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– Est-ce vrai, cela? demanda-t-elle d’une voix sourde, est-ce vrai?

– Hélas! gémit Mme Fauvel anéantie.

Madeleine se releva, confondue de tant d’indigne faiblesse.

– Et tu as laissé accuser Prosper! s’écria-t-elle, tu le laisses déshonorer, il est en prison!

– Pardon!… murmura Mme Fauvel, j’ai eu peur, il voulait se tuer; puis, tu ne sais pas… Prosper et lui étaient d’accord.

– Oh! s’écria Madeleine, révoltée, on t’a dit cela et tu as pu le croire!…

Clameran jugea le moment d’intervenir.

– Malheureusement, dit-il d’un air navré, madame votre tante ne calomnie pas monsieur Bertomy.

– Des preuves! monsieur! des preuves!

– Nous avons l’aveu de Raoul.

– Raoul est un misérable!

– Je ne le sais que trop, mais enfin qui a révélé le mot? Qui a laissé l’argent en caisse? Monsieur Bertomy, incontestablement.

Ces objections ne parurent nullement toucher Madeleine.

– Et maintenant, dit-elle sans prendre la peine de cacher un mépris qui allait jusqu’au dégoût, savez-vous ce qu’est devenu l’argent?

Il n’y avait pas à se méprendre au sens de cette question. Soulignée d’un regard écrasant, elle signifiait: «Vous avez été l’instigateur du vol, et vous êtes le receleur.» Cette sanglante injure d’une jeune fille qu’il aimait à ce point que lui, le bandit si prudent, il risquait pour elle les produits de ses crimes, atteignit si bien Clameran, qu’il devint livide. Mais son thème était trop nettement arrêté pour qu’il pût être déconcerté.

– Un jour viendra, mademoiselle, reprit-il, où vous regretterez de m’avoir traité si cruellement. La signification exacte de votre question, je l’ai comprise, oh! ne prenez pas la peine de nier…

– Mais je ne nie rien, monsieur.

– Madeleine! murmura Mme Fauvel, qui tremblait, en voyant attiser ainsi les passions mauvaises de l’homme qui tenait sa destinée entre ses mains; Madeleine, pitié!…

– Oui, fit tristement Clameran, mademoiselle est impitoyable; elle punit cruellement un homme d’honneur, dont le seul tort est d’avoir obéi aux dernières volontés d’un frère mourant. Et si je suis ici, cependant, c’est que je suis de ceux qui croient à la solidarité de tous les membres d’une famille.

Il sortit lentement des poches de côté de son paletot plusieurs liasses de billets de banque et les déposa sur la cheminée.

– Raoul, prononça-t-il, a volé trois cent cinquante mille francs, voici cette somme. C’est plus de la moitié de ma fortune. De grand cœur je donnerais ce qu’il me reste pour être sûr que ce crime sera le dernier.

Trop inexpérimentée pour pénétrer le plan si audacieux et si simple de Clameran, Madeleine restait interdite; toutes ses prévisions étaient déroutées.

Mme Fauvel, au contraire, accepta cette restitution comme le salut.

– Merci, monsieur, dit-elle en prenant les mains de Clameran; merci, vous êtes bon.

Un rayon de la joie qu’il ressentit éclaira les yeux de Louis. Mais il triomphait trop tôt. Une minute de réflexion avait rendu à Madeleine toute sa défiance. Elle trouvait ce désintéressement trop beau pour un homme qu’elle estimait incapable d’un sentiment généreux et l’idée lui vint qu’il devait cacher un piège.

– Que ferons-nous de cet argent? demanda-t-elle.

– Vous le rendrez à monsieur Fauvel, mademoiselle.

– Nous, monsieur, et comment? Restituer, c’est dénoncer Raoul, c’est-à-dire perdre ma tante. Reprenez votre argent, monsieur.

Clameran était bien trop fin pour insister, il obéit et sembla disposé à se retirer.

– Je comprends votre refus, dit-il; à moi de trouver un moyen. Mais je ne me retirerai pas, mademoiselle, sans vous dire combien votre injustice m’a pénétré de douleur. Peut-être, après la promesse que vous m’avez daigné faire, pouvais-je espérer un autre accueil.

– Je tiendrai ma promesse, monsieur, mais quand vous m’aurez donné des garanties, pas avant.

– Des garanties!… Et lesquelles? De grâce, parlez.

– Qui me dit qu’après mon… mariage, Raoul ne viendra pas de nouveau menacer ma mère? Que sera ma dot pour un homme qui, en quatre mois, a dissipé plus de cent mille francs? Nous faisons un marché, je vous donne ma main en échange de l’honneur et de la vie de ma tante, avant de rien conclure, je dis donc: où sont vos garanties?

– Oh! je vous en donnerai de telles! s’écria Clameran, qu’il vous faudra bien reconnaître ma bonne foi. Hélas! vous doutez de mon dévouement; que faire pour vous le prouver? Faut-il essayer de sauver monsieur Bertomy?

– Merci de votre offre, monsieur, répondit dédaigneusement Madeleine. Si Prosper est coupable, qu’il périsse; s’il est innocent, Dieu le protégera.

Mme Fauvel et sa nièce se levèrent, c’était un congé. Clameran se retira.

– Quel caractère! disait-il, quelle fierté!… Me demander des garanties!… Ah! si je ne l’aimais pas tant! Mais je l’aime, et je veux voir cette orgueilleuse à mes pieds… Elle est si belle!… Ma foi! tant pis pour Raoul!

Clameran n’avait jamais été plus irrité.

L’énergie de Madeleine, que ses calculs ne prévoyaient pas, venait de faire manquer le coup de théâtre sur lequel il avait compté et déconcerté ses savantes prévisions.

Il avait trop d’expérience pour se flatter désormais d’intimider une jeune fille si résolue. Il comprenait que, sans avoir pénétré ses desseins, sans saisir le sens de ses manœuvres, elle était assez sur ses gardes pour n’être ni surprise ni trompée. De plus, il était patent qu’elle allait dominer Mme Fauvel de toute la hauteur de sa fermeté, l’animer de sa hardiesse, lui souffler ses préventions et enfin la préserver de défaillances nouvelles.

Juste au moment où Louis croyait gagner en se jouant, il trouvait un adversaire. C’était une partie à recommencer.

Il était clair que Madeleine était résignée à se dévouer pour sa tante, mais il était certain aussi qu’elle était déterminée à ne se sacrifier qu’à bon escient et non à tout hasard sur la foi de promesses aléatoires.

Or, comment lui donner les garanties qu’elle demandait? Quelles mesures prendre pour mettre ostensiblement et définitivement Mme Fauvel à l’abri des entreprises de Raoul?

Certes, une fois Clameran marié, Raoul devenu riche, Mme Fauvel ne devait plus être inquiétée. Mais comment le prouver, le démontrer à Madeleine?

La connaissance exacte de toutes les circonstances de l’ignoble et criminelle intrigue l’aurait rassurée sur ce point; mais était-il possible de l’initier à tous les détails, avant le mariage surtout? Évidemment non.