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Il entendit autour de lui de bruyants éclats de rire. Le garçon lui-même se permit de sourire. M. Goliadkine comprit aussitôt qu’il venait de commettre une bévue, une gaffe effroyable. Troublé au plus haut point, il plongea sa main dans sa poche, cherchant un mouchoir. Il avait besoin de faire quelque chose, un geste quelconque pour se donner une contenance. Mais, à sa grande stupéfaction, comme à celle des spectateurs, au lieu du mouchoir, sa main retira de la poche un flacon contenant le médicament que lui avait recommandé quelques jours auparavant Christian Ivanovitch. Une pensée traversa son esprit: «Les médicaments dans la même pharmacie.» Il tressaillit, réprimant à grand-peine un cri d’effroi. Son esprit s’éclairait soudain. Le liquide contenu dans le flacon était d’une couleur sinistre, rouge sombre; il se reflétait lugubrement devant les yeux de notre héros. Tout à coup le flacon échappa de ses mains et se brisa.

M. Goliadkine poussa un cri et fit un bond en arrière. Il tremblait de tous ses membres; la sueur perlait sur son front et ses tempes: «Ma vie doit être en danger», se dit-il. Dans la chambre régnait un tumulte, un vacarme extraordinaire. On entourait M. Goliadkine. On lui parlait, on le saisissait par le bras, par les épaules. Lui restait immobile et muet, ne voyant rien, n’entendant rien insensible à tout… Enfin, il s’arracha de sa place et se rua hors de la gargote. On voulut le retenir. Il bouscula tout sur son passage; inconscient, à bout de forces il se jeta dans un fiacre et se fit conduire chez lui. Dans le vestibule il rencontra Mikheiev, le gardien de son administration, qui lui apportait une lettre de service «Je suis au courant, mon brave, je sais tout; c’est un avis officiel», murmura notre héros abattu, d’une voix terne et lamentable. Il prit l’enveloppe et donna dix kopecks à Mikheiev. L’enveloppe contenait effectivement une note de service. Elle portait la signature d’André Philippovitch et notifiait à M. Goliadkine d’avoir à remettre à Ivan Semionovitch tous les dossiers qui se trouvaient en sa possession.

En rentrant dans son appartement M. Goliadkine tomba sur Petrouchka occupé à entasser toutes ses hardes chiffes et guenilles. Aucun doute n’était possible. Petrouchka quittait son maître et s’apprêtait à déménager.

Caroline Ivanovna venait de le séduire, il partait remplacer Eustache.

CHAPITRE XII

Petrouchka entra en se dandinant; il avait une attitude nonchalante et bizarre et une expression triviale grossièrement triomphante sur le visage.

De toute évidence, il avait déjà tiré son plan. Il se comportait en être libre, absolument étranger au lieu où il se trouvait; ou plutôt, en domestique de quelqu’un mais pas de M. Goliadkine, à coup sûr.

– Eh bien, me voilà, mon cher, fit notre héros tout essoufflé. Quelle heure est-il, mon ami?

Sans répondre, Petrouchka s’en alla derrière la cloison; il revint paisiblement et annonça sur un ton dégagé:

– Il n’est pas loin de sept heures et demie.

– Ah! bon, très bien, mon brave. Alors, mon ami, permets-moi de te dire… enfin… je crois que tout est fini entre nous maintenant.

Petrouchka ne souffla mot.

– Eh bien, maintenant que tout est fini entre nous, dis-moi franchement, en ami, où as-tu été, mon brave?

– Où j’ai été? chez de braves gens.

– Je sais, mon ami, je sais. J’ai toujours été satisfait de tes services, mon cher, et je te donnerai un bon certificat… Alors, tu vas travailler chez eux, dorénavant?

– Ma foi, Monsieur. Vous savez bien vous-même: Un honnête homme ne fait jamais de mal. C’est bien connu.

– Oui, je sais, mon brave, je sais, Les hommes honnêtes sont rares, de nos jours. Il faut les apprécier, mon ami. Comment ça va chez eux?

