La veille, il avait adressé à Raoul ce télégramme significatif: J’arrive.
19
Fidèle au programme tracé par son complice pendant que Louis de Clameran veillait à Oloron, Raoul, à Paris, s’efforçait de reconquérir le cœur de Mme Fauvel, de regagner sa confiance perdue, et, enfin, de la rassurer.
C’était une tâche difficile, mais non impossible.
Mme Fauvel avait été désolée des folies de Raoul, épouvantée par ses exigences; mais elle n’avait pas cessé de l’aimer.
C’est à elle-même qu’elle s’en prenait de ses égarements, et vis-à-vis de sa conscience, elle en acceptait la responsabilité, se disant: c’est ma faute, c’est ma très grande faute!
Ces sentiments, Raoul les avait bien pénétrés pour être en mesure de les exploiter.
Pendant un mois que dura l’absence de Louis, il ravit Mme Fauvel par des félicités dont elle ne pouvait avoir idée.
Jamais cette mère de famille, si véritablement innocente, malgré les aventures où la précipitait une faute, n’avait rêvé de pareils enchantements. L’amour de ce fils la bouleversait comme une passion adultère; il en avait les violences, le trouble, le mystère. Pour elle, il avait ce que n’ont guère les fils, les coquetteries, les prévenances, les idolâtries d’un jeune amoureux.
Comme elle habitait la campagne et que M. Fauvel, partant dès le matin, lui laissait la disposition de ses journées, elle les passait près de Raoul à sa maison du Vésinet. Souvent, le soir, ne pouvant se rassasier de le voir, de l’entendre, elle exigeait qu’il vînt dîner avec elle et qu’il restât à passer la soirée.
Cette vie de mensonge n’ennuyait pas Raoul. Il prenait à son rôle l’intérêt qu’y prend un bon acteur. Il possédait cette faculté qui fait les fourbes illustres: il se prenait à ses propres impostures. À certains moments, il ne savait plus trop s’il disait vrai ou s’il jouait une comédie infâme.
Mais aussi, quel succès! Madeleine, la prudente et défiante Madeleine, sans revenir absolument sur le compte du jeune aventurier, avouait que peut-être, se fiant trop aux apparences, elle avait été injuste.
D’argent, il n’en avait plus été question. Cet excellent fils vivait de rien.
Raoul triomphait donc lorsque Louis arriva d’Oloron, ayant eu le temps de combiner et de mûrir un plan de conduite.
Bien que très riche maintenant, il était résolu à ne rien changer, en apparence du moins, et quant à présent, à son genre de vie. C’est à l’hôtel du Louvre qu’il s’installa, comme par le passé.
Le rêve de Louis, le but de son ambition et de tous ses efforts, était de prendre rang parmi les grands industriels de France.
Il faisait sonner très haut, bien plus haut que son titre de marquis, sa qualité de maître de forges.
Pour l’avoir expérimenté à ses dépens, il savait que notre siècle peu romanesque n’attache de prix à des armoiries qu’autant que leur possesseur les peut étaler sur une belle voiture.
On est très bien marquis sans marquisat, on n’est maître de forges qu’à la condition d’avoir une forge.
Louis, maintenant, avait soif de considération. Toutes les humiliations de son existence, mal digérées, lui pesaient sur l’estomac.
De Raoul, il ne s’en préoccupait pas aucunement, il en avait besoin encore, il était décidé à utiliser son habileté, puis il se proposait soit de s’en débarrasser au prix d’un gros sacrifice, soit de l’attacher à sa fortune.
C’est à l’hôtel du Louvre qu’eut lieu la première entrevue entre les deux complices.
Tout prouve qu’elle fut orageuse.
Raoul – un garçon pratique – prétendait qu’ils devaient se trouver bien heureux des résultats obtenus, et que poursuivre des avantages plus grands serait folie.
Mais cette modération ne pouvait convenir à Louis.
– Je suis riche, répondit-il, mais j’ai d’autres ambitions. Plus que jamais, je veux épouser Madeleine. Oh! elle sera à moi, je l’ai juré. D’abord je l’aime; puis, devenant le neveu d’un des plus riches banquiers de la capitale, j’acquiers immédiatement une importance considérable.
– Poursuivre Madeleine, mon oncle, c’est courir de gros risques.
– Soit!… il me plaît de les courir. Mon intention est de partager avec toi, mais je partagerai le lendemain seulement de mon mariage. La dot de Madeleine sera ta part.
Raoul se tut, Clameran avait l’argent, il était maître de la situation.
– Tu ne doutes de rien, fit-il d’un air mécontent, t’es-tu demandé comment tu expliqueras ta fortune nouvelle? On sait, chez monsieur Fauvel, qu’un Clameran que tu ne connaissais pas – c’est toi qui l’as dit – habitait près d’Oloron; il avait même des fonds dans la maison. Que diras-tu quand on te demandera quel était ce Clameran et par quel hasard tu te trouves être son légataire universel?
Louis haussa les épaules.
– À force de chercher le fin du fin, mon neveu, prononça-t-il, tu arrives à la naïveté.
– Explique, explique!…
– Oh! facilement. Pour le banquier, pour sa femme, pour Madeleine, le Clameran d’Oloron sera un fils naturel de mon père, – mon frère, par conséquent – né à Hambourg et reconnu pendant l’émigration. N’est-il pas tout simple qu’il ait voulu enrichir notre famille? C’est là ce que dès demain tu raconteras à ton honorée mère.
– C’est audacieux.
– En quoi?
– On peut aller aux renseignements.
– Qui? le banquier? Dans quel but? Que lui importe que j’aie ou non un frère naturel? J’hérite, mes titres sont en règle, il me paye et tout est dit.
– De ce côté, en effet…
– Penses-tu donc que madame Fauvel et sa nièce vont se mettre en quête? Pourquoi? Ont-elles un soupçon? Non. La moindre démarche, d’ailleurs, peut les compromettre. Même maîtresses de nos secrets, je ne les crains pas, puisqu’elles ne peuvent s’en servir.
Raoul réfléchissait, il cherchait des objections et n’en trouvait pas.
– Soit! fit-il, je t’obéirai; mais il ne faut plus que je compte maintenant sur la bourse de madame Fauvel.
– Et pourquoi, s’il te plaît?
– Dame! maintenant que toi, mon oncle, tu es riche…
– Eh bien! s’écria Louis triomphant, qu’est-ce que cela fait? Ne sommes-nous pas brouillés, n’as-tu pas dit assez de mal de moi pour avoir le droit de refuser mes secours? Va! j’avais bien tout prévu, et quand je vais t’avoir expliqué mon plan, tu diras comme moi: «Nous réussirons!…»