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– Je sais, je sais, interrompit M. Verduret. Après?

– Après, patron, nous avons eu une scène, oh! mais une scène!… Il a fini par m’empoigner au collet et il me secouait comme un prunier, pour me faire dire qui je suis, qui je connais, d’où je viens… est-ce que je sais? Il m’a fallu lui donner l’emploi de mon temps, à une minute près, depuis que je suis chez lui. Ce brigand-là était né pour faire un juge d’instruction. Puis, il a fait venir le garçon de l’hôtel chargé de l’appartement et il l’a questionné, mais en anglais, en sorte que, vous comprenez, je n’ai pas compris… À la fin, pourtant, il s’est radouci, et quand le garçon a été parti, il m’a donné une pièce de vingt francs en me disant: «Tiens, je suis fâché de t’avoir brusqué, tu es trop bête pour le métier dont je te soupçonnais.»

– Il t’a dit cela?

– En propres termes, parlant à ma personne, oui, patron.

– Et tu crois qu’il le pensait?

– Positivement.

Le gros homme modula un petit sifflement qui indiquait nettement que telle n’était pas son opinion.

– Si tu le prends ainsi, prononça-t-il, Clameran avait raison, tu n’es pas fort.

Il était aisé de voir que cet excellent Joseph Dubois grillait d’envie de motiver son avis, cependant il n’osa pas.

– Dans le fait, répondit-il, tout déconcerté, c’est bien possible. Toujours est-il que, cette affaire arrangée, monsieur le marquis s’est habillé pour sortir. Seulement, il n’a pas voulu de sa voiture et je lui ai vu prendre un remise [8] dans la cour de l’hôtel. Là, franchement, j’ai bien cru que je ne le reverrais pas de longtemps et qu’il allait se donner de l’air. Erreur. Il m’est revenu sur les cinq heures, gai comme un pinson. Moi, pendant cette absence, j’avais couru au télégraphe…

– Comment, tu ne l’as pas suivi?

– Excusez, patron, un de nos… amis le «filait», je m’en étais assuré. C’est même par cet ami que je sais ce qu’a fait notre gaillard. Il est allé d’abord chez un agent de change, puis au Comptoir d’escompte, puis à la Banque. On voit bien que c’est un capitaliste! J’ai idée qu’il a pris ses dispositions pour un petit voyage.

– Et c’est tout?

– De ce côté, oui, patron. D’un autre, il est bon que vous sachiez que nos coquins ont essayé de faire coffrer administrativement, vous m’entendez, mademoiselle Palmyre. Par bonheur, vous aviez prévu le coup, et j’avais prévenu là-bas. Sans vous, elle était «emballée» raide.

Il s’arrêta, le nez en l’air, cherchant s’il n’avait pas autre chose encore à dire. Ne trouvant rien:

– Et voilà! s’écria-t-il. J’ose espérer que monsieur Patrigent va se frotter les mains ferme à ma première visite. Il ne s’attend pas aux détails qui vont grossir son dossier 113.

Il y eut un long silence. Ainsi que l’avait conjecturé ce bon Joseph, l’instant décisif était venu, et M. Verduret dressait son plan de bataille en attendant le rapport de Nina, redevenue Palmyre, lequel devait décider son point d’attaque.

Mais Joseph Dubois était impatient et inquiet.

– Que dois-je faire maintenant, patron? demanda-t-il.

– Toi, mon garçon, tu vas retourner à l’hôtel; ton maître, très probablement, se sera aperçu de ton absence, mais il ne t’en dira rien, tu continueras donc…

Une exclamation de Prosper, qui se tenait debout près de la fenêtre, interrompit M. Verduret.

– Qu’est-ce? demanda-t-il.

– Clameran! répondit Prosper, là.

D’un bond, M. Verduret et Joseph furent à la fenêtre.

– Où le voyez-vous? demandaient-ils.

– Là, au coin du pont, derrière la baraque de cette marchande d’oranges.

Prosper ne s’était pas trompé.

C’était bien le noble marquis Louis de Clameran qui, embusqué derrière l’échoppe volante, épiait les allants et les venants de l’hôtel du Grand-Archange, et attendait son domestique.

Il fallut un peu de temps pour s’en assurer, car le marquis se dissimulait très habilement, en aventurier habitué à ces expéditions hasardeuses.

Mais un moment vint où, pressé et coudoyé par la foule, il fut obligé de descendre du trottoir. Il parut alors à découvert.

– Avais-je raison? s’écria le caissier; est-il encore possible de douter?

– Vrai! murmurait Joseph, convaincu, c’est à n’y pas croire.

M. Verduret, lui, ne semblait aucunement surpris.

– Voilà, dit-il, que le gibier se fait chasseur. Eh bien! Joseph, mon garçon, t’obstines-tu à soutenir que ton honorable bourgeois a été dupe de tes simagrées de Jocrisse?

– Vous m’aviez assuré le contraire, patron, répondit le bon Dubois du ton le plus humble, et après une affirmation de vous, les preuves sont inutiles.

– Au surplus, continuait le gros homme, cette manœuvre, si téméraire qu’elle semble, était indiquée. Il sait qu’on est sur lui, cet homme, et tout naturellement il cherche à connaître ses adversaires. Comprenez-vous combien il doit souffrir de ses incertitudes? Peut-être s’imagine-t-il que ceux qui le traquent sont tout simplement d’anciens complices très affamés qui voudraient une petite part du gâteau. Il va rester là jusqu’à ce que Joseph ressorte, et alors il viendra aux informations.

– Mais je puis sortir sans qu’il m’aperçoive, patron!

– Oui, je sais, tu franchirais le petit mur qui sépare l’hôtel du Grand-Archange de la cour du marchand de vins; de là, tu passerais par le sous-sol du papetier et tu filerais par la rue de la Huchette.

Ce bon Joseph avait la mine impayable d’un brave homme qui tout à coup, sans savoir d’où, reçoit sur la tête un seau d’eau glacée.

– C’est cela même, patron, bégaya-t-il. On m’a dit, là-bas, que vous connaissiez comme cela toutes vos maisons de Paris. Est-ce vrai?

Le gros ami de Prosper ne daigna pas répondre. Il se demandait quel profit immédiat tirer de la démarche de Clameran.

Quant au caissier, il écoutait, bouche béante, observant alternativement ces inconnus, qui, sans apparence d’intérêt, avec autant de passion que lui-même, s’ingéniaient à gagner la difficile partie dont son honneur, son bonheur, sa vie, étaient l’enjeu.

– Il y a encore un moyen, proposa Joseph, qui de son côté avait réfléchi.

– Lequel?

– Je puis sortir tout bonifacement, les mains dans les poches, et regagner en flânant l’hôtel du Louvre.

– Et après?

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[8] Voiture de remise, de louage. (N. d. E.)