À cette assurance, Clameran ne put retenir un cri de triomphe.
– Quel est ce mot? demanda-t-il.
– Le nom de sa maîtresse.
– Gypsy!… C’est bien cela, en effet, cinq lettres…
Il était si ému, si agité, qu’il sauta à bas de son lit, passa une robe de chambre et se mit à arpenter l’appartement.
– Nous le tenons! disait-il avec l’expression délirante de la haine satisfaite, il est donc à nous! Ah! il ne voulait pas toucher à sa caisse, ce caissier vertueux, nous y toucherons pour lui, et il n’en sera ni plus ni moins déshonoré. Nous avons le mot, tu sais où est la clé, tu me l’as dit…
– Quand monsieur Fauvel sort, il laisse presque toujours la sienne dans un des tiroirs du secrétaire de sa chambre.
– Eh bien! tu iras chez madame Fauvel, tu lui demanderas cette clé; elle te la remettra ou tu la lui prendras de force, peu importe; quand tu l’auras, tu ouvriras la caisse, tu prendras tout ce qu’elle contient…
Pendant plus de cinq minutes, Clameran, absolument hors de lui, divagua, mêlant si étrangement sa haine contre Prosper, son amour pour Madeleine, que Raoul se demandait sérieusement s’il ne devenait pas fou. Il pensa qu’il était de son devoir de le calmer.
– Avant de chanter victoire, commença-t-il, examinons les difficultés.
– Je n’en vois pas.
– Prosper peut changer son mot dès demain.
– C’est vrai, mais c’est peu probable; il ne se rappellera pas qu’il l’a dit; d’ailleurs, nous allons nous hâter.
– Ce n’est pas tout. Par suite des ordres les plus positifs de monsieur Fauvel, il ne reste jamais en caisse, le soir, que des sommes insignifiantes.
– Il y en aura une très forte le soir où je le voudrai.
– Tu dis?
– Je dis que j’ai cent mille écus chez monsieur Fauvel, et que si j’en demande le remboursement pour un de ces jours, de très bonne heure, à l’ouverture des bureaux, ils passeront la nuit dans la caisse.
– Quelle idée! s’écria Raoul stupéfait.
C’était une idée, en effet, et les deux complices passèrent de longues heures à l’examiner, à la creuser, à en étudier le fort et le faible.
Après mûres réflexions, après avoir minutieusement calculé toutes les chances bonnes ou mauvaises, ils arrêtèrent que le crime serait commis dans la soirée du lundi 27 février.
S’ils choisissaient ce soir-là, c’est que Raoul savait que M. Fauvel devait dîner chez un financier de ses amis et que Madeleine était invitée à une réunion de jeunes filles.
À moins d’un contretemps, Raoul, en se présentant à l’hôtel Fauvel sur les huit heures et demie, devait trouver sa mère seule.
– Aujourd’hui même, conclut Clameran, je vais demander à monsieur Fauvel de tenir mes fonds prêts pour mardi.
– Le délai est bien court, mon oncle, objecta Raoul, vous avez des conventions, tu dois prévenir en cas de retrait de ton argent.
– C’est vrai; mais notre banquier est orgueilleux, je me dirai pressé et il s’exécutera, dût-il pour cela se gêner. Ce sera à toi, ensuite, de demander à Prosper, comme un service personnel, de tenir la somme prête à l’ouverture des bureaux.
Raoul, une fois encore, examinait la situation, cherchant s’il ne découvrirait pas ce grain de sable qui devient montagne au dernier moment.
Tout alla d’ailleurs au gré des deux misérables. Le banquier ne daignant pas rappeler les conventions consentit au remboursement pour l’époque indiquée. Prosper promit que l’argent serait prêt dès le matin.
20
Clameran avait dit à Raouclass="underline"
– Surtout, soigne ton entrée, ton aspect seul doit tout dire et éviter des explications impossibles.
La recommandation était inutile.
Raoul, en entrant dans le petit salon, était si pâle et si défait, ses yeux avaient une telle expression d’égarement, qu’en l’apercevant Mme Fauvel ne put retenir un cri.
– Raoul!… Quel malheur t’est arrivé?
– Le malheur qui m’arrive, répondit-il, sera le dernier, ma mère!…
Mme Fauvel ne l’avait jamais vu ainsi; elle se leva émue, palpitante, et vint se placer près de lui, son visage touchant presque le sien, comme si en le fixant de toutes les forces de sa volonté, elle eût pu lire jusqu’au fond de son âme.
– Qu’y a-t-il? insista-t-elle. Raoul, mon fils, réponds-moi.
Il la repoussa doucement.
– Ce qu’il y a, répondit-il d’une voix étouffée, et qui cependant faisait vibrer les entrailles de Mme Fauvel, il y a, ma mère, que je suis indigne de toi, indigne de mon noble et généreux père.
Elle fit un signe de tête, comme pour essayer de protester.
– Oh! continua-t-il, je me connais et je me juge. Personne ne saurait me reprocher l’infamie de ma conduite aussi cruellement que me la reproche ma conscience. Je n’étais pas né mauvais, cependant, je ne suis qu’un misérable fou. Il y a des heures où, frappé de vertige, je ne sais plus ce que je fais. Ah! je ne serais pas ainsi, ma mère, si je t’avais eue près de moi, dans mon enfance. Mais élevé parmi des étrangers, livré à moi-même, sans autres conseillers que mes instincts, je me suis abandonné sans lutte à toutes mes passions. N’ayant rien, portant un nom volé, je suis vaniteux et dévoré d’ambition. Pauvre, sans autres ressources que tes secours, j’ai les goûts et les vices des fils de millionnaires. Hélas! quand je t’ai retrouvée, le mal était fait. Ton affection, tes maternelles tendresses, qui m’ont donné mes seuls jours de bonheur vrai ici-bas, n’ont pas pu m’arrêter. Moi qui ai tant souffert, qui ai enduré tant de privations, qui ai manqué de pain, j’ai été affolé par le luxe si nouveau pour moi que tu me donnais. Je me suis rué sur les plaisirs, comme l’ivrogne longtemps privé de vin sur les liqueurs fortes…
Raoul s’exprimait avec l’accent d’une conviction si profonde, avec un tel entraînement, que Mme Fauvel ne songeait pas à l’interrompre.
Elle écoutait, muette, terrifiée, n’osant interroger, certaine qu’elle allait apprendre quelque chose d’affreux.
Lui, cependant, poursuivait:
– Oui, j’ai été un insensé. Le bonheur a passé près de moi, et je n’ai pas su étendre la main pour le retenir. J’ai repoussé la réalité délicieuse, pour m’élancer à la poursuite d’un fantôme. Moi qui aurais dû passer ma vie à tes genoux, inventer des témoignages nouveaux de reconnaissance, j’ai comme pris à tâche de te porter les coups les plus cruels, de te désoler, de te rendre la plus infortunée des créatures… Ah! j’étais un misérable quand, pour une créature que je méprisais, je jetais au vent une fortune dont chaque pièce d’or te coûtait une larme. C’est près de toi qu’était le bonheur, je le reconnais trop tard.