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Il trouvait au banquier un ton ironique, un air singulier qui le mettaient en défiance.

Pour les gens qui n’étaient pas intéressés à l’observer, il restait le même. Mais Madeleine et sa tante avaient surpris ses tressaillements, elles avaient saisi un regard rapide adressé à Raoul.

– Il paraît, fit-il, que ce nouveau marquis est négociant.

– Ma foi! vous m’en demandez trop. Tout ce que je sais, c’est que les quatre cent mille francs devaient lui être versés par des armateurs du Havre, après la vente de la cargaison d’un navire brésilien.

– C’est qu’alors il arrive du Brésil?

– Je l’ignore, mais je puis, si vous le désirez, vous dire son prénom.

– Volontiers.

Le banquier se leva et alla prendre dans le salon une serviette de maroquin marquée à son chiffre. Il en sortit un carnet et se mit à parcourir en bredouillant à demi-voix les noms qui s’y trouvaient inscrits.

– Attendez, faisait-il, attendez…; du 22, non, c’est plus tard… Ah! nous y voici: Clameran, Gaston… Il se nomme Gaston.

Mais Louis, cette fois, ne sourcilla pas; il avait eu le temps de se reconnaître et de faire provision d’audace pour parer n’importe quel coup.

– Gaston!… répondit-il d’un air dégagé, j’y suis. Ce monsieur doit être le fils d’une sœur de mon père dont le mari habitait la Havane. Revenant en France il aura pris sans façon le nom de sa mère, plus sonore que celui de son père, lequel, si j’ai bonne mémoire, s’appelait Moirot ou Boirot.

Le banquier avait replacé son carnet sur un des meubles de la salle à manger.

– Boirot ou Clameran, dit-il, je vous ferai, j’imagine, dîner avec lui avant longtemps. Des quatre cent mille francs que j’étais chargé de recouvrer pour lui, il ne s’en fait expédier que cent et me prie de garder le reste en compte courant. C’est donc qu’il se propose de venir à Paris.

– Je ne serai vraiment pas fâché de faire sa connaissance.

On parla d’autre chose, et bientôt Clameran parut avoir totalement oublié la communication du banquier.

Il est vrai que, tout en causant le plus gaiement du monde, il ne cessait d’observer Mme Fauvel et sa nièce.

Elles étaient bien autrement troublées que lui, et leur trouble était visible. À tout moment elles échangeaient, à la dérobée, les regards les plus significatifs.

Évidemment une même idée, terrible, avait traversé leur esprit.

Plus que sa tante encore, Madeleine semblait émue. C’est qu’au moment où le banquier avait prononcé le nom de Gaston, elle avait vu, elle ne se trompait pas, elle avait vu Raoul reculer sa chaise et jeter un coup d’œil vers la fenêtre, comme le filou surpris qui cherche une issue pour fuir.

Et Raoul, moins fortement trempé que son oncle, était, depuis ce moment, resté décontenancé. Lui, brillant d’ordinaire, causeur original, il était complètement éteint, il se taisait, il étudiait l’attitude de Louis.

Enfin, le dîner finit, les convives se levèrent pour passer dans le salon, et Clameran et Raoul manœuvrèrent de façon à rester les derniers dans la salle à manger.

Ils étaient seuls, ils n’essayaient plus de cacher leur anxiété.

– C’est lui!… dit Raoul.

– Je le crois.

– Tout est perdu, alors; filons.

Mais Clameran, l’audacieux aventurier, n’était pas homme à jeter ainsi, avant d’y être contraint, le manche après la cognée.

– Qui sait! murmura-t-il, pendant que la contraction de son front disait l’effort de sa pensée, qui sait!… Pourquoi ce misérable banquier ne nous a-t-il pas dit où trouver ce Clameran de malheur?…

Il s’interrompit, poussant un cri de joie. Il venait d’apercevoir sur le buffet le carnet consulté par M. Fauvel.

– Veille, dit-il à Raoul.

Il saisit le carnet, il le feuilleta fiévreusement, il trouva: Gaston, marquis de Clameran, Oloron (Basses-Pyrénées).

– Sommes-nous bien plus avancés, fit Raoul, maintenant que nous avons son adresse?

– C’est-à-dire que nous sommes peut-être sauvés. Viens, il ne faut pas qu’on remarque notre absence. Du sang-froid, morbleu! de la tenue, de la gaieté! J’ai vu le moment où ton attitude nous trahissait.

– Les deux femmes se doutent de quelque chose.

– Eh bien! après?

– Il ne fait pas bon pour nous ici.

– Faisait-il donc meilleur à Londres? Confiance! nous nous en tirerons. Je vais dresser mes batteries.

Ils rejoignirent les autres invités. Mais si leur conversation n’avait pas été entendue, leurs gestes avaient été observés.

Madeleine, qui s’était avancée sur la pointe du pied, avait aperçu Clameran consultant le carnet du banquier.

Mais à quoi pouvait lui servir cette constatation des inquiétudes du marquis. Elle n’en était plus à douter de l’infamie de cet homme, auquel elle avait promis sa main. Il l’avait bien dit à Raouclass="underline" ni Madeleine ni sa tante ne pouvaient se soustraire, quoi qu’il arrivât, à sa domination; car pour l’atteindre il fallait parler, avouer…

Lorsque deux heures plus tard, Clameran reconduisit Raoul jusqu’au Vésinet, son plan était fait.

– C’est lui, je n’en doute pas, disait-il, mais nous avons, mon beau neveu, pris l’alarme trop tôt.

– Merci!… le banquier l’attend; nous l’aurons peut-être demain sur le dos.

– Tais-toi! interrompit Clameran. Sait-il ou ne sait-il pas que Fauvel est le mari de Valentine? Tout est là. S’il le sait, nous n’avons qu’à jouer des jambes. S’il l’ignore, rien n’est désespéré.

– Comment s’en assurer?

– En allant le lui demander, tout simplement.

Raoul eut un mouvement d’admiration.

– C’est joli, fit-il, mais dangereux.

– Il serait plus périlleux encore de rester. Quant à filer sur un simple soupçon, ce serait par trop niais.

– Et qui ira le trouver?

– Moi!

– Oh! fit Raoul, sur trois tons différents, oh! oh!

L’audace de Clameran le confondait.

– Mais moi? interrogea-t-il.

– Toi, tu me feras le plaisir de rester ici. Au moindre danger je t’expédie une dépêche et tu décampes.

Ils étaient arrivés devant la grille de la maison de Raoul.

– Voilà donc qui est entendu, dit Clameran, tu restes ici. Mais attention, tant que durera mon absence, redeviens le meilleur des fils. Prends parti contre moi, calomnie-moi si tu peux. Mais pas de bêtises. Pas de demandes d’argent… Allons, adieu!… Demain soir je serai à Oloron et j’aurai vu ce Clameran…