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– C’est vrai!

Le banquier semblait près de devenir fou, et ses yeux hagards allaient de M. Verduret à Raoul, puis à sa femme, plus affaissée que le criminel qui attend un arrêt de mort.

Tout à coup, l’idée qu’on voulait se jouer de lui traversa son cerveau.

– Ce que vous me dites n’est pas possible! s’écria-t-il; des preuves!

– Des preuves, répondit M. Verduret, vous en aurez; mais pour commencer, écoutez.

Et, rapidement, avec sa merveilleuse faculté d’exposition, il esquissa à grands traits le drame qu’il avait découvert.

Certes, la vérité était affreuse encore pour M. Fauvel; mais qu’était-elle, près de ce qu’il avait soupçonné!

Aux douleurs ressenties, il reconnaissait qu’il aimait encore sa femme. Ne pouvait-il pardonner une faute lointaine, rachetée par une vie de dévouement et noblement expiée?

Depuis plusieurs minutes, déjà, M. Verduret avait achevé son récit, et le banquier se taisait.

Tant d’événements, qui se précipitaient depuis quarante-huit heures, irrésistibles comme l’avalanche, l’horrible scène qui venait d’avoir lieu étourdissaient M. Fauvel et lui enlevaient toute faculté de réflexion.

Ballottée comme le liège au caprice de la vague, sa volonté flottait éperdue au gré des événements.

Si son cœur lui conseillait le pardon et l’oubli, l’amour-propre offensé lui disait de se souvenir pour se venger.

Sans Raoul, ce misérable qui était là, debout, témoignage vivant d’une faute lointaine, il n’eût pas hésité. Gaston de Clameran était mort, il eût ouvert ses bras à sa femme en lui disant: «Viens, tes sacrifices à mon honneur seront ton absolution, viens, et que tout le passé ne soit qu’un mauvais rêve que dissipe le jour.»

Mais Raoul l’arrêtait.

– Et c’est là votre fils, dit-il à sa femme, cet homme qui vous a dépouillée, qui m’a volé!

Mme Fauvel était trop bouleversée pour pouvoir articuler une syllabe. Heureusement, M. Verduret était là.

– Oh! répondit-il, madame vous dira qu’en effet ce jeune homme est le fils de Gaston de Clameran, elle le croit, elle en est sûre… seulement…

– Eh bien!…

– Pour la dépouiller plus aisément, on l’a indignement trompée.

Depuis un moment déjà, Raoul manœuvrait habilement pour se rapprocher de la porte. S’imaginant que personne en ce moment ne songeait à lui, il voulut fuir…

Mais M. Verduret, qui avait prévu le mouvement, guettait Raoul du coin de l’œil et l’arrêta au moment où il disparaissait.

– Où allez-vous donc ainsi, mon joli garçon? disait-il en le ramenant au milieu de la chambre, nous voulions donc fausser compagnie à nos amis? Ce n’est pas gentil. Avant de se séparer, que diable! on s’explique!

L’air goguenard de M. Verduret, ses intonations railleuses, furent pour Raoul autant de traits de lumière. Il recula épouvanté en murmurant:

– Le Paillasse!

– Juste! répondit le gros homme, tout juste. Ah! vous me reconnaissez! Alors j’avoue. Oui, je suis le joyeux Paillasse du bal de messieurs Jandidier. En doutez-vous?

Il releva la manche de son paletot, mit son bras à nu et poursuivit:

– Si vous n’êtes pas bien convaincu, examinez cette cicatrice toute fraîche. Ne connaîtriez-vous pas le maladroit qui, une belle nuit que je passais rue Bourdaloue, est tombé sur moi, un couteau ouvert à la main?… Ah! vous ne niez pas?… C’est autant de gagné. En ce cas, vous allez être assez aimable pour nous conter votre petite histoire…

Mais Raoul était en proie à une de ces terreurs qui contractent la gorge et empêchent de prononcer un mot.

– Vous vous taisez? reprit M. Verduret, seriez-vous donc modeste? Bravo!… La modestie sied au talent, et vrai, pour votre âge, vous êtes un coquin assez réussi.

M. Fauvel écoutait sans comprendre.

– Dans quel abîme de honte sommes-nous donc tombés! gémissait-il.

– Rassurez-vous, monsieur, répondit M. Verduret redevenu sérieux. Après ce que j’ai été contraint de vous apprendre, ce qu’il me reste à vous dire n’est plus rien. Voici le complément de l’histoire:

» En quittant Mihonne, qui venait de lui révéler les… malheurs de mademoiselle Valentine de La Verberie, Clameran n’a rien eu de plus pressé que de se rendre à Londres.

» Bien renseigné, il eut vite retrouvé la digne fermière à laquelle la comtesse avait confié le fils de Gaston.

» Mais là, une déconvenue l’attendait.

» On lui apprit que cet enfant, inscrit à la paroisse sous le nom de Raoul-Valentin Wilson, était mort du croup, à l’âge de dix-huit mois.

Raoul essaya de protester.

– On a dit cela?… commença-t-il.

– On l’a dit, oui, mon joli garçon, et on l’a aussi écrit. Me croyez-vous homme à me contenter de propos en l’air?

Il sortit de sa poche divers papiers ornés de timbres officiels qu’il posa sur la table.

– Voici, poursuivit-il, les déclarations de la fermière, de son mari et de quatre témoins; voici encore un extrait du registre des naissances, voici enfin un acte de décès en bonne et due forme, le tout légalisé par l’ambassade française. Êtes-vous content, mon joli garçon, vous tenez-vous pour satisfait?

– Mais alors?… interrogea le banquier.

– Alors, reprit M. Verduret, Clameran s’imagina qu’il n’avait pas besoin de l’enfant pour tirer de l’argent de monsieur Fauvel; il se trompait. Sa première démarche échoua. Que faire? Le gredin est inventif. Parmi tous les bandits de sa connaissance – et il en connaît un certain nombre! -, il choisit celui que vous voyez devant vous.

Mme Fauvel était dans un état à faire pitié, et cependant elle renaissait à l’espérance. Son anxiété, pendant si longtemps, avait été si atroce, qu’elle éprouvait à voir la vérité comme un affreux soulagement.

– Est-ce possible! balbutiait-elle, est-ce possible!

– Quoi! disait le banquier, on peut à notre époque combiner et exécuter de telles infamies!

– Tout cela est faux! affirma audacieusement Raoul.

C’est à Raoul seul que M. Verduret répondit:

– Monsieur désire des preuves? fit-il avec une révérence ironique, monsieur va être servi. Justement, je quitte à l’instant un de mes amis, monsieur Pâlot, qui arrive de Londres, et qui est fameusement renseigné. Dites-moi donc ce que vous pensez de cette petite histoire qu’il vient de me conter: