Louis tressaillit de plaisir. Enfin, il allait savoir jusqu’à quel point il était menacé.
– Quel correspondant? demanda-t-il de l’air le plus désintéressé qu’il pût prendre.
– Parbleu! mon ancien associé de Rio. Les fonds sont à cette heure à ma disposition chez mon banquier de Paris.
– Un de tes amis.
– Ma foi! non. Il m’a été indiqué par mon banquier de Pau et recommandé comme un homme fort riche, prudent, et d’une probité notoire; c’est, attends donc, c’est un nommé… Fauvel, qui demeure rue de Provence.
Si maître de soi que fût Louis, si préparé qu’il fût à ce qu’il allait entendre, il pâlit et rougit visiblement. Mais Gaston, tout à ses idées, ne s’en aperçut pas.
– Connais-tu ce banquier? demanda-t-il.
– De réputation, oui.
– Alors, nous ferons ensemble très prochainement sa connaissance, car je me propose de t’accompagner à Paris lorsque tu retourneras y arranger tes affaires avant ton établissement ici.
À cette annonce inattendue d’un projet dont la réalisation devait le perdre, Louis eut la force de rester impassible. Il sentait le regard de son frère arrêté sur lui.
– Tu viendras à Paris, fit-il, toi?
– Certainement, qu’y a-t-il là d’extraordinaire?
– Rien.
– Je déteste Paris et je le déteste sans y jamais être allé, ce qui est plus fort; mais j’y suis appelé par des intérêts, par… – il hésitait – des devoirs sérieux… Enfin, mademoiselle de La Verberie habite Paris, m’a-t-on dit, et je veux la revoir.
– Ah!…
Gaston réfléchissait; il était ému, et son émotion était visible.
– À toi, Louis, reprit-il, je puis dire pourquoi je veux la revoir. Je lui ai autrefois confié les parures de notre mère.
– Et tu veux, après vingt-trois ans, lui réclamer ce dépôt?
– Oui… ou plutôt, tiens, non; ce n’est là qu’un vain prétexte dont j’essaye de me payer moi-même. Je veux la revoir parce que… parce que… je l’ai aimée, voilà la vérité.
– Mais comment la retrouver?
– Oh! c’est bien simple. Le premier venu, dans le pays, me dira le nom de son mari, et quand je saurai ce nom… Tiens, dès demain, j’écrirai à Beaucaire.
Louis ne répondit pas.
Avant tout, Louis se gardait de discuter les projets de son frère.
Combattre les intentions d’un homme, c’est presque toujours les enfoncer plus profondément dans son esprit; chaque argument fait l’effet d’un coup de marteau sur un clou.
En homme habile, il détourna la conversation, et, de la journée, il ne fut plus question de Paris, ni de Valentine.
C’est le soir seulement, lorsqu’il se trouva seul dans sa chambre, que, se posant résolument en face de la situation, Louis commença à l’étudier sous tous ses aspects.
Au premier abord, elle paraissait désespérée.
Acculé dans une position qui lui paraissait sans issue, il était près de se résigner à cesser de lutter, à se rendre.
Oui, il se demandait s’il ne serait pas sage d’emprunter une grosse somme à son frère et de disparaître pour toujours.
Vainement il se mettait l’esprit à la torture, sa détestable expérience ne lui représentait aucune combinaison applicable aux circonstances présentes.
De tous les côtés à la fois, le danger menaçait, pressant, impossible à conjurer.
Il avait à craindre également et Mme Fauvel, et sa nièce, et le banquier; Gaston, découvrant la vérité, voudrait se venger; Raoul lui-même, son complice, devait, en cas de malheur, se tourner contre lui et devenir son plus implacable ennemi.
Existait-il un moyen humain pour empêcher la rencontre de Valentine et de Gaston?
Évidemment non.
Or, l’instant de leur réunion devait être l’instant de sa perte.
– C’est en vain, murmura-t-il, que je cherche. Il n’y a rien à faire, rien qu’à gagner du temps, rien qu’à guetter une occasion.
La chute du cheval, à Clameran, disait, sans doute, ce que Louis entendait par une «occasion».
Il referma sa fenêtre, se coucha, et si grande était son habitude du danger, qu’il s’endormit.
Nul pli sur son front, au matin, ne révélait ses angoisses de la nuit.
Il fut affectueux, gai, causeur, bien plus qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Il voulut monter à cheval et courir le pays. Devenu, tout à coup, aussi remuant qu’il s’était montré calme, il ne parlait que d’excursions dans les environs.
La vérité est qu’il voulait occuper Gaston, l’amuser, détourner son esprit de Paris et surtout de Valentine.
Avec le temps, en y mettant beaucoup d’adresse, il ne désespérait pas de dissuader son frère de revoir son ancienne amie. Il comptait lui démontrer que cette entrevue, absolument inutile, serait pénible pour tous deux, embarrassante pour lui et dangereuse pour elle.
Quant au dépôt, si Gaston persistait à le lui demander, eh bien! Louis avait l’intention de s’offrir pour cette démarche délicate! il promettait de la mener à bien, et, en effet, il savait où étaient les parures.
Mais il ne devait pas tarder à reconnaître l’inanité de ses espérances et de ses tentatives.
– Tu sais, lui dit un jour Gaston, j’ai écrit…
Louis ne savait que trop ce dont il s’agissait; n’était-ce pas là le sujet habituel de ses méditations! Il prit cependant son air le plus surpris:
– Écrit?… interrogea-t-il, où, à qui, pourquoi?
– À Beaucaire, à Lafourcade, pour savoir le nom du mari de Valentine.
– Tu penses donc toujours à elle?
– Toujours.
– Tu ne renonces pas à la revoir?
– Moins que jamais.
– Hélas! frère, c’est que tu ne réfléchis pas que celle que tu aimais est la femme d’un autre, qu’elle est mère de famille, sans doute. Consentira-t-elle à te recevoir? Sais-tu si tu ne vas pas troubler sa vie, si tu ne te prépares pas les plus cuisants regrets.
– Je suis fou, c’est vrai, je le sais, mais ma folie m’est chère.
Il dit cela d’un tel accent que Louis comprit bien que son parti était irrévocablement arrêté.
Cependant il resta le même, ne s’occupant, en apparence, que de parties de plaisir, en réalité passant sa vie à s’inquiéter des lettres qui arrivaient à la maison.
Il savait au juste à quelle heure passait le facteur, et toujours il se trouvait, par hasard, dans la cour pour le recevoir.
S’il était absent, ainsi que son frère, il savait à quelle place on mettait les lettres venues dans la journée, et il y courait.
Sa surveillance ne fut pas inutile.
Le dimanche suivant, parmi les lettres que lui remit le facteur, il en distingua une qui portait le timbre de Beaucaire.
Rapidement il la glissa dans sa poche, et bien qu’il fût sur le point de monter à cheval, avec son frère, il trouva un prétexte pour aller à sa chambre, incapable qu’il était de maîtriser son impatience.