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Cependant, vers la fin du mois de juin, elle était assez bien pour revenir, avec sa mère, à La Verberie.

La méchanceté, cette fois, n’avait pas eu sa lucidité accoutumée. La comtesse, qui allait partout, se plaignant de l’insuccès de son voyage, put constater que, dans le pays, personne n’avait pénétré les raisons de son absence.

Un seul homme, le docteur Raget, savait la vérité. Mais Mme de La Verberie, tout en le haïssant de tout son cœur, rendait assez justice à son caractère pour être sûre de n’avoir pas à redouter de lui une indiscrétion.

C’est pour lui, qu’en arrivant, avait été sa première visite.

Elle le surprit un matin comme il sortait de table, lui demanda un moment d’entretien, et brusquement mit sous ses yeux les pièces officielles dont elle s’était munie à son intention.

– Vous le voyez, monsieur, dit-elle, l’enfant est bien vivant, et, moyennant une grosse somme, une bonne femme s’en est chargée.

– C’est bien, madame, répondit-il après un examen attentif, et si votre conscience ne vous reproche rien, je n’ai, pour ma part, rien à vous dire.

– Ma conscience, monsieur, ne me reproche rien.

Le vieux médecin hocha la tête, et arrêtant sur la comtesse un de ses regards qui font tressaillir la vérité aux plus profonds replis de l’âme:

– Jureriez-vous, prononça-t-il, que vous n’avez pas été sévère jusqu’à la barbarie.

Elle détourna les yeux, et, prenant son plus grand air, répondit:

– J’ai agi comme le devait faire une femme de mon rang, et je suis surprise, je l’avoue, de trouver en vous un avocat de l’inconduite.

– Eh! madame, s’écria le docteur, c’est de vous que devrait venir l’indulgence; quelle pitié voulez-vous qu’espère des étrangers votre malheureuse enfant, si vous, sa mère, vous êtes impitoyable?…

La comtesse ne voulut pas en entendre davantage, cette voix de la franchise offensait son orgueil, elle se leva.

– C’est tout ce que vous avez à me dire, docteur? demanda-t-elle d’un ton hautain.

– Tout… oui, madame, et je n’ai jamais eu qu’une pensée, celle de vous épargner d’éternels remords.

Ici, le noble et bon docteur se trompait; il ne pouvait s’imaginer qu’il rencontrait une exception. Mme de La Verberie était inaccessible aux remords. Mais cette âme, insensible à tout ce qui n’était pas jouissance ou satisfaction de la vanité, devait souffrir et souffrait cruellement.

Elle avait repris son train de vie ordinaire, mais ayant perdu une partie de ses revenus, elle ne pouvait plus arriver à joindre les deux bouts.

C’était là, pour elle, un texte inépuisable de récriminations, dont, sans cesse, à chaque repas, à propos de tout et de rien, elle sacrifiait sa fille.

Car tout en ayant déclaré que le passé n’existait pas, elle y revenait continuellement comme pour y puiser de nouveaux aliments à ses colères.

– Votre faute nous a ruinées, répétait-elle à tout propos.

Si bien qu’un jour Valentine exaspérée ne put s’empêcher de répondre:

– Vous me pardonneriez donc si elle nous eût enrichies!

Mais ces révoltes de Valentine étaient rares, bien que son existence ne fût plus qu’une longue suite de tortures, ménagées avec un art infini.

La pensée même de Gaston, cet élu de son âme, était devenue une souffrance. Peut-être, découvrant l’inutilité de son courage et de son dévouement à ce qu’elle avait cru le devoir, se repentait-elle de ne l’avoir pas suivi. Qu’était-il devenu? Comment n’avait-il pas imaginé un expédient pour lui faire tenir une lettre, un souvenir, un mot? Peut-être était-il mort. Peut-être l’avait-il oubliée. Il avait juré qu’avant trois ans, il reviendrait riche; reviendrait-il jamais?

Et même lui était-il possible de revenir? Sa disparition n’avait pas éteint l’horrible affaire de Tarascon. On le supposait noyé, mais comme on n’avait, de sa mort, aucune preuve positive, force avait été à la justice de donner satisfaction à l’opinion publique soulevée.

L’affaire avait été en cour d’assises, et Gaston de Clameran avait été condamné, par contumace, à plusieurs années de prison.

Quant à Louis de Clameran, on ne savait au juste ce qu’il était devenu. D’aucuns prétendaient qu’il habitait Paris où il menait joyeuse vie.

Informée de ces dernières circonstances par sa fidèle Mihonne, Valentine se prenait à désespérer. Vainement elle interrogeait le morne avenir, pas une lueur n’éclairait le sombre horizon de sa vie.

En elle, tous les ressorts de l’âme et de la volonté étaient brisés, et à la longue elle en était venue à cette résignation passive des êtres sans cesse maltraités, à cette insouciance, à cette abnégation de soi qui trahissent le sacrifice raisonné de la vie.

Et le temps passait, et quatre ans s’étaient écoulés depuis cette soirée fatale où Gaston dans la barque du père Menoul s’était abandonné au courant du Rhône.

Ces quatre années, Mme de La Verberie les avait employées on ne peut plus mal.

Voyant que décidément elle ne pouvait vivre de ses revenus, trop niaisement fière pour vendre des terres, qui, mal administrées, ne rendaient pas deux du cent, elle s’était résignée à emprunter et à manger le capital avec les revenus.

Or, comme dans cette voie il n’y a que le premier pas qui coûte, la comtesse avait marché rapidement.

Se disant: après moi le déluge, ni plus ni moins que feu M. le marquis de Clameran, la comtesse ne songeait plus qu’à se donner ses aises.

Elle reçut beaucoup, se permit de fréquents voyages dans les villes voisines, à Nîmes, à Avignon; elle fit venir de Paris des toilettes superbes, et donna carrière à son goût pour la bonne chère. Tout ce qu’elle avait si longtemps attendu de la munificence d’un gendre amoureux, elle se l’accorda. Il faut des consolations aux grandes douleurs!…

Le malheur est que ce semblant de luxe coûtait cher, très cher.

Après avoir vendu le reste de ses rentes, la comtesse emprunta sur le domaine de La Verberie d’abord, puis sur le château lui-même.

Et, en moins de quatre ans, elle en était arrivée à devoir plus de quarante mille francs et à ne plus pouvoir payer les intérêts de sa dette.

Elle commençait à ne plus trop savoir où donner de la tête, le fantôme de l’expropriation se tenait, la nuit, au pied de son lit, quand le hasard daigna venir à son secours.

Depuis un mois environ un jeune ingénieur, chargé d’études de rectification sur le Rhône, avait fait du village qui touche La Verberie son centre d’opérations.

Comme il était jeune, spirituel, fort bien de sa personne, il avait été d’emblée accepté par la société des environs, et souvent la comtesse le rencontrait dans les maisons où elle allait le soir faire sa partie.

Ce jeune ingénieur se nommait André Fauvel.

Ayant remarqué Valentine, il l’étudia attentivement, et, peu à peu, il s’éprit de cette jeune fille au maintien réservé, aux grands yeux tristes et doux, qui, dans cette galerie d’ancêtres, resplendissait comme un rosier en fleur au milieu d’un paysage d’hiver.

Il ne lui avait pas encore adressé la parole, que déjà il l’aimait.

Il était relativement riche; une carrière magnifique s’ouvrait devant lui, il se sentait l’initiative qui fait les millionnaires, il était libre… Il se jura que Valentine serait sa femme.