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Il s’interrompit, comme s’il eût été accablé par le sentiment de ses torts; il semblait près de fondre en larmes.

– Il n’est jamais trop tard pour se repentir, mon fils, murmura Mme Fauvel, pour racheter ses torts.

– Ah! si je pouvais!… s’écria Raoul; mais non!… il n’est plus temps. Sais-je d’ailleurs ce que dureraient mes bonnes résolutions! Ce n’est pas d’aujourd’hui que je me condamne sans pitié. Saisi de remords à chaque faute nouvelle, je me jurais de reconquérir ma propre estime. Hélas! à quoi ont-ils abouti, mes repentirs périodiques? À la première occasion, j’oubliais mes hontes et mes serments. Tu me crois un homme, je ne suis qu’un pauvre enfant sans consistance. Je suis faible et lâche, et tu n’es pas assez forte pour dominer ma faiblesse, pour diriger ma volonté vacillante. J’ai les meilleures intentions du monde et mes actes sont ceux d’un scélérat. Entre ma position et mes désirs, la disproportion est trop grande pour que je puisse me résigner. Qui sait d’ailleurs où me conduirait mon déplorable caractère.

Il eut un geste d’affreuse insouciance et ajouta:

– Mais je saurai me faire justice!…

Mme Fauvel était bien trop cruellement agitée pour suivre les habiles transitions de Raoul.

– Parle! s’écria-t-elle, explique-toi, ne suis-je pas ta mère? Tu me dois la vérité, je puis tout entendre.

Il parut hésiter, comme s’il eût été épouvanté du coup terrible qu’il allait porter à sa mère. Enfin d’une voix sourde il répondit:

– Je suis perdu!

– Perdu!…

– Oui, et je n’ai plus rien à attendre ni à espérer. Je suis déshonoré, et par ma faute, par ma très grande faute.

– Raoul!…

– C’est ainsi. Mais ne crains rien, ma mère, je ne traînerai pas dans la boue le nom que tu m’as donné. J’aurai au moins le vulgaire courage de ne pas survivre à mon déshonneur. Va, ma mère… ne me plains pas… Je suis de ceux après lesquels s’acharne la destinée, et qui n’ont de refuge que la mort. Je suis un être fatal. N’as-tu pas été condamnée à maudire ma naissance? Longtemps mon souvenir a hanté comme un remords tes nuits sans sommeil. Plus tard, je te retrouve, et pour prix de ton dévouement, j’apporte dans ta vie un élément funeste…

– Ingrat!… t’ai-je jamais fait de reproche?

– Jamais. Aussi, est-ce en te bénissant et ton nom chéri sur les lèvres que va mourir ton Raoul.

– Mourir, toi!…

– Il le faut, ma mère, l’honneur commande; je suis condamné par des juges sans appel, ma volonté et ma conscience.

Une heure plus tôt, Mme Fauvel eût juré que Raoul lui avait fait souffrir tout ce que peut endurer une femme, et voici que cependant il lui apportait une douleur nouvelle, si aiguë, que les autres, en comparaison, ne lui semblaient plus rien.

– Qu’as-tu donc fait? balbutia-t-elle.

– On m’a confié de l’argent; j’ai joué, je l’ai perdu.

– C’est donc une somme énorme?

– Non, mais ni toi ni moi ne saurions la trouver. Pauvre mère! ne t’ai-je pas tout pris? Ne m’as-tu pas donné jusqu’à ton dernier bijou?

– Mais monsieur de Clameran est riche, il a mis sa fortune à ma disposition, je vais faire atteler et aller le trouver…

– Monsieur de Clameran, ma mère, est absent pour huit jours, et c’est ce soir que je dois être sauvé ou perdu. Va! j’ai songé à tout avant de me décider. On tient à la vie, à vingt ans.

Il sortit à demi le pistolet qu’il avait dans sa poche, et ajouta avec un sourire forcé:

– Voilà qui arrange tout.

Mme Fauvel était trop hors de soi pour réfléchir à l’horreur de la conduite de Raoul, pour reconnaître dans ses horribles menaces un suprême expédient.

Oubliant le passé, sans souci de l’avenir, tout entière à la situation présente, elle ne voyait qu’une chose, c’est que son fils allait mourir, se tuer, et qu’elle ne pouvait rien pour l’arracher au suicide.

– Je veux que tu attendes, dit-elle. André va rentrer, je lui dirai que j’ai besoin de… Combien t’avait-on confié?

– Trente mille francs.

– Tu les auras demain.

– C’est ce soir qu’il me les faut.

Elle se sentait devenir folle, elle se tordait les mains de désespoir.

– Ce soir, disait-elle, que n’es-tu venu plus tôt? Manquais-tu donc de confiance en moi?… Ce soir, il n’y a plus personne à la caisse… sans cela!…

Ce mot, Raoul l’attendait, il le saisit au passage; il eut une exclamation de joie comme si une lueur eût éclairé les ténèbres d’un désespoir réel.

– La caisse! s’écria-t-il, mais tu sais où est la clé?

– Oui, elle est là.

– Eh bien!…

Il regardait Mme Fauvel avec une si infernale audace qu’elle baissa les yeux.

– Donne-la-moi, mère, supplia-t-il.

– Malheureux!…

– C’est la vie que je te demande.

Cette prière la décida, elle prit un des flambeaux, passa rapidement dans sa chambre, ouvrit le secrétaire et y trouva la clé de M. Fauvel…

Mais, au moment de la remettre à Raoul, la raison lui revint.

– Non, balbutia-t-elle, non, ce n’est pas possible.

Il n’insista pas et même parut vouloir se retirer.

– En effet, dit-il… alors, mère, un dernier baiser.

Elle l’arrêta.

– Que feras-tu de la clé, Raoul? as-tu le mot?

– Non, mais on peut essayer.

– Ne sais-tu pas qu’il n’y a jamais d’argent en caisse?

– Essayons toujours. Si j’ouvre, par miracle, s’il y a de l’argent en caisse, c’est que Dieu aura eu pitié de nous.

– Et si tu ne réussis pas? Me jures-tu d’attendre jusqu’à demain?

– Sur la mémoire de mon père, je le jure.

– Alors, voici la clé, viens.

Pâles et tremblants, Raoul et Mme Fauvel traversèrent le cabinet du banquier et s’engagèrent dans l’étroit escalier tournant qui met en communication les appartements et les bureaux.

Raoul marchait le premier, tenant la lumière, serrant entre ses doigts crispés la clé de la caisse.

En ce moment, Mme Fauvel était convaincue que la tentative de Raoul serait inutile.