C’est à une vieille amie de La Verberie, noble, autant qu’une Montmorency, et pauvre, plus que Job, qu’il confia tout d’abord ses intentions matrimoniales.
Avec la précision d’un ancien élève de l’École polytechnique, il avait énuméré tous les avantages qui faisaient de lui un gendre phénix.
Longtemps la vieille dame l’écouta, sans l’interrompre. Mais, lorsqu’il eut fini, elle ne lui cacha pas combien ses prétentions lui semblaient outrecuidantes.
Quoi! lui, un garçon qui n’était pas né, un… Fauvel, géomètre ou arpenteur de son état, il se permettait d’aspirer à la main d’une La Verberie!
Avec une véhémence particulière, elle insista sur ces considérations d’un ordre supérieur. Heureusement, ce chapitre épuisé, elle en vint au positif.
– Cependant, ajouta-t-elle, il se peut que vous ne soyez pas éconduit. La situation de la comtesse est des plus embarrassées, elle doit à Dieu et à ses saints, la chère dame, les huissiers la visitent souvent, de sorte que… vous comprenez, si un jeune homme se présentait, animé d’intentions honnêtes et ayant du bien… eh! eh! je ne sais ce qui arriverait.
André Fauvel était jeune, les insinuations de la vieille dame lui semblèrent monstrueuses.
À la réflexion, cependant, lorsqu’il eut consulté, lorsqu’il se fut, surtout, donné la peine d’étudier l’esprit de la noblesse des environs, riche exclusivement de préjugés, il comprit que des considérations pécuniaires seraient seules assez fortes pour décider haute et puissante dame de La Verberie à lui accorder la main de sa fille.
Cette certitude dissipant ses hésitations, il ne songea plus qu’à se ménager un moyen de poser adroitement sa candidature.
Ce n’est pas que la chose lui parût aisée. S’en aller chercher femme son argent à la main répugnait fort à sa délicatesse et renversait toutes ses idées. Mais il ne connaissait dans le pays personne à qui se fier et son amour était assez grand pour le faire passer, les yeux fermés, sur toutes les répugnances.
L’occasion qu’il attendait de s’expliquer, sinon catégoriquement, au moins d’une façon claire et transparente, se présenta elle-même.
Comme il entrait, un soir, dans un hôtel de Beaucaire, pour dîner, il aperçut Mme de La Verberie qui allait se mettre à table. Tout en rougissant jusqu’aux oreilles, il lui demanda la permission de s’asseoir près d’elle, permission qui lui fut accordée avec un sourire des plus encourageants.
La comtesse soupçonnait-elle l’amour du jeune ingénieur? avait-elle été prévenue par son amie? Il est permis d’en douter.
Toujours est-il que, sans laisser à André la peine d’arriver, de transitions en transitions, jusqu’au sujet qui lui tenait si fort au cœur, elle commença dès le potage à se plaindre de la dureté des temps, de la rareté de l’argent et de l’insolence et de l’âpreté au gain des gens d’affaires.
La vérité est qu’elle était venue à Beaucaire pour un emprunt, qu’elle avait trouvé toutes les caisses cadenassées, et que son notaire lui conseillait une vente amiable de ses terres.
La colère, ce secret instant des situations qui est le sixième sens des femmes de tout âge, lui déliant la langue, elle fut, avec ce jeune homme presque inconnu, plus expansive qu’avec les gens de sa société la plus intime. Elle dit l’horreur de sa situation, sa gêne, les inquiétudes de l’avenir, et par-dessus tout, la douleur qu’elle éprouvait de ne savoir comment marier sa chère fille.
Lui, écoutait ces doléances infinies avec une figure de circonstance, mais intérieurement il était ravi.
Aussi, sans laisser finir la vieille dame, se mit-il à exposer ce qu’il appela sa façon d’envisager la position.
Après avoir plaint considérablement la comtesse, il avoua qu’il ne s’expliquait aucunement ses inquiétudes.
Quoi! elle était tourmentée de l’idée de n’avoir pas de dot à donner à sa fille! Mais Mlle Valentine était de celles dont la noblesse et la beauté sont un apport des plus enviables.
Il connaissait, pour sa part, plus d’un homme qui s’estimerait trop heureux que Valentine voulût bien accepter son nom, et qui se ferait un devoir – devoir bien doux – d’enlever à sa mère tout sujet de souci.
En définitive, la situation de la comtesse ne lui semblait pas si mauvaise qu’elle voulait bien dire. Que faudrait-il, pour la libérer, pour dégrever absolument le domaine de La Verberie? Une quarantaine de mille francs, peut-être? En vérité, ce ne serait pas une somme.
D’ailleurs, ce ne serait pas un cadeau que ferait là ce gendre, mais une avance. Est-ce que le domaine et le château de La Verberie ne lui reviendraient pas, tôt ou tard, augmentés par la constante plus-value des terres?
Et ce n’est pas tout. Jamais un homme aimant Valentine ne laisserait la mère de sa femme privée du bien-être dû à son âge, à sa noblesse et à ses malheurs.
Il s’empresserait donc d’ajouter à des revenus insuffisants de quoi se procurer, non seulement le nécessaire, mais encore le superflu.
À mesure que parlait André, avec une conviction trop accentuée pour être feinte, il semblait à la comtesse qu’une rosée céleste tombait sur toutes ses plaies d’argent. Elle s’épanouissait, son petit œil fauve avait des regards plus doux que velours, un provocant et amical sourire voltigeait sur ses lèvres minces, plus pincées d’ordinaire que les bords d’une cassette d’avare.
Un seul point inquiétait le jeune ingénieur. M’entend-elle, se demandait-il; me prend-elle au sérieux?
Certes oui; elle perçait la transparence des allusions, et ses réflexions le prouvèrent.
– Hélas! fit-elle non sans un soupir, ce n’est pas avec quarante mille francs qu’on sauverait La Verberie; intérêts et frais compris, il en faudrait bien soixante mille.
– Oh! quarante ou soixante, ce n’est pas une affaire.
– Puis, mon gendre – cet homme rare de nos suppositions – comprendrait-il les nécessités de mon existence?
– Il se ferait, j’imagine, un bonheur d’ajouter tous les ans quatre mille francs aux revenus de votre domaine.
La comtesse ne répondit pas immédiatement, elle calculait.
– Quatre mille francs… dit-elle enfin, ce ne serait guère. Tout est hors de prix en ce pays. Mais avec six mille livres!… oh! avec six mille livres…
L’exigence parut bien un peu forte au jeune ingénieur; pourtant, avec l’insouciante générosité d’un amoureux, il répondit:
– Le gendre dont nous parlons aimerait peu mademoiselle Valentine, si une misérable question de deux mille francs l’arrêtait.
– Vous m’en direz tant!… murmura la comtesse.
Mais une soudaine objection lui venait à l’esprit:
– Encore faudrait-il, remarqua-t-elle, que ce gendre honnête que nous supposons eût assez de bien pour remplir ses engagements. Je tiens trop au bonheur de ma fille pour la donner à un homme qui ne m’offrirait pas – comment dit-on cela? – une caution, des garanties…
Décidément, pensait Fauvel un peu honteux, c’est un marché que nous débattons.
Et, tout haut, il poursuivit:
– Il est clair que votre gendre s’engagerait par le contrat de mariage…