– J’écoute.
– C’est moi qui, le premier, me suis présenté à madame Fauvel pour lui dire, non pas: «la bourse ou la vie», ce qui n’est rien, mais «la bourse ou l’honneur». C’était dur. Je l’ai épouvantée, je m’y attendais, et je lui ai inspiré la plus profonde répulsion.
– Répulsion est faible, cher oncle.
– Je le sais. C’est alors que t’ayant cherché et trouvé, je t’ai poussé sur la scène. Ah! je ne veux pas te flatter, tu as obtenu du premier coup un fier succès. J’assistais, caché derrière une portière, à votre première entrevue; tu as tout bonnement été sublime. Elle t’a vu et elle t’a aimé; tu as parlé et tu as été le maître de son cœur.
– Et sans toi…
– Laisse-moi donc dire. C’était là le premier acte de notre comédie. Passons au second. Tes folies, tes dépenses – un aïeul dirait tes débordements – n’ont pas tardé à changer nos situations respectives. Madame Fauvel, sans cesser de t’adorer – tu ressembles tant à Gaston! – a eu peur de toi. Peur à ce point qu’elle s’est jetée entre mes bras, qu’elle s’est résignée à avoir recours à moi, qu’elle m’a demandé aide et assistance.
– Pauvre femme!…
– J’ai été fort bien, avoue-le, en cette circonstance. J’ai été grave, froid, paternel, avunculaire, indigné, mais attendri. L’antique probité des Clameran a noblement parlé par ma bouche. J’ai flétri comme il convient ta coupable conduite. Pendant cette période, j’ai triomphé à tes dépens. Revenant sur ses impressions premières, madame Fauvel m’a aimé, estimé, béni.
– Ce temps est loin.
Louis ne daigna pas relever l’ironique interruption de son neveu.
– Nous arrivons, poursuivit-il, à la troisième phase, pendant laquelle madame Fauvel, ayant Madeleine pour la conseiller, nous a presque jugés à notre juste valeur. Oh! ne t’y trompe pas, elle nous a redoutés et méprisés autant l’un que l’autre. Si elle ne s’est pas mise à te haïr de toutes ses forces, c’est que, vois-tu, Raoul, le cœur d’une mère, surtout dans la situation où se trouve madame Fauvel, a des trésors d’indulgence et de pardon à rendre le bon Dieu jaloux. Une mère seule peut, en même temps, mépriser et adorer son fils.
– Elle me l’a, sinon dit, au moins fait comprendre, en termes tels que j’ai été ému… moi!
– Parbleu! Et moi, donc! Enfin, c’est là que nous en étions; madame Fauvel tremblait, Madeleine, se dévouant, avait congédié Prosper et consentait à m’épouser, quand l’existence de Gaston nous a été révélée. Depuis, qu’est-il advenu? Tu as su, aux yeux de madame Fauvel, te faire plus blanc que les neiges immaculées, et tu m’as fait, moi, plus noir que l’enfer. Elle s’est reprise à admirer tes nobles qualités, et à ses yeux et aux yeux de Madeleine, c’est moi dont la pernicieuse influence te poussait vers le mal.
– Tu l’as dit, oncle vénéré, c’est là que nous en sommes.
– Eh bien! nous abordons le cinquième acte; par conséquent, un nouveau revirement est indispensable à notre pièce.
– Un nouveau revirement…
– Te paraît difficile, n’est-ce pas? Rien de si simple. Écoute-moi bien, car de ton habileté dépend l’avenir.
Raoul, sur son fauteuil, prit la pose des auditeurs intrépides, et dit simplement:
– Je suis tout à toi.
– Donc, reprit Louis, dès demain, tu iras trouver madame Fauvel, et tu lui diras ce dont nous sommes convenus relativement à Gaston. Elle ne te croira pas, peu importe. L’important, c’est que tu aies l’air, toi, absolument convaincu de ton récit.
– Je serai convaincu.
– Moi, d’ici quatre ou cinq jours, je verrai monsieur Fauvel et je lui confirmerai l’avis qu’a dû lui donner mon notaire d’Oloron, à savoir que les fonds déposés chez lui m’appartiennent. Je rééditerai, à son intention, l’histoire du frère naturel, et je le prierai de vouloir bien garder cet argent dont je n’ai que faire. Tu es la défiance même, mon neveu, ce dépôt sera pour toi une garantie de ma sincérité.
– Nous recauserons de cela.
– Ensuite, mon beau neveu, j’irai trouver madame Fauvel, et je lui tiendrai à peu près ce langage: «Étant fort pauvre, chère dame, j’ai dû vous imposer l’obligation de venir en aide au fils de mon frère qui est votre fils. Ce garçon est un coquin…»
– Merci, mon oncle!
– «… Il vous a donné mille soucis, il a empoisonné votre vie qu’il était de son devoir d’embellir, agréez mes excuses et croyez à mes regrets. Aujourd’hui, je suis riche, et je viens vous annoncer que j’entends désormais me charger seul du présent et de l’avenir de Raoul.»
– Et c’est là ce que tu appelles un plan?
– Parbleu! tu vas bien le voir. À cette déclaration, il est probable que madame Fauvel aura envie de me sauter au cou. Elle ne le fera pas, cependant, retenue qu’elle sera par la pensée de sa nièce, elle me demandera si, du moment où j’ai de la fortune, je ne renonce pas à Madeleine. À quoi je répondrai carrément: «Non». Même, ce sera l’occasion d’un beau mouvement de désintéressement. «Vous m’avez cru cupide, madame, lui dirai-je, vous vous êtes trompée. J’ai été séduit, comme tout homme le doit être, par la grâce, par les charmes, l’esprit et la beauté de mademoiselle Madeleine, et… je l’aime. N’eût-elle pas un sou, qu’avec plus d’instances encore, je vous demanderais sa main, à genoux. Il a été décidé qu’elle serait ma femme, permettez-moi d’insister sur ce seul article de nos conventions. Mon silence est à ce prix. Et pour vous prouver que sa dot ne compte pas pour moi, je vous donne ma parole d’honneur que, le lendemain de mon mariage, je remettrai à Raoul une inscription de vingt-cinq mille livres de rentes.»
Louis s’exprimait avec un tel accent, d’une voix si entraînante, que Raoul, artiste en fourberie, avant tout, fut émerveillé.
– Splendide! s’écria-t-il, cette dernière phrase peut creuser un abîme entre madame Fauvel et sa nièce. Cette assurance d’une fortune pour moi peut mettre ma mère de notre côté.
– Je l’espère, reprit Louis d’un ton de fausse modestie, et j’ai d’autant plus de raisons de l’espérer que je fournirai à la chère dame d’excellents arguments pour s’excuser à ses propres yeux. Car vois-tu bien, quand on propose à une honnête personne quelque petite, comment dirais-je?… transaction, on doit offrir en même temps des justifications pour mettre la conscience en repos. Le diable ne procède pas autrement. Je prouverai a madame Fauvel et à sa nièce que Prosper les a indignement abusées. Je montrerai ce garçon criblé de dettes, perdu de débauches, jouant, soupant et, pour tout dire, vivant publiquement avec une femme perdue…
– Et jolie, par-dessus le marché, n’oublie pas qu’elle est ravissante, la señora Gypsy; dis qu’elle est adorable, ce sera le comble.