors.

En une seconde, si légèrement, si adroitement qu’il n’imprima pas à l’échelle une seule secousse, M. Verduret fut à hauteur de la fenêtre.

Prosper n’avait que trop bien vu. C’était Madeleine qui était là, à cette heure, seule chez Raoul de Lagors.

Elle avait conservé, M. Verduret le remarqua fort bien, ses vêtements du dehors, son chapeau et son pardessus de drap.

Debout au milieu de la chambre, elle parlait avec une grande animation. Son attitude, ses gestes, sa physionomie trahissaient une vive indignation difficilement contenue, et un certain mépris mal déguisé.

Raoul, lui, était assis sur une chaise basse, près de la cheminée, tisonnant le feu avec les pincettes. Par moments, il levait les bras en haussant les épaules, ce qui est le mouvement d’un homme résigné à tout entendre, et qui, à tout, répond: «Je n’y puis rien.»

Certes, M. Verduret aurait donné la jolie bague qu’il porte à son maître doigt pour entendre quelque chose, ne fut-ce que dix mots de la conversation; mais, avec le vent qu’il faisait, il n’arrivait pas à son oreille le plus vague murmure et il n’osait approcher son oreille des vitres, dans la crainte d’être aperçu.

Évidemment, pensait-il, c’est une dispute, mais il est clair que ce n’est pas une dispute d’amoureux.

Madeleine cependant continuait, et c’est en étudiant la figure de Lagors qu’il distinguait fort bien, éclairée qu’elle était par la lampe placée sur la cheminée, qu’il espérait trouver le sens de cette scène. Par moments, il tressaillait en dépit de son indifférence apparente, ou bien il frappait plus fort dans le foyer avec ses pincettes; sans doute quelque reproche plus direct l’atteignait.

Désespérée, Madeleine en était venue à la prière; elle joignait les mains, elle s’inclinait, elle était presque à genoux. Il détourna la tête. Il ne répondait, d’ailleurs, que par monosyllabes.

Deux ou trois fois, Madeleine parut vouloir se retirer, toujours elle revenait, comme si, demandant une grâce, elle n’eût pu se résigner à sortir sans l’avoir obtenue.

À la dernière fois, elle trouva sans doute quelque raison décisive, car Raoul tout à coup se leva, ouvrit un petit meuble placé près de la cheminée et en sortit une liasse de papiers qu’il lui tendit.

Ah ça! pensait M. Verduret, quel diable de jeu jouent-ils? Est-ce une correspondance compromettante qu’est venue réclamer cette jeune demoiselle?

Madeleine, qui avait pris la liasse, ne paraissait pas encore satisfaite. Elle parlait et insistait de nouveau comme pour se faire remettre autre chose. Raoul refusant, elle jeta la liasse sur la table.

Ces papiers intriguaient singulièrement M. Verduret. Ils s’étaient éparpillés sur la table et il les apercevait assez bien. Il y en avait de plusieurs couleurs, de gris, de verts, de rouges.

Mais je ne m’abuse pas, pensait M. Verduret, je ne suis pas aveugle, ce sont là des reconnaissances du Mont-de-Piété!

Parmi toutes les feuilles étalées sur la table, Madeleine cherchait. Elle en prit trois, qu’elle plia et mit dans sa poche, et repoussa les autres avec un dédain bien manifeste.

Elle était, cette fois, résolue à se retirer, car sur un mot qu’elle dit, Raoul prit la lampe pour l’éclairer.

M. Verduret n’avait plus rien à voir. Tout en redescendant avec mille précautions, il murmurait:

– Des reconnaissances du Mont-de-Piété!… Quel mystère d’infamie cache donc cette affaire!…

Avant tout, il s’agissait de dissimuler l’échelle.

Raoul, en reconduisant Madeleine, pouvait avoir l’idée de faire quelques pas dans le jardin, et, malgré l’obscurité, la découvrir, cette échelle qui, ainsi dressée, se détachait en noir sur la muraille.

En toute hâte, M. Verduret et Prosper la couchèrent à terre, sans souci des arbustes qu’ils brisaient, et allèrent se poster où l’ombre était plus épaisse, dans un endroit d’où ils surveillaient à la fois et la porte de la maison et la grille.

Presqu’au même moment, Raoul et Madeleine parurent sur le perron. Raoul avait posé sa lampe sur la première marche, il offrit la main à la jeune fille, mais elle le repoussa d’un geste empreint d’une insultante hauteur qui, vu par Prosper, lui versa du baume dans le sang.

Ce mépris ne parut ni émouvoir, ni surprendre Raoul; il répondit simplement par ce geste ironique qui signifie: «Comme vous voudrez!»

Il alla jusqu’à la grille, l’ouvrit et la referma lui-même, puis rentra bien vite, pendant que la voiture de Madeleine s’éloignait au grand trot.

– Maintenant, monsieur, interrogea Prosper, que le doute torturait, souvenez-vous que vous m’avez promis la vérité quelle qu’elle soit. Parlez, ne craignez rien, je suis fort.

– C’est contre la joie alors qu’il vous faut être fort, mon ami. Avant un mois, vous regretterez amèrement vos flétrissants soupçons de ce soir. Vous rougirez en songeant que vous avez pu croire Madeleine la maîtresse d’un Lagors.

– Cependant, monsieur, les apparences!…

– Eh! c’est des apparences qu’il faut se défier. Pardieu! un soupçon, faux ou juste, est toujours basé sur quelque chose. Mais nous ne pouvons pas nous éterniser ici, votre gredin de Raoul a refermé la grille, je l’ai vu; il faut nous retirer par le chemin de tout à l’heure.

– Mais l’échelle!…

– Qu’elle reste où elle est; comme nous ne saurions effacer nos traces, le tout sera mis sur le compte des voleurs.

De nouveau ils franchirent le mur. Ils n’avaient pas fait cinquante pas sur la route, qu’ils entendirent le bruit d’une grille qui se refermait. Ils distinguèrent des pas, et bientôt un homme les dépassa qui gagnait la station. Quand il fut à quelque distance:

– C’est Raoul, fit M. Verduret, notre domestique de tantôt, Joseph, nous apprendra qu’il est allé rendre compte à Clameran de la scène. Si seulement ils avaient l’amabilité de parler français…

Il marcha un moment sans mot dire, cherchant à renouer le fil rompu de ses déductions.

– Comment diable, reprit-il tout à coup, ce Lagors qui ne doit chercher que le monde, le plaisir et le jeu, est-il venu choisir une maison isolée au Vésinet?