– Comme toujours… Quant à moi, Monsieur, je ne peux plus rester à votre service. Vous le savez bien, d’ailleurs vous-même.

– Je sais, mon cher, je sais. Je connais ton zèle et ton ardeur. Je les ai toujours remarqués et appréciés, mon ami. Je t’estime beaucoup, mon ami. J’ai toujours estimé les gens bons et honnêtes, fussent-ils domestiques.

– Ma foi, c’est bien connu. Des gars de notre espèce, vous le savez bien, il n’y a pas mieux. C’est comme ça. Quant à moi, Monsieur, je trouve qu’il est difficile de vivre sans honnêtes gens. C’est certain.

– Très bien, mon brave, très bien; Je suis d’accord… Bon, voilà ton argent et ton certificat… Maintenant, embrassons-nous, mon brave et séparons-nous… Je vais te demander encore un service, un dernier service, mon cher, ajouta M. Goliadkine sur un ton solennel. Vois-tu, mon cher, tout peut arriver dans la vie. Le malheur, mon brave, se rencontre partout, même dans les palais dorés; nul ne peut y échapper; il me semble, mon cher, que j’ai toujours été gentil pour toi, n’est-ce pas?

Petrouchka resta muet.

– J’ai toujours été gentil pour toi, mon cher, répéta M. Goliadkine… Dis-moi, à propos, mon cher, combien me reste-il de linge?

– Tout votre linge est là, au complet: Six chemises de toile, trois paires de chaussettes, quatre plastrons, un gilet de flanelle; il y a aussi deux caleçons. Vous le savez bien d’ailleurs vous-même. Quant à moi, Monsieur, je ne vous prends jamais rien… je veille sur tout ce qui vous appartient. Par rapport à vous, Monsieur, enfin… il est certain… je n’ai rien à me reprocher; Monsieur, rien… Vous le savez bien. Monsieur…

– Je te crois, mon ami, je te crois. Ce n’est pas de cela que je voulais te parler. Vois-tu, mon brave…

– C’est connu, Monsieur, tout le monde le sait, insista Petrouchka. Quand j’étais au service du général Stolbniakov, eh! bien il me donnait congé quand il partait à Saratov… où il avait une propriété…

– Non, mon ami, ce n’est pas de cela que je veux te parler. Je ne te reproche rien… ne te monte pas la tête, mon cher ami…

– C’est bien connu: Des gens de notre condition il est facile de les accuser, vous le savez bien vous-même, Monsieur. Pour ma part, j’ai toujours satisfait mes maîtres, qu’ils aient été ministres, ou généraux, ou sénateurs ou comtes. J’ai servi partout, chez le prince Svintchatkine, chez le colonel Pereborkine et chez le général Niédobarov. Il m’emmenait avec lui, dans sa propriété. Voilà…

– C’est ça, mon ami, c’est très bien, très bien comme ça. Maintenant, c’est à mon tour de partir… À chacun son chemin, mon cher, et nul ne connaît le chemin qui lui est dévolu. Bon, maintenant aide-moi à m’habiller, mon ami… Tu mettras mon uniforme avec le reste… et aussi les pantalons, les draps, les couvertures et les oreillers…

– Dois-je faire un paquet de tout cela?

– Oui, mon ami, c’est cela… le tout dans un paquet; qui sait ce que l’avenir nous réserve? Et maintenant, mon cher, descends me chercher une voiture…

– Une voiture?

– Oui, mon ami, une voiture; loue-la pour un certain temps et veille à ce qu’elle soit spacieuse. Et surtout, mon ami, ne t’imagine pas des choses…

– Et vous partez loin?

– Je ne sais pas, mon ami, vraiment je ne sais pas. Il serait bon aussi d’y mettre un édredon; qu’en penses-tu, mon ami? Je compte sur toi, mon cher…

– Vous voulez partir tout de suite?

– Oui, mon ami, voilà…

– Je vous comprends, Monsieur. Au régiment où j’étais la même aventure est arrivée à un lieutenant. Il a enlevé la fille d’un grand propriétaire…