Выбрать главу

Il profita vite et bien des leçons. Après trois mois, il était lancé, sa réputation de beau joueur était établie, et il s’était fait noblement et glorieusement compromettre par une fille à la mode.

Descendu à l’hôtel tout d’abord, il avait loué près de la Madeleine un confortable entresol, avec une remise et une écurie pour trois chevaux.

Il ne garnit cette «garçonnière» que du strict nécessaire; malheureusement le nécessaire est hors de prix.

Si bien que, le jour où il fut installé, ayant essayé de faire ses comptes, il découvrit, non sans effroi, que ce court apprentissage de Paris lui coûtait cinquante mille francs, le quart de son avoir.

Et encore, il restait, vis-à-vis de ses brillants amis, dans un état d’infériorité désolant pour sa vanité, à peu près comme un bon propriétaire qui crèverait son bidet à vouloir suivre une course de chevaux anglais.

Cinquante mille francs!… Louis eut comme une velléité de quitter la partie. Mais, quoi! il abdiquerait donc! D’ailleurs ses vices s’épanouissaient à l’aise, dans ce milieu charmant. Il s’était cru prodigieusement fort, autrefois, et mille corruptions nouvelles se révélaient à lui.

Puis, la vue de fortunes subites, l’exemple de succès aussi surprenants et aussi inouïs que certains revers, enflammaient son imagination.

Il pensa que dans cette grande ville, où les millions se promènent sur le boulevard, il parviendrait infailliblement, lui aussi, à saisir son million.

Comment? il n’en avait pas l’idée, et même il ne la cherchait pas. Il se persuadait simplement qu’aussi bien que beaucoup d’autres, il aurait son jour de hasard heureux.

Encore une de ces erreurs qu’il serait temps de détruire.

Il n’est pas de hasard, au service des sots.

Dans cette course furieuse des intérêts, il faut une prodigieuse dextérité pour enfourcher, le premier, cette cavale capricieuse qui a nom l’occasion, et la conduire au but.

Mais Louis n’en pensait pas si long. Aussi absurde que cet homme qui espérait gagner à la loterie sans y avoir mis, il se disait: bast! l’occasion, le hasard, un beau mariage me tireront de là.

Il ne se présenta pas de beau mariage, mais le tour du dernier billet de banque arriva.

À une pressante demande d’argent, son notaire répondit par un refus.

Il ne vous reste rien à vendre, M. le marquis, lui écrivait-il, plus rien que le château. Il a certainement une grande valeur, mais il est malaisé, sinon impossible, de trouver un acquéreur pour un immeuble de cette importance, situé comme il l’est maintenant. Soyez sûr que je chercherai activement cet acquéreur, et croyez, etc.

Absolument comme s’il n’eût pas prévu cette catastrophe finale, Louis fut atterré. Que faire?

Ruiné, n’ayant plus rien à espérer, il était de sa dignité d’imiter les pauvres fous qui, chaque année, surgissent, brillent un moment et disparaissent soudain.

Mais Louis ne pouvait renoncer à cette vie de plaisirs faciles qu’il menait depuis trois ans. Il était dit qu’après avoir laissé sa fortune sur le champ de bataille, il y laisserait son honneur.

Il s’obstina, pareil au joueur décavé qui rôde autour des tables de jeu qui lui sont fermées, s’intéressant à une partie qui n’est plus la sienne, toujours prêt à tendre la main à ceux que favorise le sort.

Louis, tout d’abord, vécut du renom de sa fortune dissipée, de ce crédit qui reste à l’homme qui a dépensé beaucoup en peu de temps.

Cette ressource, rapidement, s’épuisa.

Un jour vint où les créanciers se levèrent en masse, et le marquis ruiné dut laisser entre les mains les derniers débris de son opulence, son mobilier, ses voitures, ses chevaux.

Réfugié dans un hôtel plus que modeste, il ne pouvait prendre sur lui de rompre avec ces jeunes gens riches qu’un moment il avait pu croire ses amis.

Il vivait d’eux, maintenant, comme autrefois de ses fournisseurs. Empruntant de-ci et de-là, depuis un louis jusqu’à vingt-cinq, ne rendant jamais. Il pariait, et, s’il perdait, ne payait pas. Il pilotait les jeunes et utilisait en mille services honteux une expérience qui lui coûtait deux cent mille francs; moitié courtisan, moitié chevalier d’industrie.

On ne le chassait pas, mais on lui faisait expier cruellement cette faveur d’être encore toléré. On ne se gênait pas avec lui, et ce qu’on pensait de sa conduite, on le disait tout haut.

Aussi, quand il se retrouvait seul, dans son taudis, s’abandonnait-il à des accès de rage folle. Il pouvait bien subir toutes les humiliations, mais non encore ne les plus sentir.

Il y avait d’ailleurs longtemps que l’envie qui le rongeait, que les convoitises qui le torturaient, avaient étouffé en lui jusqu’aux racines des sentiments honnêtes. Pour quelques années d’opulence, il se sentait prêt à tout hasarder, disposé à tenter même un crime.

Il ne commit pas de crime, cependant, mais il se trouva compromis dans une affaire malpropre d’escroquerie et de chantage.

Un vieil ami de sa famille, le comte de Commarin, le sauva, étouffa l’affaire et lui fournit les moyens de passer en Angleterre.

Quels furent, à Londres, ses moyens d’existence?

Seuls les détectives de la capitale la plus corrompue de l’univers sauraient le dire.

Descendant les derniers échelons du vice, le marquis de Clameran vécut dans un monde d’escrocs et de filles perdues, dont il partageait les chances et les honteux profits.

Forcé de quitter Londres, il parcourut successivement toute l’Europe, sans autre capital que son audace, sa corruption profonde et son adresse à tous les jeux.

Enfin, en 1865, ayant eu à Hambourg une veine heureuse, il revint à Paris, où il se disait que sans doute on l’avait oublié.

Il y avait dix-huit ans qu’il avait quitté la France.

La première pensée de Louis de Clameran, en arrivant à Paris, avant de s’y installer, avant même d’y chercher les ressources qu’il savait trouver ailleurs, fut pour son pays natal.

Ce n’est pas qu’il y eût aucun parent, aucun ami, même de qui attendre un secours, mais il se rappelait le vieux manoir pour lequel, autrefois, le notaire désespérait trouver un acquéreur.

Il se disait que peut-être cet acquéreur s’était présenté, et il était décidé à aller s’en assurer, pendant qu’une fois dans le pays, il tirerait toujours quelque chose de ce château qui, certes, dans le temps, avait coûté à bâtir plus de cent mille livres.

Trois jours plus tard, par une belle soirée d’octobre, il arrivait à Tarascon, où il s’assurait que le château était encore sa propriété, et le lendemain, de très bonne heure, il prenait, à pied, la route de Clameran.

Bientôt, à travers les arbres, il distingua le clocher du village de Clameran, puis le village lui-même, assis sur la pente douce d’un coteau couronné d’oliviers.

Il reconnut les premières maisons: le hangar du maréchal-ferrant avec sa vigne courant le long du toit, le presbytère, et plus loin l’auberge où, autrefois avec son frère Gaston, il venait pousser les billes sur l’immense billard à blouses larges comme des hottes.