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– Mais comment m’as-tu retrouvé? demandait Gaston, quelle bonne pensée, quelle fée bienveillante t’a guidé jusqu’au seuil de ma maison?

– C’est la Providence, répondit-il, qu’il faut remercier, de notre réunion. Il y a trois jours, à mon cercle, un jeune homme qui arrive des Eaux-Bonnes me dit qu’il a ouï parler, aux Pyrénées, d’un marquis de Clameran. Tu conçois ma surprise. Je me demande quel faussaire se permet de porter notre nom. Aussitôt, je cours au chemin de fer, je prends un billet, et me voici.

– Tu ne pensais donc pas à moi?

– Eh! pauvre frère, il y avait vingt-trois ans que je te croyais mort.

– Mort!… moi. Ah çà! mademoiselle de La Verberie, Valentine, ne vous a donc pas fait savoir que j’étais sauvé? Elle m’avait juré qu’elle irait trouver notre père.

Louis prit cet air navré d’un homme forcé bien malgré lui de révéler une lamentable vérité.

– Hélas! murmura-t-il, elle ne nous a rien fait dire.

Une bouffée de colère passa comme l’éclair dans les yeux de Gaston. Peut-être l’idée lui vint-elle que Valentine avait été heureuse de se débarrasser de lui.

– Rien! s’écria-t-il, elle n’a rien dit. Elle a eu la barbarie de vous laisser pleurer ma mort, elle a laissé mon vieux père mourir de chagrin. Ah! c’est qu’elle avait une peur terrible des propos du monde: elle m’a sacrifié à sa réputation.

– Mais toi, interrompit Louis, pourquoi n’as-tu pas écrit?

– J’ai écrit dès que je l’ai pu, et c’est par Lafourcade que j’ai appris que notre père n’était plus, et que tu avais abandonné le pays.

– J’ai quitté Clameran, parce que je te croyais mort.

Gaston se leva et fit, au hasard, quelques pas dans le salon. Il voulait secouer la tristesse qui l’envahissait.

– Bast! murmura-t-il, pourquoi s’inquiéter de ce qui est passé? Tous les souvenirs du monde, bons ou mauvais, ne valent pas la plus mince espérance, et Dieu merci! l’avenir est à nous.

Louis se taisait. Il ne connaissait pas encore assez le terrain pour risquer une question.

– Mais je suis là que je bavarde, reprit Gaston; je parle, je parle et tu n’as peut-être pas dîné.

– Je t’avouerai que non.

– Et tu ne disais rien!… Mais moi non plus je n’ai pas dîné encore. Pour le premier jour, j’allais te laisser mourir de faim. Ah! j’ai un certain vin du Cap!…

Il se pendit aux sonnettes; en un moment, la maison fut sur pied, et, une demi-heure plus tard, les deux frères s’asseyaient devant une table somptueusement servie.

La conversation entre les deux frères devait être infinie. Gaston voulait savoir tout ce qui était arrivé après son départ.

– Et Clameran? demanda-t-il quand Louis eut fini.

Louis hésita un moment. Devait-il ou non dire la vérité?

– J’ai vendu Clameran, dit-il enfin.

– Même le château?

– Oui.

– Je comprends cela, murmurait Gaston, quoique moi, à ta place… là ont vécu nos ancêtres, là est mort notre père…

Mais voyant qu’il attristait son frère:

– Bast! c’est dans le cœur que vit le souvenir, et non au milieu de vieilles pierres. Tel que tu me vois, je n’ai pas osé retourner en Provence. J’ai eu peur de trop souffrir en revoyant, en face de Clameran, le parc de La Verberie… Hélas! j’ai eu là les seuls beaux jours de ma vie.

La physionomie de Louis s’éclairait. Cette certitude que Gaston n’était pas allé en Provence chassait une de ses plus pressantes inquiétudes.

Si bien qu’à deux heures du matin, les deux frères causaient encore…

Et le lendemain, Louis trouvait un prétexte pour courir au télégraphe, et il adressait à Raoul cette dépêche: Sagesse et prudence. Suivre mes instructions. Tout va bien. Bon espoir.

Tout allait bien, et cependant Louis, en dépit de ses questions habituellement calculées, n’avait obtenu aucun des renseignements qu’il était venu chercher.

Gaston si expansif, Gaston qui lui avait conté sa vie entière, en insistant sur les moindres circonstances, n’avait pas dit un mot pouvant l’éclairer.

Était-ce hasard ou calcul, préméditation savante ou simple oubli? Louis se le demandait avec ces inquiétudes des gens pervers toujours disposés à gratifier les autres de leur perversité.

À tout prix, et fallût-il se départir de sa réserve, il résolut d’en avoir le cœur net et de voir clair dans l’esprit de son frère. Le moment était favorable, ils se mettaient à table pour déjeuner.

– Sais-tu, mon cher Gaston, commença-t-il, que jusqu’ici nous avons parlé de tout, sauf pourtant des choses sérieuses?

– Diable! Qu’y a-t-il donc, que tu prends une mine de procureur?

– Il y a mon cher frère, que te croyant mort, j’ai recueilli la succession de notre père.

Un franc éclat de rire de Gaston lui coupa la parole.

– C’est là ce que tu appelles des choses sérieuses?

– Certainement, je te dois compte de ta part de l’héritage; tu as droit à la moitié…

– J’ai droit, interrompit Gaston, de te demander en grâce de clore ce chapitre. Ce que tu as est à toi, il y a prescription.

– Non, je ne puis accepter.

– Quoi? la succession de notre père? Non seulement tu le peux, mais tu le dois. Notre père ne voulait qu’un héritier, soumettons-nous à ses volontés.

Et croyant apercevoir un nuage sur le front de son frère:

– Ah çà! ajouta-t-il gaiement, tu es donc bien riche ou tu me crois donc bien pauvre, pour insister ainsi?

Louis tressaillit imperceptiblement à cette question à bout portant. Que répondre pour ne se point engager?

– Je ne suis ni riche, ni pauvre, fit-il.

– Moi! s’écria Gaston, je serais presque ravi de te trouver plus pauvre que Job, pour partager avec toi tout ce que j’ai.

Le déjeuner était terminé. Gaston jeta sa serviette et se leva en disant:

– Viens!… je veux toujours te faire visiter ma… c’est-à-dire notre propriété.

Tout en suivant son frère, Louis était aussi tourmenté que possible. Il lui semblait que Gaston fuyait avec une singulière obstination le terrain des confidences sur lequel il s’efforçait de l’attirer.

Son abandon n’était-il donc qu’une comédie? Les défiances de Louis se réveillaient, il regrettait presque sa dépêche optimiste de la veille.