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– Eh bien! monsieur, j’avais précisément pour aujourd’hui un remboursement considérable.

– Ah! vraiment!…

Il n’y avait pas à se méprendre à l’intonation du commissaire de police; un soupçon, le premier, venait d’effleurer son esprit. Le banquier le comprit, il tressaillit et reprit très vite:

– J’ai fait face à mes engagements, mais au prix d’un sacrifice désagréable. Je dois ajouter que si on eut exécuté mes ordres, ces trois cent cinquante mille francs ne se seraient pas trouvés dans la caisse.

– Comment cela?

– Je n’aime pas à avoir chez moi, la nuit, de grosses sommes. Mon caissier avait la consigne d’attendre toujours à la dernière heure pour envoyer chercher les fonds qui étaient déposés à la Banque de France. Je lui avais surtout formellement défendu de rien garder en caisse le soir.

– Vous entendez? dit le commissaire à Prosper.

– Oui, monsieur, répondit le caissier, ce que dit monsieur Fauvel est parfaitement exact.

À la suite de cette explication, le soupçon du commissaire de police, loin de s’affirmer, se dissipait.

– Enfin, reprit-il, un vol a été commis. Par qui? Le voleur est-il venu du dehors?

Le banquier hésita un moment.

– Je ne le crois pas, répondit-il enfin.

– Et moi, déclara Prosper, je suis sûr que non.

Le commissaire de police avait préparé ces réponses, il les attendait. Mais il ne pouvait lui convenir d’en poursuivre sur-le-champ toutes les conséquences.

– Cependant, objecta-t-il, on doit tout prévoir. Et s’adressant à l’homme qui l’accompagnait:

– Voyez donc, monsieur Fanferlot, dit-il, si vous ne découvrirez pas quelque indice échappé à l’attention de ces messieurs.

M. Fanferlot, dit l’Écureuil, doit à une agilité qui tient du prodige le sobriquet dont il est fier. De grêle et chétive apparence, en dépit de ses muscles d’acier, on le prendrait, à le voir boutonné jusqu’au menton dans sa mince redingote noire, pour un sixième clerc d’huissier. Sa physionomie est de celles qui inquiètent. Il a le nez odieusement retroussé, des lèvres minces et de petits yeux ronds d’une agaçante mobilité.

Employé depuis cinq ans à la police de sûreté, Fanferlot brille de se distinguer, de se faire un nom; il est ambitieux. Hélas! toujours les occasions lui ont manqué, ou le génie.

Déjà, avant que le commissaire eût parlé, il avait fureté partout, étudié les portes, sondé les cloisons, examiné le guichet, fouillé les cendres de la cheminée.

– Il me paraît bien difficile, répondit-il, qu’un étranger ait pu pénétrer ici.

Il tournait autour du bureau.

– Cette porte, demanda-t-il, est fermée le soir?

– Toujours à clé.

– Et qui garde cette clé?

– Le garçon de bureau, auquel je la remets chaque soir en me retirant, répondit Prosper.

– Lequel garçon, ajouta M. Fauvel, couche dans la pièce d’entrée sur un lit de sangle qu’il tend tous les soirs et qu’il détend tous les matins.

– Est-il ici? demanda le commissaire.

– Oui, monsieur, répondit le banquier.

Aussitôt, il entrouvrit la porte et appela:

– Anselme!

Ce garçon, homme de confiance s’il en fut, était depuis dix ans au service de M. Fauvel. Certes, il ne pouvait être soupçonné, et il le savait; mais l’idée d’un vol est terrible, et il tremblait comme la feuille en se présentant.

– Avez-vous couché cette nuit dans la pièce voisine? lui demanda le commissaire de police.

– Oui, monsieur, comme d’ordinaire.

– À quelle heure vous êtes-vous couché?

– Vers les dix heures et demie; j’avais passé la soirée au café d’à côté, avec le valet de chambre de monsieur.

– Et vous n’avez entendu aucun bruit cette nuit?

– Aucun! et cependant j’ai le sommeil si léger que, si parfois monsieur descend à la caisse lorsque je suis endormi, le bruit de ses pas me réveille.

– Monsieur Fauvel vient donc souvent à la caisse la nuit?

– Non, monsieur, très rarement, au contraire.

– Y est-il venu la nuit dernière?

– Non, monsieur, j’en suis parfaitement sûr, ayant à peine fermé l’œil à cause du café que j’avais bu avec le valet de chambre.

– C’est bien, mon ami, fit le commissaire de police, vous pouvez vous retirer.

Anselme sorti, M. Fanferlot reprit ses recherches. Il avait ouvert la porte du petit escalier du banquier.

– Où conduit cet escalier? demanda-t-il.

– À mon cabinet, répondit M. Fauvel.

– N’est-ce pas là, dit le commissaire, qu’on m’a conduit en arrivant?

– Précisément.

– J’aurais besoin de le voir, déclara M. Fanferlot, je voudrais étudier cette issue.

– Rien n’est si facile, fit avec empressement M. Fauvel; venez, messieurs, venez aussi, Prosper.

Le bureau particulier de M. André Fauvel est composé de deux pièces: d’abord le salon d’attente, somptueusement décoré; puis le cabinet de travail ayant pour tous meubles un immense bureau, trois ou quatre fauteuils de cuir, et, de chaque côté de la cheminée, un secrétaire et un cartonnier.

Ces deux pièces n’ont que trois portes: l’une est celle de l’escalier dérobé, l’autre donne dans la chambre à coucher du banquier; la troisième ouvre sur le vestibule du grand escalier, et c’est par cette dernière que sont introduits les clients et les visiteurs.

D’un coup d’œil, M. Fanferlot eut inventorié la pièce où se trouve le bureau. Il semblait dépité, en homme qui s’est flatté de l’espoir de saisir quelque indice et qui ne trouve rien.

– Voyons de l’autre côté, dit-il.

Aussitôt il passa dans le salon d’attente, suivi du banquier et du commissaire de police.

Prosper restait seul dans le cabinet de travail.

Si grand que fût le désordre de ses idées, il ne pouvait pas ne pas comprendre que de minute en minute sa situation s’aggravait.

Il avait demandé, il avait accepté la lutte avec son patron, cette lutte était engagée, et désormais il ne dépendait plus de sa volonté de la faire cesser ou d’en arrêter les conséquences.

Ils allaient maintenant combattre, sans trêve ni merci, utilisant toutes armes, jusqu’à ce que l’un des deux succombât, payant de son honneur sa défaite.

Aux yeux de la justice, quel serait l’innocent?

Hélas! le malheureux employé ne sentait que trop combien peu les chances étaient égales, et le sentiment de son infériorité l’accablait.

Jamais, non jamais, il n’aurait cru que son patron réaliserait ses menaces. Car enfin, dans un procès comme celui qui allait s’engager, M. Fauvel avait autant à risquer et bien plus à perdre que son commis.

Assis dans un fauteuil près de la cheminée, il s’abîmait dans les plus sombres réflexions, lorsque la porte de la chambre à coucher du banquier s’ouvrit.

Une jeune fille remarquablement belle parut sur le seuil.

Elle était assez grande, svelte, et son peignoir du matin, serré au-dessus des hanches par une cordelière de soie, faisait valoir toutes les richesses de sa taille. Brune, avec de grands yeux doux et profonds, son teint avait la pâleur mate et unie de la fleur du camélia blanc, et ses beaux cheveux noirs encore en désordre, échappant au léger peigne d’écaille qui les retenait, retombaient à profusion, en grappes bouclées, sur son cou du dessin le plus exquis.